Eléments de description romanesque
tayeb zaid
‘’Je pourrais dire au lecteur : Allez la voir ( la grand’salle du Palais) ; et nous serions ainsi dispensés tous deux, moi d’en faire, lui d’en lire la description telle quelle’’. Dans cette phrase, riche en enseignements, Hugo en personne, en sa qualité d’auteur, s’adresse directement à son lecteur, d’auteur réel et bien existant à lecteur virtuel imaginaire, au moyen d’un impératif à travers lequel il lui demande qu’il a décrit la grad’salle du Palais telle qu’elle est dans la réalité et qu’il peut vérifier de lui-même la fidélité entre la description comme objet linguistique et les éléments du lieu comme architecture dans leur réalité concrète. Ainsi donc, il pourrait de visu confronter ce qui est écrit sur une page d’un livre avec ce que cela représente en éléments architecturaux. D’un autre côté, la description que Hugo a faite de la grand’salle du Palais lui a pris beaucoup de temps et d’efforts, que s’il était possible que le lecteur eût été de chair et d’os tout comme il l’est lui-même, il pourrait venir la voir sur place ce qui éviterait au premier les fatigues d’une description fastidieuse mais nécessaire et au second les efforts inutiles de la lire.
Il convient de rappeler dans ce propos que la description est un arrêt, une pause, un temps mort où rien ne se passe. Cette absence d’action et de dynamisme permet au lecteur de se préparer à la mise en marche de la narration qui est mouvement et vie ou à reprendre haleine après les nombreuses péripéties qu’il venait de vivre. Le narrateur, lui, a besoin de tempérer, de prévoir des arrêts pour donner au lecteur le temps de se retrouver, d’organiser ses idées, de rassembler ses esprits : c’est une halte, une aire de repos, un moment de détente qu’il peut exploiter à profit pour reprendre sa route vers de nouvelles aventures qui l’attendent. La description est nécessaire au narrateur. Elle lui permet de mettre en place un espace où vont se mouvoir et évoluer des personnages qui vont jouer la scène avec leurs qualités et leurs tares, physiques et morales. Cet espace ressemble en quelque sorte à un chapiteau de baladins où les spectateurs sont les lecteurs. Le narrateur- dans ce passage, c’est Hugo lui-même, en sa qualité d’auteur- prend tout son temps pour décrire la grand’salle dans ses menus détails et comme elle existe réellement, il invite le lecteur à ‘’aller la voir’’- si c’était possible – pour voir de lui-même la concordance de la description comme espace linguistique et le lieu comme monument architectural. Or, comme le premier est réel et le second virtuel, la description du lieu doit être écrite par l’un et lue et appréciée après coup par l’autre.
Le lecteur, lui, aime beaucoup plus les passages narratifs que descriptifs. En effet, la description est un espace clos alors que la narration est une ligne et comme telle, elle est ouverte d’amont en aval, avec ses évènements qui évoluent sur l’axe chronologique. Les descriptions ont le tort de ralentir le déroulement des faits, de retarder l’action c’est pour cette raison qu’elles sont ennuyeuses pour le lecteur. Autant l’auteur cherche à se distinguer, à montrer ses talents dans l’art de décrire avec minutie, lieux, personnages, scènes animées, autant le lecteur, de son côté cherche à se libérer de cette tare dont la seule utilité serait d’alourdir encore plus le récit. Aussi, certains lecteurs, pour des besoins d’économie de temps et de précipitation du récit d’évènements, il saute les passages descriptifs qu’il juge inutiles aux déroulements des faits.
La description, il est vrai, sert à instaurer un peu d’équilibre dans un récit entre dynamisme et inertie, entre pause et marche, entre vie et mort. En plus de sa fonction expressive dont j’ai parlé de manière sommaire, elle a une fonction esthétique, ornementale. C’est dans la description que se reconnait le grand auteur. Qui lira Le Père Goriot retiendra madame Vauquer en tant que personnage et la pension Vauquer en tant que lieu de rencontre de personnages, par exemple.
Je me suis demandé jusqu’à une certaine époque pourquoi les descriptions de Hugo, Balzac et Zola s’étendent sur plusieurs pages ? Pourquoi, pour parler de mon expérience personnelle, je sèche au bout d’une page, comme disent les écoliers dans leur langage scolaire ? Si l’environnement est généreux ou aride, la description se fait généreuse ou aride.
1-Notre dame de Paris, Victor Hugo, Le livre de poche classique, Page 66
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