Prise de parole lors de l’hommage qui m’a été rendu par mes collègues du lycée Malouya , Berkane.
Berkane 09/10/2010
بسم الله الرحمن الرحيم
Mesdames, Messieurs
Je suis à la fois touché et ému par cette cérémonie d’hommage que vous me rendez en témoignage de reconnaissance pour les longues années que j’ai passées avec vous et parmi vous. Le lycée Malouya, il est vrai, m’a pris la moitié de ma carrière de professeur et beaucoup d’années de mon existence d’homme. Je suis venu dans ce lycée avec des cheveux à peine piquetés de quelques poils blancs, me voici avec la barbe toute blanche et la tête tout enneigée! Je suis professeur depuis bien longtemps, et cette cérémonie vient à point couronner la fin de carrière d’un homme que le poids des années plie mais sans casser et que les longues années d’exercice et de navette ont endurci sans dessécher. Travailler avec vous et parmi vous m’a donné la force, le courage et la patience de ne point geindre ni me lamenter, travailler avec des professeurs de votre qualité sous la direction d’un directeur au cœur noble et généreux entouré d’un staff équilibré et uni m’a donné le pouvoir de persévérer et la volonté de ne pas m’asseoir en chemin : l’arrêt est un indice de faiblesse, le repos le signe avant coureur de la défaite. Celui qui s’arrête regarde sûrement derrière lui, celui qui se repose ne se relèvera pas ou se relèvera avec peine. Et les premiers pas sont les plus pénibles pour celui qui s’assoit. Regardez derrière vous sans vous arrêter de marcher et sans vous reposer, mesdames et messieurs.
Que regardez-vous quand l’envie de regarder derrière vous vous tente ou vous prend ? Dans mon cas, et beaucoup d’entre vous sont loin d’y être et à qui je souhaite la force du chêne et la souplesse du roseau, dans mon cas, dis-je, quand je regarde derrière moi, chose que je fais souvent dans mes heures de repos ou de tourmente, c’est pour voir ce que j’ai laissé derrière et que j’aurais pu faire, ramasser ou cueillir mais que je n’ai ni cueilli, ni ramassé, ni fait, quand je regarde devant moi, c’est pour évaluer ce qui me reste de distance à parcourir , et qui, calcul fait, est mince car le temps me happe. Quand je regarde derrière moi, je vois un mince filet de chemin rectiligne dont le bout se perd dans le sombre lointain, et je me dis : vois ton passé. Et je me revois tout au début de ma carrière, jeune, frais, les joues lisses et potelées et la crinière au vent, c’était en 1974 : Figuig, Oujda, Berguent, Oujda, Bouarfa, Rennes, Jerada, Berkane, Oujda. Nous sommes en 2010 ; Après 36 ans d’une carrière mouvementée et sans repos, la boucle est bouclée et le circuit fermé et l’univers rapetissé. Me voici devant vous 36 ans plus tard : la barbe et la tête blanches, les joues flétries, les yeux éteins et la démarche hésitante Je suis au bout du chemin, vous vous réunissez à présent pour me rendre hommage, comme on se réunira demain pour un dernier adieu. En attendant, finissons ce qui reste à finir.
Je vous le dis, mesdames et messieurs, il n’y a de science que celle que vous donnez, celle que vous aurez gardée pour vous et chez-vous sans la partager est une science laissée à la friche : quand vous serez dans mon cas, à la veille de votre carrière, vous regarderez sûrement derrière vous et vous regarderez certainement avec un regret déchirant ce que vous aviez laissé sans faire ni cueillir ni ramasser, et vous regarderez devant vous mincir le temps et s’avancer sur vous ses mâchoires. Vous sentirez alors poindre votre déclin comme je vois à présent poindre le mien. Et vous sentez alors le besoin de vous reposer vous gagner car les années sont lourdes à porter. Je vous le dis, mesdames et messieurs, ne manquez point à votre devoir envers les hommes, les enfants d’aujourd’hui que vous avez dans vos classes sont les hommes de demain : aujourd’hui ils vous écoutent, demain ils vous jugent. Qu’est-ce que vous leur avez donné ? Qu’avez-vous gardé pour vous ? Le devoir accompli de manière parfaite et vous dormirez du sommeil des justes. Que votre sommeil vous apporte au réveil la quiétude, la paix de l’âme et celle de l’être. Amine !
Je vous le dis mesdames et messieurs, il n’y a de science que celle que vous aurez dispensée : elle témoignera pour vous ou contre vous de manière juste et équitable. Faites en sorte qu’elle soit de votre côté le jour où elle sera mise dans la balance et que son poids pèse plus lourd pour faire pencher le plateau qui la porte.
Je vous le dis mesdames et messieurs, il n’y a de science que celle qui est utile et profitable à vos élèves : agissez de manière à ce que ceux que vous avez dans vos classes ne se lassent jamais de ce que vous leur apprenez, que l’effort soit pour eux un plaisir qui procure jouissance et félicitée et non une corvée qui engendre souffrance et ennui.
Je vous le dis mesdames et messieurs, le métier d’enseigner est ingrat mais noble: vous lui consacrez beaucoup de votre temps et de vos efforts, en retour, vous aurez l’impression de moissonner déboires et déconvenues. Ainsi en est-il de notre métier. Que les déboires et les déconvenues soient pour vous des balises qui vous orientent dans votre parcours et non des obstacles qui freinent votre élan. Noble, en cela que vous vous nourrissez de science au moment où les autres se nourrissent de mets.
Le lycée Malouya, j’y reviens pour en reparler, m’a fait en faisant blanchir ma barbe, je suis son vieil enfant à la barbe et à la tête toutes blanches. Il m’a travaillé, il m’a forgé, il m’a façonné : en moi, il y a de ses pierres, de ses arbres, de ses hommes. Il a fait mûrir en moi la pensée, assagir le geste, ennoblir le verbe.
Je lui suis redevable de ce qu’il a fait de moi et ses 19 ans dans ses murs, ne sont qu’une matinée comme celle-ci !
Vous tous et moi avec, nous appartenons à ce lycée qui est notre lieu de travail et notre point de rencontre. C’est en son sein que nous exerçons nos talents de pédagogues et tissons des liens d’hommes. Nous mésestimons parfois nos potentiels et sous estimons souvent nos compétences. Pour nous en rendre compte, allons du côté de l’ENCG, de l’ENSA, de l’EST, ou de la faculté de médecine, pour ne citer que ces écoles-là, et nous y découvrirons le produit de notre travail ; pour nous en rendre compte, je vous rappelle que notre lycée a reçu des lettres de félicitations et des prix de distinction octroyés pour les résultats obtenus. Que souhaitons-nous de plus que ces manifestations officielles qui reconnaissent nos mérites ? Ne sommes-nous pas en avance par rapport au plan d’urgence qui veut faire de l’école une école de la réussite ? Et ceci grâce à nous, et je dis à nous car je sens que je ne vous ai pas quittés et que ma place et parmi vous.
Ce sont des moments forts que vous me faites revivre, je les partage avec vous car je suis l’un de vous.
Je vous remercie, Monsieur le directeur, messieurs les membres du corps administratif, messieurs, mesdames et chers collègues.
Zaïd Tayeb
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FELICITATIONS, Oustade !