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Extrait 1 de mon second roman ‘’El Gasir de la honte’’ pages 38-39-40

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Tayeb Zaid


D’autres souvenirs plus douloureux et moins précis se précipitaient dans sa tête de vieux soldat rescapé de plusieurs guerres. Ils se chevauchaient ! « Un vétéran, » disaient certains. « Un ancien combattant, » disaient d’autres. « Il a sept vies, ce Ba Hoummad, comme les chats, » disaient les plus enthousiastes. Ses camarades d’armes avec qui il avait fait la guerre d’Indochine et la Grande Guerre avaient tous succombé sur le front. Ils auraient dû être de l’autre côté de la ligne de feu ! Le canon du fusil face à la France et aux soldats français !
— « Des soldats français sur le front ? Vous rigolez, il n’y en avait pas ! Ils sont restés dans les colonies à piller nos richesses, à massacrer nos hommes, nos femmes et nos enfants pendant qu’on faisait la guerre à leur place. Oui, nous avons fait la guerre par procuration pour la France et les Français. Il n’y avait plus de Français en France. Ils l’avaient fuie pour la laisser à Hitler qui paradait avec ses soldats sur les Champs Elysées, au pied de la Tour Eiffel et de l’Arc de Triomphe ! Ah ! Si l’Obélisque pouvait parler ! Que dirait-il de la France et des Français qui l’avaient dépareillé, dépaysé et abandonné à la souillure ! Fuir son pays pour l’abandonner à l’ennemi ! Voilà la chose la plus abominable qui soit ! Il faut être un traître et un sans âme pour faire ça ! BakoumHoummad que voici, se battrait pour son pays jusqu’à la dernière balle et jusqu’au dernier souffle ! Et quand il n’y aura plus de balles dans son fusil, il l’utilisera comme matraque ou gourdin pour assommer l’ennemi. Pas comme ces Français qui ont abandonné leur pays pour aller se réfugier dans les colonies ! Ceux qui avaient fait la guerre, ceux qui étaient sur les premières lignes des champs de bataille, ceux qui sont morts pour la France et les Français, c’étaient les goumiers, les harkis, les zouaves, les spahis et les tirailleurs noirs qu’on appelait “Lalijou”. Tous les soldats qui étaient au front avaient la peau brune ou noire. Il n’y avait ni blanc ni blond parmi nous avec un fusil sur l’épaule ou une mitrailleuse entre les mains. Ils étaient bien loin de la ligne de feu à donner des ordres qu’une estafette à la peau noire ou basanée venait transmettre aux soldats qui les exécutaient maladroitement. On ne parlait pas la même langue. Les consignes passaient mal mais on tirait quand même mieux au fusil et au canon.
Maudite France ! Mes camarades d’armes ont laissé leur vie pout toi ! Ah ! Si c’était à refaire ! Ah ! Si on savait ! Ah ! Si on pouvait ! Nous sommes allés si loin de notre pays pour nous battre contre un ennemi qui ne nous a fait aucun mal, alors que l’ennemi était parmi nous et chez nous ! Ah ! Maudite France ! Mes camarades d’armes sont morts pour toi. Ils ont été enterrés dans des fosses communes, côte à côte avec des mécréants et des sans foi, sans pierre tombale, sans nom, sans épitaphe sur laquelle devrait être écrit “Oh ! Toi que voilà debout devant ma tombe, fais une prière pour que je bénéficie de la pitié et de l’indulgence de Dieu.” Qui se recueillera sur leurs tombes ? Qui priera pour leur âme ? Bon Dieu ! On aurait dû être de l’autre côté de la ligne de feu ! Le canon de nos armes face à la France ! Quelle stupidité !’’
D’autres pensées plus cruelles encore le torturaient et le tourmentaient. Il se leva, donna quelques coups de canne au sol et s’en alla sans mot dire, le regard vide, le cœur plein de remords et de rage, la tête de souvenirs douloureux. Les paysans le voyaient leur tourner le dos et s’en aller sans se retourner. Ils avaient l’habitude des scènes de colère de cet homme qui avait beaucoup de peine sur le cœur et dont il voulait se libérer. Il n’avait ni femme ni enfants. Il n’avait ni terre ni bétail. Il vivait seul dans sa hutte avec ses souvenirs. Il voulait bien partager les histoires qu’il avait vécues dans des pays lointains avec les paysans des villages voisins qui venaient l’écouter les leur raconter. Certains d’entre eux le prenaient pour un vantard ou un menteur, d’autres pour un écervelé ou un toqué. Quand les paysans étaient entre eux, les plus malins le caricaturaient. Ils mimaient ses gestes, sa voix et sa démarche. Ils pouffaient de rire tellement ils le trouvaient drôle avec sa canne. Quant à Ba Hoummad, il aimait être écouté et cru sur parole parce qu’il ne mentait pas sur ses faits d’armes et de courage, ses sorties nocturnes du campement, ses amourettes avec les filles des villages voisins. Il avait l’impression que ces paysans qui n’étaient jamais allés au-delà du périmètre de la commune d’Ilma se payaient sa tête. Si seulement ils le laissaient leur raconter ses histoires restées gravées dans sa tête, ça le libérerait, ça le soulagerait ! Les vieux soldats sont comme les vieux matelots. Ils vivent de faits de guerres ou d’aventures sur les mers et les océans. Ils ont horreur d’être contredits ou démentis. Il se disait parfois qu’il était capable de commettre un crime contre l’une ou l’autre de ces bourriques de paysans qu’il voyait sourire de manière sournoise, mais il se retint. Il tempérait ses accès de colère en tapotant le sol avec sa canne.
Zaid tayeb

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