L’ECOLE MAROCAINE: RETROSPECTIVE DEPUIS L’INDEPENDANCE. (2)
Après avoir rappelé brièvement dans mon article, paru le 24 octobre 2012 sur le site « oujda city », les péripéties qu’a traversées l’enseignement marocain depuis l’indépendance et les grandes étapes de son évolution politico-sociale, j’ai jugé opportun, dans cette deuxième partie, élaborée quelque peu tardivement, de m’arrêter à deux stations importantes qui marquèrent le parcours que ce secteur a jusque-là connu :
La première de ces stations s’inscrit dans les mesures de nationalisation lancées au lendemain de l’indépendance. On a donc opté pour une arabisation progressive de l’enseignement, projet « argumenté » par des slogans politiques sans résultats, pour ne pas dire négatifs.
La deuxième pour lui compléter son identité par une revendication d’une partie de patrimoine culturel et linguistique, un droit resté longtemps gardé sous une faible lumière.
1- Un projet d’arabisation qualifié de FIASCO.
**«Je n’ai toujours pas compris pourquoi les dirigeants de l’Istiqlal, à commencer par MM Allal el Fassi et M’hamed Douiri, ont jugé excellente l’arabisation totale de l’enseignement pour les enfants marocains mais ont préféré mettre leurs enfants dans les écoles et les lycées français! Ce qui est bon pour le peuple ne le serait-il plus pour les bourgeois?»**
Voici donc une question audacieuse et pertinente posée par **Abdallah.SARHANE, professeur de lettres françaises à l’université de Kenitra qui a montré un manque de crédibilité des actions politiques discriminatoires entre les enfants de couches sociales socialement différentes émanant de leaders marocains.
Autrement dit , l’une des réponses à cette question avait été formulée au préalable par un témoignage fait sans hésitation par CHARLES ANDRE JULIEN, journaliste, historien et professeur à l’université de la SORBONNE, fondateur et premier doyen de la faculté de lettres de Rabat, il avait écrit en 1960 : « J’ai toujours été partisan de l’arabisation, mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce à laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. Avec de la patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat, qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales d’avenir ». Fin de citation.
Voici encore un exemple parmi tant d’autres reflétant bien une réalité pour mieux accepter un néo- colonialisme culturel et linguistique, créant une bourgeoisie plutôt morale pour balayer nos mœurs:
** « Aujourd’hui en CM2, Radwan a dû batailler ferme pour rentrer dans une des écoles françaises de Rabat. À trois ans et demi, ses parents, bien décidés à mettre tous les atouts de leur côté, l’inscrivent aux Lavandes, une petite école privée préparant à l’entrée à la «mission », examens en blanc à l’appui. Comme Louis Le Grand et Henri IV pour Polytechnique! À la maison, papa et maman ne lui parlent plus que français et, comme ses maîtresses, le conditionnent psychologiquement. Graphisme, puzzle, langue française, psychomotricité, test oral, Radwan, admirablement préparé, surmonte tous les obstacles et est admis en grande maternelle. »**
**cf.Ed au MC 1956-2000.
En définitive, la plupart de nos élèves qui ont fréquenté les établissements publics et qui ont subi la mesure citée plus haut ne maîtrisent parfaitement ni la langue arabe ni la langue française. C’est l’histoire du corbeau qui voulait emprunter la façon magnifique de marcher remarquée chez le pigeon. Ne pouvant pas l’adapter, il déclina pour ne pouvoir reprendre ni la sienne ni celle du pigeon. Voyez-vous comment se déplace- t- il ?
Quant à l’élite, bilingue soit elle, ne peut éviter de mixer ce bilinguisme au cours d’une discussion ou d’un dialogue quelconque, phénomène que nous remarquons aussi et surtout durant certains débats réalisés sur nos chaînes de télévision, au cours de quelques émissions à la radio diffusées en langue arabe et dans des séquences durant les séances cinématographiques interprétées par nos acteurs. Mais toujours est-il qu’on ne possède pas l’art de discuter dans l’une ou l’autre langue, phénomène dû à de multiples causes dont la plus visible est psycho- pédagogique qui se confirme par le mauvais apprentissage dès la maternelle ou durant les premières années du cycle du primaire, ou encore des opportunités offertes aux enfants pour s’exprimer dans les milieux familiaux qui, malheureusement sont avortées par des « SKOUT » « CHADD FOUMMAK » « N’ TA MATAARAFCH » et autres formules et méthodes gérées par la plupart des parents que vous êtes sensés ne pas ignorer.
2- Un plurilinguisme qui s’impose.
