LA MALADIE COELIAQUE OU INTOLERANCE AU GLUTEN : UNE MALADIE FREQUENTE PARMI LES POPULATIONS DU SUD DU MAROC
La maladie cœliaque est une pathologie auto–immune due à l’ingestion de composants immunotoxiques (les gliadines notamment) au sein du gluten et de protéines apparentées dans le blé, le seigle, l’orge, l’épeautre et l’avoine. Au contact de ce gluten, l’organisme de certaines personnes fabrique des substances (auto–anticorps et cytokines) qui endommagent la muqueuse intestinale et provoquent des troubles variés (douleurs abdominales, diarrhées, anémie…). Aucun traitement n’existe à ce jour hormis la suppression du pathogène, le gluten, dans l’alimentation.
Concernant sa fréquence, les experts emploient souvent à son propos l’image de l’iceberg (1) c’est à dire que la partie cachée est bien plus élevé que la partie visible : pour chaque malade cœliaque diagnostiqué, il y en aurait en fait bien plus de cas – de 10 à 12 fois plus – qui resteraient inconnus parce que silencieux, latents, asymptomatiques ou mal diagnostiqués.
Sa prévalence moyenne (qui représente le nombre de personnes atteintes par cette maladie par apport à la population totale d’un pays) dans le monde a été ainsi réévaluée ces dernières années pour être actuellement estimée à environ 1 % des personnes (contre 0,3 à 0,5 % précédemment). Alors qu’on a cru longtemps qu’elle affectait uniquement les humains de souche caucasienne, les enquêtes épidémiologiques effectuées dans les années 1990 dans le reste du monde, et notamment dans le monde arabe (2, 3), ont montré qu’elle pouvait, partout ou presque, toucher au moins tout autant les autres peuples.
De plus, cette notion de prévalence moyenne peut en fait aussi cacher des situations très disparates selon les groupements humains et les régions d’un même pays. Ainsi, des études menées en 1999 avec l’OMS (4) ont révélé une prévalence très forte de 5,6 % au sein de populations sahraouis. Les raisons de ce taux élevé sont à relier à la fois à des facteurs génétiques et environnementaux.
D’un côté, les sahraouis possèdent plus que d’autres populations dans leur complexe majeur d’histocompatibilité les gènes DQ2 et/ou DQ8.
Rappelons que le complexe majeur d’histocompatibilité encore appelé système HLA (Human leukocyte Antigen) est notre carte d’identité biologique, le principal marqueur de l’individualité de l’organisme. C’est un groupe de molécules, une sorte de code-barres, située à la surface des cellules de notre corps. Chaque cellule (sauf les globules rouges).renferme entre cinq cent mille et un million de molécules de ce complexe dont elle expose à l’extérieur de sa membrane son contenu pour qu’il soit reconnu par les cellules immunitaires comme appartenant à l’organisme (le soi) ou étranger à l’organisme (le non-soi). De façon pratique, si un agent pathogène comme un virus ou une bactérie s’y glisse, la « lecture » de ce complexe par les cellules immunitaires (les lymphocytes T en particulier) permet l’activation de la défense immunitaire.
Dans le cas de la maladie cœliaque, la présence de ces gènes DQ2 et/ou DQ8 est un élément de prédisposition génétique – un élément nécessaire mais non suffisant d’ailleurs – pour développer cette pathologie. Une tradition de forte endogamie pour ces populations explique aussi cette causalité génétique.
D’un autre côté, les facteurs nutritionnels paraissent avoir pesé lourdement : le régime alimentaire des peuples nomades comme les Sahraouis reposaient historiquement sur un allaitement maternel prolongé pour les enfants, le lait et la viande de chameau, les dates, le sucre et de petites quantités de céréales et légumes
Très tardivement au cours du siècle dernier, ce régime a brutalement changé avec l’introduction de la farine de blé et spécialement du pain qui est devenu l’élément de base de l’alimentation (les céréales contenant du gluten, et spécialement le blé, ont représenté plus de 50 % de la balance énergétique de la nourriture en Afrique du Nord dans les années 1990 (5). Chez les Sahraouis, la période d’allaitement exclusif a été réduite et le pain introduit souvent très tôt lors de la première année d’enfance dans le régime et cela a certainement compté dans le nombre de cas observés chez les enfants.
Les difficultés rencontrées par ces populations dans le contexte de l’époque avec des épidémies de gastroentérites ont certainement amplifié ce fort taux de prévalence : les personnes fragilisées ont été en effet plus enclines à contracter alors la maladie cœliaque. Si on peut penser que ce taux est moindre actuellement, le chiffre relevé témoigne néanmoins clairement en faveur d’un facteur de risque significatif des Sahraouis à cette pathologie, sans d’ailleurs forcément dramatiser la situation réelle. La maladie peut se présenter en effet comme active et dommageable ou bénignes ou encore silencieuse, toutes choses qui compliquent d’ailleurs la détection exacte de la maladie.
En tout état de cause, des études épidémiologiques sont nécessaires pour mieux cerner sa prévalence au Maroc en général et dans le sud en particulier. La reconnaissance de group es à risque permettrait de mieux sensibiliser les populations, notamment quant aux avantages pour les enfants en bas âge de préserver leur période d’allaitement maternel et d’introduire dans leur nourriture, en plus petite quantité, le gluten du pain et, au contraire, en plus grande quantité, le riz ou le millet qui sont de très bons substituts.
Dr MOUSSAYER KHADIJA ر ايسىم ةجيدخ ةرىتكدلا
اختصاصية في الطب الباطني و أمراض الشيخوخة
Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie Présidente de l’association marocaine des maladies auto–immunes et systémiques (AMMAIS) ةيساهجلاو و ةيتاذلا ةعانملا ضازملأ ةيبزغملا ةيعمجلا ةسيئر
Chairwoman of the Moroccan Autoimmune and Systemic Diseases Association
Vice–présidente de l’association marocaine des intolérants et allergiques au gluten (AMIAG)
Vice–présidente de l‘association marocaine de la fièvre méditerranéenne familiale (AMFMF)
Références :
1/ Catassi C et al. Coeliac disease in the year 2000: exploring the iceberg. Lancet, 1994, 343: 200–203.
2/ Rawashdeh MO, Khalil B, Raweily E. Celiac disease in Arabs. Journal of Pediatric Gastroenterology and Nutrition,
1996, 23: 415–418.
3/ Khuffash FA et al. Coeliac disease among children in Kuwait : difficulties in diagnosis and management. Gut, 1987,
28: 1595–1599
4/ Catassi C et al. Why is coeliac disease endemic in the people of the Sahara? Lancet, 1999, 354: 647 –648.
5/ The sixth world food survey. Rome, Food and Agriculture Organization of the United Nations, 1996.
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