Regard sur La Boîte à Merveilles de Ahmed Séfrioui
Le titre du roman la Boîte à Merveilles de Ahmed Séfrioui, inscrit au programme de première année toutes sections confondues, trompe plus d’un, et ce, pour plusieurs raisons.
Comme le roman est écrit pendant la première moitié des années 50 du siècle dernier et qu’il relate des événements qui remontent aux premières années des années 20 du même siècle, la boîte à merveilles devrait désigner selon l’acception de l’époque ‘’Sandouk Laajab’’ (صندوق لعجب) en référence à la radio ou T.S.F. Si effectivement il y a une boite dans l’œuvre de Séfrioui, il n’y a par contre pas de merveilles, s’il y a Sanok (صندوق) , il n’y a pas de Ajab (عجب), car la boite de Sidi Mohammed renferme des cabochons, des boutons, des clous et d’autres objets qui n’ont rien de commun avec les trésors de la caverne d’Ali Baba. Il faut donc chercher les merveilles ailleurs que dans cette vulgaire boite que manipule un vulgaire petit garçon de six ans. La boite aurait un sens métaphorique ou poétique si l’on essayait de voir les choses en grand et de cesser de les considérer avec les yeux d’un narrateur incapable de se retenir devant les toilettes communes occupées par un autre locataire, le temps d’une vidange qui procure la félicité (page 230, Edition Librairie des Ecoles). Dar Chouafa, avec ses occupants qui sentent la misère, avec leurs préoccupations quotidiennes et les problèmes nés de la promiscuité et de l’utilisation de l’espace, serait la boite à dimension de bâtiment et ses occupants ses merveilles. Si la Chouafa contrôle l’accès à la maison puisque tout transite par elle, les occupants du premier et du second étage ont l’avantage de la surplomber, de la dominer. A une échelle encore plus grande que celles évoquées plus haut, l’œuvre elle-même, prise dans sa globalité laisserait penser qu’elle est la boite et l’ensemble des personnages, ô combien nombreux !sont les merveilles de cette boite. Nous avons donc d’une manière ou d’une autre, selon le regard du narrateur, ou celui du lecteur , ou encore celui de l’analyste ,trois boites d’échelles différentes , car chaque échelle est à la dimension de celui qui la conçoit ; trois boites imbriquées l’une dans l’autre, selon un ordre de grandeur croissant. De la boite à cabochons de Sidi Mohammed aux boites à merveilles que sont Dar Chouafa comme habitat et l’œuvre comme récit d’événements. La première constitue la norme, les secondes l’écart ; la boite à cabochons le vulgaire, les autres le noble et le sublime.
Ce qui semble vrai pour l’ensemble des trois boites est vrai pour l’ensemble des récits qui composent cette œuvre narrative constituée de récits effrités, accolés les uns à la suite des autres le plus souvent sans lien narratif apparent et le tout greffé sur un seul récit qui gouverne l’œuvre dans sa globalité. Les récits sont nombreux et disparates ; à profusion de récits, grouillement de personnages à dominante féminine ; ce sont surtout des récits de bonnes femmes qui passent le plus grand de leur temps à papoter, à se chuchoter des secrets de femmes dans les coins obscurs des chambres que la clarté du jour a quittés. Seul le récit de Lalla Aicha et de son mari obéit aux lois qui gouvernent la narration. Lui-même souffre de l’éclatement que lui font subir les différents narrateurs qui se relaient : Lalla Aicha, Lalla Zoubida, Salama la marieuse, Zhor la coquette. Cette perspective a l’avantage d’ouvrir des foyers narratifs différents et par conséquent des points de vue différents sur un même événement. Le récit de Lalla Aicha commence avec le deuxième chapitre et finit avec la fin du roman. Il est le seul récit de cette envergure avec une situation initiale, un nœud et un dénouement.
L’histoire de la boite à merveilles est donc l’histoire de Lalla Aicha et de son mari Moulay Larbi et non celle de Sidi Mohammed le narrateur de six ans car tout au long du déroulement des faits, ce jeune personnage n’évolue ni sur le plan affectif ni sur le plan social ni sur le plan de la maturité : il a six ans au début du roman, il en a six à la fin.
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