Mais encore, il faut rappeler qu’au cours du vingt et unième siècle ,le train de la « berbérophonie » a fait le choix de son départ, celui d’introduire dans notre enseignement ce vieux moyen de communication qui date depuis l’apparition des premiers habitants du Maroc venus d’Asie : « imazigher », s’il le faut une partie de son menu afin de faciliter la communication et la compréhension aux enfants ne pratiquant que cette langue dont les « ISSAKKILEN N’ UGAMMAY TIFINAGH »( les lettres de l’alphabet berbère) ont été retrouvées sculptées depuis la préhistoire sur les parois des grottes, dans les tatouages des femmes berbères et des produits artisanaux etc…. l’amazighe est la langue maternelle de 28 % de la population selon les résultats du dernier recensement (2004); il est parlé plus en milieu rural qu’en milieu urbain.
++ « Options stratégiques de l’enseignement de l’amazighe :
L’État marocain a décidé d’introduire l’amazighe dans l’école primaire en septembre 2003 en optant pour son enseignement obligatoire, sa généralisation progressive et l’unification de la langue à enseigner. C’est ainsi que l’enseignement de l’amazighe :
i. fait partie officiellement des curricula;
ii. est enseigné en tant que matière;
iii. fait l’objet d’une évaluation comptant pour les examens;
iv. bénéficie de la supervision pédagogique;
v. est généralisé à l’ensemble de la population scolaire, élèves amazighophones et arabophones, dans le milieu rural et le milieu urbain;
vi. concerne tous les niveaux du primaire;
vii. bénéficie de mesures de normalisation et de standardisation Progressives ».
++ cf. L’enseignement de l’amazighe (berbère) au Maroc 83
« L’identité nous renvoie la situation culturelle, sociale, ethnique, professionnelle, la classe d’âge, l’origine géographique, le sexe etc…, elle est un phénomène différentiel et distinctif : l’identité subjective peut avoir donc différentes identités sociales lorsqu’on possède plusieurs langues (Bououd , 2011). »
Ceci étant, je pense qu’on a pu répondre d’abord au désir culturel et affectif de la majorité de la population marocaine d’origine berbère, sentiment exprimé par une élite amazigh représentée par ses intellectuels qu’on ne peut que tolérer :
*« Nos parents (nés avec le XX siècle) ne parlaient que le tamazight et rarement l’arabe dialectal. Notre génération à nous (née dans les années1930/40) peu scolarisée est souvent bilingue (amazighe/arabe). Nos enfants devenus adultes, en partie scolarisés, comprennent l’amazigh sans le parler. Nos petits-enfants urbanisés et scolarisés ignoreront la culture amazighe ils ne comprendront plus le tamazight sauf si les efforts de l’IRCAM et du MEN y remédient à temps. Dans les faits l’école publique marocaine est connue dans le monde par sa faillite permanente. Mais elle aura réussi en partie le linguicide et l’ethnocide culturel amazighs et par là la déconstruction progressive de la dimension amazighe de l’identité nationale. La nouvelle Constitution depuis 2011 tente de la restaurer (via les lois organiques sur l’officialisation du tamazight) ». * extrait de l’article: Ecole publique marocaine et la dimension amazighe de l’identité nationale, fort intéressant à lire sur le net, publié le 07 novembre 2012 dans LIBERATION par monsieur Azergui Mohamed, Professeur universitaire retraité, où il essaye d’analyser le type de modèle d’éducation conçu, élaboré et réservé à nos enfants.
Il faut avouer qu’on ignore la sensation de nos tribus berbères de l’oriental et ce qu’elles éprouvent à ce sujet par rapport à celles du RIF, de l’ATLAS, du SOUSS et du SUD touchant un peu le Sahara apparemment trop concernées. Il serait souhaitable de passer en revue et d’étudier l’impact socio culturel de leurs voisines, les tribus arabes, géographiquement reparties, leur cohabitation leur caractère linguistique afin de les mettre en relief, cette partie de la population restée plus ou moins indifférentes à ce projet où leur dialecte ( pardonnez-moi) laisse à désirer. Hypothèse à vérifier.
Ainsi, il s’avérait donc opportun et impératif d’apaiser le fantasme de la majorité de cette population et conduire ensuite le pays conjointement dans le sens de l’authenticité et la modernité et par ailleurs satisfaire certains politiciens, ce qui a pu permettre de créer un champ de grands débats pour nos chercheurs. Cette nouvelle idéologie faite de ces deux principales pièces va-t- elle pouvoir contribuer à sortir le pays de son sous-développement ?
« Aux revendications politiques se greffent une approche plutôt scientifique, approche nécessitant l’implication des linguistes et des sociolinguistes, habilités à redéfinir la place de l’amazighe en fonction de l’actuelle donne et pour une nouvelle répartition fonctionnelle des langues en présence. ( Bououd 2011 ). »
Que va-t-il advenir donc de ce projet de l’amazigh ? Est-ce vraiment une stratégie intégrable dans un modèle d’éducation ? Ces deux questions ont déjà fait couler beaucoup d’encre pour imposer et/ou intégrer cette langue dans un contexte pluriculturel, dans ses dimensions : linguistique, culturelle et historique tel qu’il a été dit dans un article publié le 12 avril 2012 dans la rubrique société du quotidien LA VIE ECONOMIQUE sous le titre :« La standardisation de l’amazigh marocain entre la théorie et la pratique ». Cf. Article de Meryam Demnati dans Al Bayane du 24 Septembre 2012.
