LETTRE OUVERTE À M. LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS, PRESIDENT DE LA HAUTE INSTANCE DE LA RÉFORME JUDICIAIRE :
COLONEL MOHAMED MELLOUKI
JOURNAL-2ème LECTURE :
LETTRE OUVERTE À M. LE MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS, PRESIDENT DE LA HAUTE INSTANCE DE LA RÉFORME JUDICIAIRE :
La HIRJ que vous présidez planche actuellement sur l’un des chantiers les plus ardus de la mise en oeuvre de la Constitution actuelle. J’ai moi-même abordé le thème de la réforme judiciaire dans des textes précédents, dont mon Mémorandum que j’ai déposé le 2 mai 2011 devant la CCRC qui vient de le publier officiellement sur le Net. Bien que parmi les raisons qui m’ont amené à voter contre la Constitution figurent, précisément, certaines réserves relatives à l’indépendance et la réforme judiciaires telles qu’elles y sont formulées, je comprends, que ce texte, étant ce qu’il est, ne peut, sauf nécessité exceptionnelle, tolérer des amendements juridiques, à plus ou moins brève échéance, mais seulement des propositions qui viendraient en renforcer la teneur pratique. C’est dans cet esprit que je voudrai préciser que les articles 109 à 111 de la Constitution se veulent des dispositions de protection de l’indépendance individuelle des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions, et indirectement de leur âme et conscience. Cette protection est destinée à les mettre à l’abri de représailles fâcheuses sur leurs carrières. Toutefois, autant les magistrats ont besoin de cette protection à l’égard de la hiérarchie, autant les plaideurs, notamment au niveau du ‘pénal’, ont besoin d’une protection vis-à-vis du système judiciaire qui dans sa phase préliminaire est assuré par une Police judiciaire dont les procédés sont fréquemment dénoncés. L’objectif de la HIRJ est, normalement, destiné à apporter des améliorations au fonctionnement judiciaire, qui puissent protéger davantage le citoyen dans sa dignité et l’exercice de ses droits et ses libertés, en premier lieu individuels. Aussi, dans ce but, et pour permettre, également, aux juridictions de jugement de disposer de procédures établies véritablement dans le respect de la loi, je vous proposerai d’intégrer dans l’agenda de vos travaux l’institution de deux principes ci-après :
– Le droit à la défense: L’article 120 de la Constitution appelle deux observations. Il stipule dans une première partie que ‘ Toute personne a droit à un procès équitable et à un jugement rendu dans un délai raisonnable’. Si cette ‘ Toute personne’ s’applique au plaideur, celui-ci n’a aucune influence ni sur l’équité de son procès ni sur le délai raisonnable de ce dernier ; et la disposition n’a pas plus d’intérêt qu’un simple vœu sans conséquence aucune sur la réalité du fonctionnement judiciaire. Si elle s’adresse à ‘ l’âme et conscience’ du juge, la plupart des plaideurs, eux, savent pertinemment qu’ils ne doivent pas y trop compter. Au lieu de s’en tenir à de vagues dispositions qui ne peuvent prendre corps et relèvent plutôt de la morale destinée aux magistrats, dont ils se soucient comme de leur première chemise, la HIRJ se doit, en la matière, innover, plutôt, en termes de mise en place de mécanismes qui doivent astreindre le juge au respect des deux objectifs exprimés. La deuxième partie : ‘ Les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions’ prête à confusion. Ces droits s’appliquent, apparemment, aux membres du barreau ; autrement il fallait dire ‘ le doit à la défense’ si ce principe devrait être étendu aux citoyens. Aussi, je suggèrerai qu’il en sera ainsi dès la phase de l’enquête préliminaire, de façon que tout citoyen soumis, à ce niveau, à une interpellation qui peut évoluer en rétention, dans le cadre d’une poursuite judiciaire, devra disposer du droit incontestable de se faire accompagner et assister dès sa première comparution par un défenseur du barreau dont le contreseing du registre de garde-à-vue devra authentifier cette mesure si elle venait à être décidée. Ce contreseing aura valeur de preuve formelle pour confirmer ou infirmer les dires des uns et des autres en cas de contestation autour des circonstances et de la durée de la garde-à-vue.
– Du Juge des enquêtes: L’article 117 de la Constitution est tout à fait superflu. Il constitue une simple formulation qui n’a aucune incidence sur le cours de la Justice. Le terme ‘ Juge’ renvoie à la magistrature assise. Dans la quasi-totalité des cas, le juge marocain officie sur la base des P.V de la Police judiciaire, contestés dans une très large mesure. L’institution judiciaire en prise directe avec la protection des droits et libertés et la sécurité judiciaire des personnes et des groupes est le Parquet. Lequel, souvent obnubilé par l’aspect répressif de son rôle, ne se soucie pas trop du bon déroulement des enquêtes préliminaires qui conditionnent la plupart des poursuites pénales. Le Parquet, en général, a tendance à faire une confiance aveugle aux services de police judiciaire qui, souvent, abusent, grandement, de leurs pouvoirs. Là aussi, la Haute Instance se doit d’introduire un mécanisme permettant de veiller à l’objectif escompté. Je préconiserai, à cet effet, que si la Défense constate que son client n’est pas traité dans les normes d’espace et de détention telles qu’elles sont fixées par la loi, que sa dignité et son intégrité morale et physique s’en trouvent menacées, que ses alibis et justifications ne sont pas pris en considération, ou pour toute autre faute commise par omission ou commission par les enquêteurs au détriment des droits de son client, elle pourra requérir la présence sur le champ du ‘Juge des enquêtes’ qui devra instruire la requête, faire cesser les errements et abus constatés, demander au Procureur de prononcer la dessaisie des enquêteurs et de prendre à leur égard les mesures adéquates. Les interventions et constatations de ce magistrat devront figurer in fine de la procédure ou jointes à celle-ci pour servir, à la juridiction compétente, parmi les éléments d’appréciations dans l’élaboration de l’intime conviction et le prononcé du jugement.
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