limite du pouvoir discrétionnaire en matière de nomination et de décharge de la responsabilité du corps enseignant
Mbarki benyounes
Chercheur en droit public
limite du pouvoir discrétionnaire en matière de nomination et de décharge de la responsabilité du corps enseignant
حدود السلطة التقديرية في مجال الاعفاء من المهام
Bien que l’administration soit dotée d’un pouvoir discrétionnaire en matière de décharge, le juge administratif va démontrer que ce pouvoir n’est plus absolu et sans contrôle mais il est limité dans des cas précis .Cette limite peut être manifestée dans deux cas : en cas de nomination (A) et en cas de décharge (B).
A- En cas de nomination
Le juge exilique que la nomination dans une mission après l’écoulement d’une durée de soixante jours devient un droit acquis et que l’administration ne jouit plus de pouvoir discrétionnaire pour revenir sur son acte de nomination. Ceci est clair dans l’affaire suivante :
Attar Ali a été nommé comme directeur au lycée al Arbi Bannani à partir du30 mai 1991. Il a reçu un acte administratif n° 84 540 du 12/10/1991 visant l’abrogation de son acte de nomination, au motif qu’il a été révélé, après une année, que le requérant n’avait pas répondu aux conditions requises pour exercer la mission d’un censeur. Le juge a déclaré :« Attendu que la protection des droits acquis fait partie des droits qui interdisent l’administration de revenir sur ses décisions prises dans le cadre des lois et des règlements ,les bénéficiaires ont le droit de jouir d’une situation administrative sauf dans des exceptions et selon des conditions…… ;
Attendu que si le retrait d’un acte administratif est dû à son illégalité qui exige une annulation pour excès de pouvoir, ce retrait doit être effectué dans le délai de recours pour l’annulation déterminée par la Court suprême, sauf en cas où l’intéressé a suivi des voies illégales pour parvenir à cette acte ;
Attendu que le retrait a eu lieu le 12 septembre 1991, après l’écoulement de plus de 60 jours contrairement aux dispositions de l’article 360 de la loi de code de la procédure civile (….).Et par conséquent l’acte attaqué constitue une violation du principe des droits acquis et doit faire l’objet d’annulation ».
Dans le même ordre d’idée ,le tribunal administratif de Rabat va expliquer que si l’administration détient un pouvoir discrétionnaire en matière de décharge de responsabilités, il le perd en matière de nomination et par conséquent son pouvoir devient limité.
Dans le jugement n° 976 du 2003, le juge prononce : « Il est incontestable que la charge et la décharge d’une mission rentrent dans le pouvoir discrétionnaire de l’administration et par la suite elle peut mettre fin à ses missions dès qu’il parait nécessaire .Toutefois , il faut faire la différence entre l’acte de la charge en mission et la nomination dans un cadre administratif qui est soumise à des normes bien déterminées , car la nomination dans ce cas, fait perdre à l’administration son droit d’utiliser son pouvoir discrétionnaire et par conséquent il lui sera impossible de revenir sur l’ acte de cette nomination sauf dans le cas de l’existence des motifs qui l’expliquent ;
Attendu que même si la nomination contredit les disposition en vigueur, étant donné que la nomination dans la mission de la surveillance générale de l’externat n’a été effectuée que sur la base d’un concours concernant les candidats titulaires du baccalauréat, en vertu de l’article 81 du décret n2.85.742 du 4/10/1985 relatif au statut particulier du personnel du ministère de l’Education Nationale ,cela ne justifie pas le retrait du dit acte après l’écoulement d’une durée de 13ans ;
Attendu qu’en vertu de ces données, l’acte attaqué visant le retrait implicite de l’acte de nomination du requérant dans le cadre du surveillance à Mouha et Hmou,à la délégation de Beni Mellal, après l’écoulement de ce temps, fait l’objet d’annulation ».
B – En matière de décharge
A partir de 2005 ,après l’arrêté ministériel qui a imposé des normes bien précises pour l’accès au poste de responsabilité , le juge administratif va ,cette fois ci, exercer plus de contrôle sur le pouvoir discrétionnaire en matière de nomination dans les postes de responsabilités et adopte une position claire et nette et n’accepte aucune décharge de la responsabilité hors des règles précises et suivant une procédure bien déterminée.
