A L’APPROCHE DU Xème ANNIVERSAIRE DU DISCOURS ROYAL DU 6 NOVEMBRE 2005, OÙ EN SONT LES DROITS POLITIQUES DES MRE ?
I- Un discours royal fondateur
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat, chercheur spécialisé en migration
Évaluée fin octobre 2015 à quelques cinq millions de personnes, La communauté marocaine à l’étranger, manifeste une très forte demande linguistique, culturelle et cultuelle et sans que d’ailleurs, une offre adéquate ne soit présentée par les institutions marocaines concernées. Mais la dimension politique ne doit pas être minimisée ou marginalisée voir même occultée, comme continuent à le faire les responsables gouvernementaux et institutionnels, au CCME en particulier. La demande démocratique est également intense, nécessitant une offre précise et sa concrétisation réelle du coté gouvernemental marocain, alors que S.M le Roi Mohammed VI y a répondu de manière magistrale à l’occasion du 30ème anniversaire de la Marche Verte.
Enjeux cruciaux
En effet, le discours royal du 6 novembre 2005, qui connaîtra son dixième anniversaire dans quelques jours, à l’occasion de la célébration du 40ème anniversaire de la glorieuse Marche Verte, renvoie à des enjeux centraux en termes démocratiques, politiques et de participation citoyenne. Ce discours fondateur concernant le dossier stratégique de la communauté marocaine établie à l’extérieur, qui a été traité par le Roi (et c’est tout un symbole), au même moment que la question de l’intégrité territoriale du Maroc, qui est la priorité numéro 1 du pays tout entier, marque un point de rupture dans le traitement de la question de l’émigration dans le débat politique marocain. Contribuant à l’œuvre de Réconciliation nationale du nouveau Règne, il constitue un tournant d’une très grande portée et une opportunité historique, qui a été accueillie avec un enthousiasme patriotique et un immense espoir.
En rendant solennellement considération et en permettant aux citoyens marocains d’ailleurs de participer à nouveau au suffrage universel, il a réparé une injustice et levé un tort concernant cette composante de la nation marocaine qui était, depuis 1993, privée du droit de vote et d’éligibilité au parlement, après la seule et unique expérience de représentation parlementaire qu’elle ait connue, durant la longue législature 1984-1992, avec cinq députés de l’émigration : Akka Ghazi (Usfp, circonscription électorale législative de Paris) ; Brahim Berbache (Parti du Centre Social, circonscription de Lyon) ; Marzouk Ahaïdar (Union Constitutionnelle, circonscription de Bruxelles) ; Naïm Abdelhamid (RNI, circonscription de Tunis) ; Rachid Lahlou (Parti de l’Istiqlal, circonscription de Madrid).
L’initiative royale du 6 novembre 2005, qui a fait l’objet d’une demande citoyenne pressante et insistante à l’intérieur du Maroc et surtout au sein de la communauté elle-même, à travers les sensibilités diverses de ses forces vives, démocratiques et militantes, et sous différentes formes depuis longtemps, (journées d’études, interventions dans les média, doléances, motions, pétitions, remises de mémoires, visites à des dirigeants politiques et groupes parlementaires des deux chambres, sensibilisation des décideurs, édition d’ouvrages en la matière, recours à la Cour suprême etc), devait permettre ainsi une avancée importante pour l’affirmation des règles démocratiques au Maroc.
Quatre décisions « importantes et complémentaires » selon les termes royaux ont été prises.
Quatre décisions
1- La première mesure revient à donner aux Marocains de l’extérieur la possibilité de se faire dûment représenter à la Chambre des Représentants.
