COLONEL MOHAMED MELLOUKI : L’IMAGE GRISE DU GÉNÉRAL MEDBOUH
COLONEL MOHAMED MELLOUKI 11/11/2014
LE JOURNAL : LA 2ème LECTURE :
L’IMAGE GRISE DU GÉNÉRAL MEDBOUH
Dans l’avant dernier article relatif aux deux raisons de l’échec de la tentative de Skhirat, j’ai dit que je gardais de Medbouh une image ni positive, ni négative, plutôt grise. Je vais en donner, ici, la raison, en remontant à la période 1965-1967, passée à Fes, où, jeune lieutenant, j’ai assumé mon premier commandement de la compagnie de gendarmerie, à ma sortie de l’EOGN- école des officiers de la gendarmerie nationale française de Melun- À l’époque, le Roi, souffrant de problèmes oto-rhino laryngologiques y venait souvent pour des cures thermales à Mly Yacoub et Sidi Hrazem, accompagné régulièrement du Dr Hadi Messouak, le célèbre O.R.L et aussi membre de la direction du parti communiste, et proche de Ali Yata. Durant ces séjours, je passais des journées entières au Palais, avec le général Gharbaoui, directeur des aides de camp. C’était lui qui gérait les déplacements du Roi et de la famille royale, et j’étais tout naturellement en charge des escortes afférentes. Souvent, j’étais appelé à cet effet tôt le matin, et la mission ne commençait que dans l’après midi ou même parfois plus tard. Pratiquement, journellement le général Medbouh y arrivait entre 10 et 12h, toujours droit dans ses bottes, raide comme un balai, la tête haute et visage fermé. Autant il répondait sensiblement d’un coup de tête aux saluts des militaires, autant il ignorait les ‘ bonjour, mon général !’ qui fusaient sur son passage, accompagnés de courbettes obséquieuses d’un nombre de ministres qui se relayaient quotidiennement sur les lieux, convoqués par le monarque, et s’ennuyant à mourir, tuant leur temps à faire d’interminables navettes, espérant que quelqu’un vînt les distraire ou leur tenir compagnie, en leur racontant n’importe quelle sornette. Ils souffraient d’isolement et de peu de considération. C’était à la fois risible et dramatique. Seul Oufkir y venait rarement, était aussitôt introduit et repartait illico après l’audience royale.
Je trouvais Medbouh infatué outre mesure et maladivement méprisant. Je ne l’ai jamais vu serrer la main ou adresser parole à quiconque. Sa proximité avec le Roi jusqu’au dernier jour de sa vie, entrecoupée d’éphémères passages à la tête de la Gendarmerie, et conjointement gouverneur de la province de Taza durant les événement du Rif en 1958-1959, avant sa nomination comme ministre des PTT- avant le général Driss Ben Omar, ont dû l’influencer et lui faire perdre la tête jusqu’à croire qu’il avait acquis l’étoffe d’un Homme d’État et pouvait légitimement se présenter quelque peu en ‘ salut public’ appelé par la providence à sauver, sinon la Nation, du moins un État en perdition.
Medbouh, comme Aababou et tant d’autres d’ailleurs par la suite, jusqu’à l’heure actuelle, a dû prendre ses petites glorioles pour du charisme et des auras légitimes. Il faut dire qu’à cette période, les putschs militaires étaient en vogue, en Amérique latine, en Asie et en Afrique subsaharienne; et tout général ou colonel y était perçu comme un putschiste potentiel. Au Libéria, ce fut même un sergent, Samuel Doe, qui prendra ; après, le pouvoir. Au Maghreb, Khaddafi, jeune capitaine, était tout récent et pas loin, et ‘ le colonel de maquis’ Boumediene encore plus proche.
Medbouh n’était certainement pas commode et encore moins un démocrate, mais ne semblait pas, pour autant, avoir une âme sanguinaire. Par rapport à Aababou, il se voulait, probablement, une sorte de ‘dictateur éclairé’, s’il y en a jamais eu. Mais ‘son Maroc’ n’était assurément pas celui de la Nation encore éblouie par l’aura de Hassan II dont une inlassable propagande médiatique projetait une sorte d’image de ‘ Roi Soleil arabo musulman’. Avait-il un coté intrinsèque positif ? Probablement sa rigueur morale, et donc la probité que beaucoup d’officiers lui reconnaissaient, et qui aurait motivé son indignation dans l’affaire de la PANAM. Lorsque j’ai glissé à Mme Medbouh un mot à ce sujet lors de ma discussion avec elle à Tanger- voir l’article correspondant- elle a esquivé la question. L’affaire était certes intolérable, et Hassan II ne semblait pas décidé à sanctionner. Il se rattrapera après Skhirat, mais il était vite apparu que la forme avait prévalu sur le fond. S’il avait donné un vrai coup de barre à cette époque, où la corruption était considérée dans l’opinion publique comme une infamie et les corrompus pratiquement indexés, sûrement que tout le monde aurait pris le bon pli et le pays ne se serait pas trouvé devant l’ampleur que prendra, par la suite, la dépravation au regard de laquelle l’affaire de la PANAM paraîtra vite comme une goutte d’eau dans l’océan.
La probité a toujours été, certes, une denrée rare, et à voir où en est le Maroc à l’heure actuelle sur ce plan, on peut déduire aisément qu’il faut la chercher à la loupe. Suffisait-elle, pour autant, à destiner Medbouh à la conduite de l’État et à l’incarnation de la nation ?. Avec qui aurait-il gouverné ? Avec un quarteron de généraux intellectuellement limités et politiquement aussi nuls les uns que les autres ? Avec la fraîche Droite, née pourrie, par césarienne, dont l’unique référentiel politique se limitait à dénigrer et faire contrepoids au Mouvement National, et dont certains membres, semble-t-il, figuraient parmi les mis en cause dans l’affaire de la PANAM ? Avec l’Opposition, globalement menée par des leaders historiquement authentiques, encore bien structurée et tenace en dépit des fréquents coups de canif, et parfois de sabre quasi mortels, portés par le régime, laquelle aurait encore préféré hiberner sous ‘la chape de plomb’ ambiante à l’époque plutôt que de bénir une junte militaire dont elle ne pouvait attendre que le pire ?
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