Ce qui va être expliqué dans l’affaire Mohamed Chini . Ce dernier a été déchargé de ses missions comme surveillant général du collège Moulay youssef , en vertu des dispositions de l’arrêté ministérielle du 28 mai 2001 relatif au mode d’attribution des postes d’administration aux établissements primaires et secondaires au délégation Hawz. Cette décharge a été la conséquence des fautes graves qu’il a commises dans sa mission, telle que la falsification des notes de l’examen des élèves .
Le juge a décidé « Attendu que la charge et la décharge d’une mission rentrent dans le pouvoir discrétionnaire de l’administration, il est bien considéré par la doctrine et la jurisprudence que ce pouvoir est parfois lié et il n’est pas absolu, comme c’est notre cas, (….. )Quand la charge d’une responsabilité est prise sur la base des conditions et normes bien déterminées, l’administration n’a pas droit de décharger le fonctionnaire de sa responsabilité sauf s’il est prouvé qu’il a commis des fautes administratives ou professionnelles ,qu’il a commis des crimes sanctionnés par le droit de la loi pénale ou s’il a fait preuve d’insuffisance professionnelle et cela sur la base d’un rapport d’inspection objectif caractérisé par l’impartialité et la neutralité » . En ajoutant que dans ces cas « L’administration ne possède pas le droit de décharge sans motiver ce dit acte, contrairement à ses actes dictés dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire qui n’obligent pas l’administration de les motiver étant donné que l’acte de nomination dans une mission n’est pas créateur d’un droit acquis » .
Ce qui attire notre attention dans ce jugement, c’est le fait que le juge a insisté sur la motivation de l’acte de la décharge par l’administration. Chose qui nous donne l’impression que la nomination à un poste de responsabilité est créatrice de droit et par conséquent il peut devenir un droit acquis.
si nous adoptons la position du juriste Charles Debasch, tous les actes administratifs doivent être motivés ,c’est à dire être justifiés par des raisons de fait ou de droit . Mais si nous revenons à notre cas, nous pensons autrement car l’article 1 de la loi relative à la motivation des décisions administratives , précise que l’administration de l’Etat, les collectivité locales, les établissement publics et les organismes chargés de la gestion de service public sont tenus de motiver les décisions administratives individuelles défavorables à leur destinataires .
Partant de cela, nous pouvons être portés à considérer que toute décision individuelle relevant du pouvoir discrétionnaire de l’administration est de nature à être défavorable et doit être motivée. Mais l’article 2 de la même loi n’a pas exclu ce qui ne doit pas être motivé mais il énumère les actes qui tombent sous l’empire de l’obligation de motivation.
Dans l’article 2, le législateur a énuméré les décisions administratives individuelles défavorables qui doivent être motivées. Elles ont trait à six domaines des relations de l’administration avec les administrés, donc nous allons les citer pour la réflexion sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de nomination à des postes de responsabilité :
« – Les décisions liées à l’exercice des libertés publiques ou celles présentant un caractère de police administratives ;
– Les décisions administratives qui infligent des sanctions administratives ou disciplinaires ;
– Les décisions administratives qui subordonnent à des décisions restrictives particulières, l’octroie d’une autorisation, d’une attestation ou de tout autre document administratif, ou imposent des sujétions non prévues par la loi ou le règlement
– les décisions qui attirent ou abrogent une décision créatrice de droits ;
– les décisions administratives qui opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance de droit ;
-Les décisions administratives qui refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions pour l’obtenir ».
Nous constatons que le législateur n’a pas imposé l’obligation de motiver tous les actes administratifs à l’exception de quelques uns, mais il a plutôt défini des catégories bien précises de décisions, à l’exclusion desquelles l’obligation de motivation ne s’impose pas.
Bref , la non motivation constitue toujours la règle et ce ne sont que les actes visés par les lois qui en font l’exception , de ce fait il ne suffit pas que la décision soit individuelle et défavorable mais encore faut- il qu’elle relève de l’un de six domaines qui sont visés et ne soit pas relative à la sureté intérieure ou extérieure de l’Etat ou dictée par la nécessité ou des circonstances exceptionnelles ,donc nous devons convenir que l’obligation de motivation ne saurait s’étendre à tous les actes administratifs.
En procédant à l’énumération des cas de motivation , nous pouvons déduire que l’acte administratif déchargeant un fonctionnaire de la mission dont il est investi, ne constitue pas un acte soumis à l’obligation de motivation, il importe aussi de préciser que le destinataire de la décision doit être dans une situation juridique protégée par le droit, en ce sens que le droit dont il se prévaut doit être lui reconnu par un texte législatif ou réglementaire et que l’administration ne peut lui retirer sans raison.