2- La seconde décision, liée à la première, concerne la nécessité de créer des circonscriptions électorales législatives à l’étranger, pour permettre aux députés de l’émigration de siéger à la Chambre des Représentants. Cette disposition, devait bien entendu, être prévue dans la nouvelle loi organique concernant la première chambre du parlement, qui détermine notamment le nombre de sièges à pourvoir et celui des circonscriptions électorales à l’étranger, où les Marocains d’ailleurs devaient avoir le droit d’élire et de se faire élire. Dans le discours du 6 novembre 2005, le Roi a tenu à rappeler les fondements des décisions prises, en les liants à certains principes de droit. Il est dit explicitement, concernant le droit de vote et d’éligibilité ce qui suit :
«Il est à noter à cet égard qu’ils (les MRE) jouissent sur un pied d’égalité, des droits politiques et civils que confère la loi à tous les Marocains, dont celui d’être électeurs et éligibles dans le pays».
3- La troisième mesure prise, accorde aux nouvelles générations de Marocains vivant à l’étranger, le droit de voter et de se porter candidat. Bien entendu, cet aspect est déjà inclus dans la première décision, mais son énoncé à part renvoie en premier lieu à la nécessité d’associer les nouvelles générations de Marocains nées à l’étranger aux opérations électorales à l’intérieur même du Maroc dans le cadre des élections communales, avec l’objectif de consolider leur attachement à la patrie et le renforcement de leur participation dans le processus politique et démocratique du Maroc. L’énoncé à part de cette troisième mesure, peut être interprété en second lieu comme le signe de l’intérêt particulier accordé à cette catégorie de concitoyens à l’étranger, même s’ils portent une autre nationalité, en estiment qu’ils font partie intégrante de la nation marocaine.
Ces trois mesures devaient être intégrées dans le dispositif du code électoral en préparation par le gouvernement avant l’échéance législative 2007:
« Nous donnons à cette fin, instruction au gouvernement pour prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre de ces trois décisions, lors de la révision de la législation électorale ».
4- La quatrième décision annoncée dans le discours royal du 6 novembre 2005 est la mise en place d’un Conseil Supérieur de la communauté marocaine à l’étranger, qui fut également très bien accueillie.
Précisons que le contenu de ce discours royal du 6 novembre 2005, n’est pas constitué de vœux, de désirs, de promesses, de simples réflexions, orientations, indications ou recommandations, propositions ou suggestions, ni même d’une feuille de route. Mais ce sont des DECISIONS au sens politique et constitutionnel et qui sont contraignantes d’abord pour le gouvernement. Elles ont une valeur exécutoire d’autant plus que depuis le nouveau règne, des signaux très encourageants d’ouverture démocratique sur la communauté marocaine à l’étranger ont été donnés à plusieurs occasions dans des discours officiels.
Un choix mûri
Ainsi, dés le premier discours du Trône (30 juillet 1999) empreint de franchise et de parler vrai, le nouveau Roi, très sensible notamment à la dimension humaine, a répondu aux attentes des Marocains d’ailleurs, en ouvrant devant eux de nouvelles perspectives d’avenir, en donnant à leur secteur une forte impulsion politique : « Parmi les questions auxquelles nous accorderons également un intérêt particulier, figure celle de notre communauté établie à l’étranger, en réfléchissant sérieusement à aplanir les difficultés auxquelles elle est confrontée, en œuvrant à résoudre ses problèmes et à renforcer ses liens avec la Mère Patrie ».
Rappelons également les éléments de la stratégie globale, multidimensionnelle et intégrée, développée par le Roi Mohammed VI concernant les Marocains résidant à l’étranger, lors du discours du 20 août 2001, qui fut un message catalyseur, annonciateur d’initiatives d’envergure et un acte fondateur d’une nouvelle stratégie dans ce domaine. Les orientations royales, qui constituent des repères incontournables pour l’exécutif, concernaient notamment la nécessité « d’une participation au plus haut niveau aux institutions nationales ».
