La Boïte à Merveilles de Ahmed Séfrioui: Lecture des chapitres IV et V
Les chapitres 4 et 5 offrent des similitudes dans le traitement de l’information et la gestion de la narration par un narrateur dont j’ai dit dans ’’le narrateur censuré’’ qu’il est exclu de la communauté des grands pour son jeune âge, ce qui a un impact négatif sur la narration auquel l’auteur essaie de palier. Comme Sidi Mohammed est frappé par l’impuissance à assumer pleinement son rôle de narrateur comme le veut la tradition autobiographique, Ahmed Séfrioui remédie à cet état de manque par des prises en charge de la narration par des adultes, de telle façon que le narrateur lui-même se trouve privé du droit de remplir son rôle vis-à-vis des lecteurs qui n’ont d’autres informateurs que lui. Eux et lui sont donc tenus dans l’ignorance totale ou partielle de ce qui se trame autour d’eux par des maîtresses de maison. Une lecture du chapitre 4 offre la perspective d’une narration par paliers successifs effectuée au compte gouttes au détriment du narrateur principal. Un regard rapide sur le chapitre s’impose pour mieux éclairer les jeunes lecteurs sur cette technique narrative largement utilisée par Ahmed Séfrioui.
De manière générale, le chapitre se subdivise en deux moments bien distincts car chacun d’eux relate un fait tout différent de l’autre avec un intermède les séparant et faisant charnière entre l’un et l’autre : il est question d’une réflexion de Sidi Mohammed sur Zineb son ennemie jurée.
Moment 1 :’’dans les premiers jours du printemps………Un silence suivit cette conclusion’’ : le récit du différend entre Moulay Larbi et son associé.
Un intermède servant de transition entre le récit un et le récit deux qui n’ont rien de commun l’un avec l’autre :’’ j’entendais les grains du chapelet…m’obséda durant toute mon enfance’’
Moment 2 :’’C’était l’hiver …puis raconta une histoire’’ : l’histoire de Abdellah l’épicier.
Seul le premier des deux récits intéresse notre lecture de la forme de narration.
A- Situation initiale : ‘’Dans les premiers jours du printemps…une personne aussi considérable’’
Lalla Zoubida et son fils sont chez Lalla Aïcha : les deux femmes, comme à leur habitude papotent.
B- Perturbation :’’Moulay Larbi… brodée de fleurs mauves et…’’ :Contrairement à son habitude, Moulay Larbi rentre plus tôt que prévu et entretient sa femme qui le rejoint dans l’autre pièce de quelque chose dont la teneur reste cachée aux deux hôtes :’’Sa femme se dépêcha de le rejoindre. Un murmure confus entrecoupé de silences, bourdonna dans la petite pièce’’.
La perturbation est suggérée par la phrase’’ lalla Aïcha vint nous retrouver, le visage bouleversé’’
C – Intermède :’’Nous ne savions pas comment nous occuper…l’ombre veloutée de ses appartements’’. La sortie de Lalla Aïcha crée un temps mort et laisse un vide dans la narration laissée en suspens. Comme rien ne se passe, l’auteur meuble le surplus de temps libre par une autre occupation de Lalla Aïcha et de son fils ; en l’absence de Lalla Aïcha, seule interlocutrice de Lalla Zoubida, ses deux hôtes se mettent à la fenêtre où une voisine leur fait le récit d’une excursion mal terminée Il est à remarquer que dès que lalla Aïcha sent le retour de son amie, elle abandonne, et sans préavis ni formule de congé, la voisine bavarde et vantarde.
D- Evolution et transfert de la perturbation :’’ Ma mère discutait à demi voix…créaient sur les murs des ombres fantastiques’’ : Revenue, après le départ de Moulay Larbi, auprès de Lalla Zoubida qu’elle a quittée auparavant, Lalla Aïcha rend compte à son amie de ce que son mari l’a entretenue
E- Elargissement de la perturbation à un autre lieu, à une autre époque, pour un autre public:’’Mon père vint nous chercher…Un silence suivit cette conclusion’’. Ce qui était jusque là chuchoté à demi voix entre les deux femmes, est rendu public par Lalla Zoubida. Il n’est plus question à présent de demi obscurité ni de demi voix pour communiquer. Le différend ayant opposé Moulay Larbi à son associé Abdelkader est désormais une affaire publique narrée avec le ton qu’il faut à Une femme qui maîtrise comme il se doit l’art de conter. Le lieu est Dar Chouafa, le jour un vendredi, et le public est le mari et Sidi Mohammed le narrateur.
Récapitulons : le récit du différend de Moulay Larbi et son associé suit le cheminement suivant :
a-Premier niveau du récit : De Moulay Larbi …vers… Lalla Aïcha
b-Deuxième niveau du récit : De Lalla Aïcha….vers…Lalla Zoubida
c-Troisième niveau du récit : De Lalla Zoubida …vers… son mari, vers le narrateur , et vers les lecteurs :Le narrateur, contrairement à ce qui est connu, est le dernier à prendre connaissance de ce qui s’est passé entre le babouchier et son associé et ce, malgré les nombreuses répétitions du même récit.
Le chapitre 5 n’échappe pas à cette technique narrative qui avance par paliers successifs allant en s’élargissant et qui se fait en dehors du narrateur par des femmes qui se chuchotent de bouche à oreille des choses dans des coins inaccessibles ou interdits au narrateur, en se promettant de garder le secret.
Lalla Zoubida rentre de chez Lalla Aïcha : elle est porteuse d’une autre séquence du récit de Moulay Larbi, de sa femme et de l’associé. Comme pour le chapitre 4, la narration subit le même traitement :
A- Premier niveau du récit :’’ ma mère essoufflée…tu dois mourir de faim’’ : De Lalla Zoubida…vers… Fatma Bziouya. Lalla zoubida accouche sur le palier, à la hâte, et met bas le lourd fardeau qu’elle porte et qu’elle a trimbalé depuis la maison de Lalla Aïcha.’’ Elle se lança dans un long discours chuchoté de bouche à oreille’’. IL faut noter que le narrateur n’a rien retenu ni des mimiques ni des hochements de tête.
B- Deuxième niveau du récit :’’Ma mère disparut….triste et fatigué’’ : De Lalla Zoubida…vers… Rahma. Elle brûle d’impatience d’aller faire le récit de ce qu’elle sait sur le ménage de Moulay Larbi à Rahma de peur d’être devancée par Fatma Bziouya à qui elle avait malgré tout fait promettre le plus grand secret . Elle a désormais l’exclusivité et détient le monopole de la distribution de l’information.’’ Je savais qu’elle chuchotait quelque part à Rahma…’’ ;’’ je savais aussi que je n’avais qu’à attendre. Je glanerai un mot ici, un autre là, je saurai de quoi il s’agit’’. Le narrateur, malgré son jeune âge, fait preuve de patience sachant qu’il finira par tout apprendre : la mère est trop bavarde pour retenir trop longtemps un secret. Les lecteurs sont inquiets quant à la teneur du récit chuchoté. C’est à la fois une autosatisfaction et une satisfaction des lecteurs.
Ahmed Séfrioui nous a habitués à ces chuchotements de femmes dans des endroits obscurs ou retranchés à l’écart du monde masculin ou enfantin pour se dire des choses à demi voix .Ce qu’il faut surtout retenir de la lecture de la Boîte à Merveilles c’est la fréquence des chuchotements féminins.
3 Comments
Merci beaucoup
svp la situation du passage chapitre 2
merci beauoup Ms