La nomination dans un poste de responsabilité n’est pas un acte créateur de droits au sens de droit acquis .Il ne s’agissait ni d’une révocation ni d’une sanction disciplinaire .c’est ainsi que le tribunal de Casa Blanca dans son jugement Chtaibi du 29decembre 2004, a du raisonner pour considérer à juste titre « Qu’il est constant en doctrine et en jurisprudence administrative que l’administration jouit en principe d’un pouvoir discrétionnaire en matière d’octroi des missions ou des responsabilités ou de les retirer tant qu’elle n’a pas un pouvoir lié sur la base des textes réglementaires qui déterminent les conditions et les critères pour accéder à un poste dans le cadre de la mission ou de la responsabilité ……. ».
C’est dans le même sens que s’oriente la jurisprudence française. « Considérant que la décision mettant fin aux fonctions d’agent à un poste de responsabilité n’a pas à être motivé eu égard au caractère essentiellement révocable de la fonction».
Dans un autre jugement, a été expressément considérée comme non créatrice de droits, la décision révocable à discrétion d’un membre faisant partie d’un comite consultatif .
Nous constatons que depuis l’affaire Chini précitée, le juge a commencé à chercher les vrais motifs derrière la décharge d’un directeur de sa responsabilité , chose qui être confirmée par la cour d’appel de Rabat dans son arrêt Bouaaza Oujil .
A la suite de changement de la place de centre de formation des instituteurs où il exerçait son travail comme responsable des services économiques , le requérant a été appelé à libérer le logement fonctionnel mais il a refusé au motif que le dit logement appartient au domaine public et non au ministère de l’ Education nationale .
Il a été surpris d’une inspection concernant la gestion matérielle et financière du centre dont il a été responsable et par conséquent il a reçu une demande d’explication à laquelle il a répondu pourtant l’ administration l’a déchargé de sa responsabilité .
Le juge déclare « L’administration n’ a pas le droit de demander au fonctionnaire de liber le logement avant de le décharger de sa responsabilité et avant qu’ elle s’assure des manquements à ses obligations qui lui sont attribuées . Ce qui prouve que le refus de libérer le logement était la vraie cause derrière sa décharge et non les fautes qui lui sont attribuées, ce qui constitue un acte entaché d’ excès de pouvoir qui doit encourir l’annulation à cause de détournement de pouvoir ».
La même position a été confirmée par la cour d’appel de Rabat dans l’affaire A A « Attendu que d’après ce qui est précité, la visite effectuée, par une commission, qui a donné naissance aux rapports objets de recours, a été détournée de son but prévu ;par conséquent l’acte de décharge est entaché de l’excès de pouvoir ».
De même le tribunal de Rabat a annulé un acte de décharge concernant un directeur de lycée Al Baroudi relevant du délégation al Hay al Hassani pour excès de pouvoir, car les fautes qui ont été attribuées au requérant, concernant la gestion des examens du baccalauréat , restent des arguments non fondées.
En revanche, le juge administratif a expliqué que l’administration, peut fonder son acte de décharge sur un seul motif , même s’il existe d’autres .En effet dans l’affaire M . H qui été chargé de la direction du secteur scolaire Moquawama à la délégation d’Errachidia , l’intéressé a été déchargé de sa mission par un acte émanant du directeur de la gestion des ressources humaines suite à un rapport de l’inspection régionale exposant plusieurs fautes professionnelles.
Le requérant allègue qu’il n’a pas reçu des explications mais le juge a rejeté sa demande en prononçant « Attendu que dans notre cas le rapport d’inspection confirme les absentéismes répétés du requérant ; chose qui constitue une cause directe de la mauvaise gestion de l’école… L’acte de décharge est justifié, car l’absentéisme est une cause suffisante de décharge sans l’évocation d’autres ».