Ce choix stratégique a été réitéré dans le Discours du Trône du 30 juillet 2002, lorsque, s’agissant des Marocains résidant à l’étranger, le Roi Mohammed VI a déclaré : « Nous affirmons notre volonté de veiller à ce qu’ils tiennent la place de choix qui leur revient et jouent un rôle actif et efficace dans tous les domaines de la vie nationale. Nous voudrions aussi leur renouveler l’assurance de l’intérêt tout particulier que nous portons à leurs conditions de vie aussi bien à l’étranger, qu’à l’intérieur de leur patrie. Nous veillons, au même titre à ce que les organismes concernés répondent aux aspirations qui les animent et ce, dans le cadre d’une démarche cohérente, intégrée et porteuse ».
Dés lors, on ne peut affirmer comme l’ont avancé certains des opposants à la représentation parlementaire au Maroc des citoyens marocains à l’étranger, que ceux qui, au niveau du cercle rapproché, ont contribué à la conception du discours royal du 6 novembre 2005, ont induit le Roi en erreur, comme s’il s’agissait d’un problème purement technique dont les données ont été mal évaluées, comme l’existence ou non de nappes de pétrole au niveau de certaines régions..
Les décisions du 6 novembre 2005 sont au contraire éminemment politiques. Elles constituent la résultante d’un choix mûri et l’expression de convictions démocratiques profondes en direction des citoyens marocains à l’étranger, liées également aux demandes pressantes formulées selon plusieurs formes par la communauté marocaine à l’étranger depuis bien longtemps, montrant par là même, que ce dossier n’est pas récent ou nouveau et ne légitime nullement le discours gouvernemental qui prévaut encore fin octobre 2015, tendant à prendre tout son temps. Les gouvernements successifs depuis fin 2005, se devaient par conséquent d’exécuter ces décisions en passant à l’action.
Absence de suivi gouvernemental
A ce propos, et dans une démarche d’honnêteté intellectuelle, selon le témoignage même du porte-parole du gouvernement à la fin février 2006, celui-ci n’avait pas encore ouvert le dossier concernant les mesures concrètes à prendre et le dispositif juridique à préparer, en précisant également cet élément très important : « la participation des MRE aux élections fera l’objet de discussions avec leurs représentants » (point de presse de Nabil Benabdallah, MAP, 24 février 2006).
Dans le même esprit, le nouveau ministre de l’Intérieur, (à l’époque), Chakib Benmoussa, à l’issue d’une visite de travail en France, où il fut interpellé sur cette question par des membres de la communauté marocaine expatriée, déclarait à la mi-avril 2006, à propos des Marocains d’ailleurs, que : « c’est aussi une communauté qui, à travers le Conseil Supérieur de la communauté marocaine à l’étranger, à travers la représentation au niveau de Parlement, à travers le droit de vote et le droit à la candidature, cherche à être présente et à développer des liens institutionnels avec son pays d’origine » (voir « L’économiste » du 19 avril 2006).
Dans le même entretien avec la presse, il déclarait en substance que le gouvernement était encore préoccupé prioritairement par les discussions avec les partis politiques sur le mode de scrutin et qu’après accord, le dialogue sera ouvert, «dans quelques semaines ou mois» avec la communauté marocaine à l’étranger sur les aspects la concernant. Reprenons l’échange.
Question: « Les élections législatives marocaines, c’est en 2007, c’est-à-dire demain. Serez-vous en mesure d’être dans les temps pour organiser leurs modalités en ce qui concerne la communauté marocaine à l’étranger?».
Réponse: « Il y a un processus aujourd’hui qui est engagé. Nous menons actuellement une concertation avec les partis politiques, processus qui va être suivi d’une concertation avec la communauté marocaine à l’étranger pour identifier, pour apporter la réponse adéquate en termes de modalités de cette représentation, que ce soit à travers les mécanismes permettent d’exercer le droit de vote ou le droit de candidature de la communauté marocaine, ou encore à travers le processus de représentation au niveau du Parlement. C’est un calendrier qui démarre mais qui, dans les semaines et mois à venir, devrait s’accélérer ». (« L’économiste du 19 avril 2006).
DEMAIN : II- Un recul gouvernemental : « l’approche progressive »
Rabat, le 28 octobre 2015
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat,
chercheur spécialisé en
migration
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