MR BOUASSABA Mohammed
A suivre…
3 Comments
En tant qu’amazigh (Amazighs de l’est), je suis naturellement pour une restauration de la culture Amazighe comme composante essentielle de notre identité Marocaine. Ceci étant, et en toute sincérité, je n’arrive pas à comprendre pourquoi on insiste à faire de Tamazight une langue académique. D’une part, il y a le problème de finalité. Quel savoir académique ( écrit et répandu) avons- nous en cette langue pour se baser dessus et développer davantage , comme c’est le cas pour toutes les langues académiques qui ont véhiculé le savoir humain des siècles durant ?. De plus, va-t-on s’occuper du dé veloppement de nos savoirs comme nation, pour mieux intégrer les temps modernes, ou bien va-t-on plutôt s’appliquer d’abord à l’enseignement de Tamazight à tous les Marocains, pour pouvoir en suite l’établir comme langue du savoir ?.Et, dans le dernier cas, comment pourrait-on espérer ou imaginer que les autres nations du monde vont interagir avec nos discours académiques ? Entendons-nous garder ces discours pour nous-mêmes ?
D’une autre part, on a des figures Amazighes emblèmes qui font notre fierté qui se sont manifestés intellectuellement en langue arabe, et en tant que la leur, et n’ont pas eu à se plaindre( lmokhtar Essoussi, Ben Daouad, Med ben Abdlekrim lkhattabi, et j’en passe)
Je ne peux pas clore mon commentaire sans une autre fois dire mon grand merci à notre ami, Mr Bouaassaba
Bonjour si KACEMI.
En lisant votre commentaire, je trouve que vous avez complété quelques idées de mon article et ajouté une plus-value aux analyses précitées entre guillemets, (Ce qui m’a fait plaisir et ce qui va permettre aux lecteurs d’enrichir peut être le débat), en apportant votre jugement et en posant vos questions dans le cadre d’une importante problématique qui est la finalité de THMAZIGHTH comme composante dans(ou de) l’ensemble du système qui nous gère, projet qu’il faudrait peut-être remettre en question et réorienter. Finalement c’est moi qui vous remercie.
Si vous voulez bien prière de m’envoyer votre adresse E.mail à angadprojets@gmail.com
Mr bouassaba a honoré son engagement à nous servir la suite de sa réflexion sur certains aspects de l’école marocaine. Bravo donc!
Bravo également pour cette rétrospective. Je dis bravo car Mr bouassaba, n’étant pas directement impliqué et n’exerçant pas dans ce domaine ( il l’a dit dans l’un de ses écrits en guise de précaution quant tout « dérapage »), nous a gavé d’un historique riche et enrichissant que moult enseignants ignorent, bien que professant dans ce domaine et ne prenant pas la peine de se documenter, de chercher, de fouiner dans cet immense océan du savoir pour contribuer au débat.J’exclus, bien évidemment, la frange de nos éminents enseignants, nombreux fort heureusement,qui sont à l’opposé de leurs pairs.
Cecit dit, je pense que que mr bouassaba devrait nuancer son jugement quant à certains des aspects qu’il a développés.
Pour faire bref et global, je dirais, quant à moi, que l’école marocaine, en dépit de ses avatars, à tout de même contribué à former beaucoup de cadres qui sont actuellement aux commandes de notre pays et même à l’extérieur aussi bien dans public que dans le privé. J’ajoute que , contrairement à une idée faussement répandue, beaucoup de ces cadres n’ont point fréquenté la mission française, n’ont point bénéficié de cours de soutien et b’ont point franchi les frontières de notre pays pour finir leur cursus; ce qui ne les empêchent de briller et d’honorer leur pays. D’ailleurs, mr bouassaba fait partie de cette catégorie.
Pour autant, les insuffisances relevées par mr bouassaba,aussi bien dans cet écrit que les précédents et surtout celle étayées par les citations de certains penseurs, sont réelles. Je les rapporterais,quant à moi, à la période actuelle qui marque incontestablement une dégradation manifeste de notre système éducatif, ternissant l’époque des années 60, 70 et 80 que je qualifierais de « décennies glorieuses » et que je évoque personnellement avec beaucoup de nostalgie.
Pour plus de détail au sujet du texte, on ne peut prétendre que l’arabisation eût été un « fiasco » total.Je crois que La mise en oeuvre de cette mesure était politiquement, culturellement,socialement et historiquement une nécessité impérieuse. elle s’inscrivait directement dans le sillage des grandes réformes lancées au lendemain de l’indépendance à l’instar, du reste, de tout ce que le maroc nouveau se devait d’entreprendre pour parachever son autonomie: marocanisation, réforme administrative, politique des barrages, lutte contre l’analphabétisme, électrification rurale, adduction d’eau potable…. sans oublier évidemment les réformes politiques.
concernant le dossier de l’amazigh, je pense lui consacrer un autre commentaire.