Néanmoins,le juge administratif peut annuler un acte de décharge basé sur des généralités et sans produire des explications au requérant pour se défendre. En effet dans l’affaire CH. M ,en tant que directeur de collège Mohamed Dokali à Salé et qui a été déchargé de sa mission sur la base d’un rapport de l’inspection , le tribunal de Rabat a décidé « En ce qui concerne le vice de la violation de la loi ;l’acte de décharge est pris sur la base des fautes professionnelles mais le droit de la défense exige la production des explications pour s’assurer de la véracité de ces fautes avant la prise de ladite décision ;
En ce qui concerne le vice de l’absence de motifs, tant que la charge de la preuve de la matérialité des faits et de la qualification juridique incombent à l’administration, alors que dans l’affaire en l’occurrence ,l’acte s’est basé sur des motifs généraux et abstraits car l’administration n’a pas démontré les manifestations des fautes imputées au requérant comme elle ne l’a pas prouvé par des moyens légaux et par conséquent l’acte est illégal et mérite d’être annulé »
Il a fallu attendre le fameux arrêt Moulay Tayeb Ramdani daté du 10/10/2012 , qui , en qualité de chef de service des examens à l’académie de l’oriental, a été déchargé par le directeur de l’académie, pour qu’on puisse confirmer que le pouvoir discrétionnaire en matière de décharge n’est plus absolu mais il devient lié ,grâce aux textes réglementaires qui ont soumis la nomination dans des postes de responsabilité à des conditions rigoureuses .
En effet, la Court d’appel de Marrakech a confirmé que« l’attribution des postes de responsabilité qui est basée sur une note réglementaire exigeant des conditions et des critères pour les candidats , rend le pouvoir de l’administration en matière décharge de ces responsabilités , non discrétionnaire mais plutôt lié négativement ou positivement par l’obligation de la disparition de ces mêmes conditions et de ces mêmes critères qui sont adoptés, dans la note académique qui a constitué la base de sélection du requérant dans cette responsabilité».
En guise de conclusion,il convient de noter que le présent travail porte sur la protection du corps enseignant fournie par le juge administratif en matière de décharge de la responsabilité.
S’agissant du juge administratif, on peut avancer sans verser dans un optimisme démesuré qu’il a joué un rôle assez important ,mais toujours perfectible dans la défense des droits de l’enseignant en matière de décharge .
C’est grâce à la jurisprudence que le pouvoir discrétionnaire de l’administration est devenu lié.
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1-C.S.A. , arrêt n° 239 bis du 15 octobre 1992 , Bahadou ,les problèmes du corps enseignant à travers la jurisprudence…… ,op .cit ,p .175 .
2- T.A., Rabat, jugement n 976 du 29 juillet 2003, dossier 196/02 Malika Skhoukh, « la légalité des actes administratifs »,1er édition année 2011, p. 228 .(en arabe).
3 -arrêté ministériel n°764.0 4(24 .4.2004 ) B.O n°5227 (2004) modifié par l’arrêté n°80.05 (14.1.2005) B.O n°5297(2005).
4 – T.A, Marrakech, jugement n°12 du 31 Janvier 2005 Abdalatif Chini C/ MEN. REMARC, n°3/4, 2005 p .369.
5 -Charles Debasch « institutions et droit administratifs, l’action et le contrôle de l’administration » ,tome II 1er édition 1978 collection Thémis p137 .
6 -C.E. 14 mai 1986 ,syndicat national des cadres hospitaliers CGT-FO R.p .351 cité par Mohamed Amine Benabdellah « le pouvoir discrétionnaire de nomination et l’obligation de la motivation des décisions administratives, note sous T. A., Casa Blanca , 29 décembre 2004 ,Chtaibi »
7- T.A ,Amiens ,8 Octobre 1985 ,Broutin c / MEN , GAZ ;Pal. 1987 ;I ,. P.68 ; cité par M Nabil Benabdellah, op. cit .p.5
8 – C . A ,appel Rabat, arrêt n °757 du 24 octobre 2007 , AJR c / Bouazza Oujil , revue al Mourchid attadamouni année scolaire 2008 / 2009.p.73.
9-C.A de Rabat arrêt n475 du 9avril 2008 Directeur de l’académie de Casablanca /A A (non publié)
10 -T,A., Casa Blanca, jugement n°1836du 7 juin dossier n 5/11/294 , Revue al Mourchid Attadamouni année 2012 /2013, p. 92.
11- T.A.,Rabat, jugement n°1511 du 20 mai 2010 M H c /M.E .N, (non publie) .
12 -T.A., Rabat, jugement n° 2759 du 7 Octobre 2010 Ch A c /M.E.N ( non publie)
13 -C .A ,Marakech ,arrêt n°914du 10octobre 2012, académie de l’oriental c/Ramdani Moulay tayeb (non publié)
1 Comment
La responsabilité actuellement dans le domaine de l’enseignement évoque plusieurs contraintes et litiges . Plusieurs responsables ont était victimes en raison de la mauvaise conception des textes juridiques , manque de motivation et des attributions claires et précises , parfois on exerce des missions contraires ce qui laisse la responsabilité en question