Similitudes et différences entre médecins et Hanna Mimouna
tayeb zaid
Certains médecins considèrent leurs patients avec beaucoup de légèreté et de dédain surtout. Pour eux, le malade venu se faire soigner n’est qu’un nom de plus d’une longue liste de patients en instance d’être examinés moyennant quelques billets d’argent. Le plus souvent, quand le patient entre dans la salle de consultation, il trouve le médecin assis dans son bureau en train de griffonner sur son calepin ou bloc notes. Il ne prend même pas la peine de lui désigner la chaise pour l’inviter à s’asseoir. Les premiers soins commencent là et leurs effets indésirables se ressentent là et en instantané.
Deux de ces aventures me sont personnelles. Je les ai vécues avec beaucoup de colère et de rage et je les garderai dans la partie la plus sombre de ma mémoire. Il s’agit de deux professeurs en médecine, très renommés par leurs compétences mais à qui je reproche la conduite et la façon de recevoir le patient. Les deux médecins professeurs se rejoignent dans la manière académique et uniforme de lire la radio qu’ils m’avaient demandée de faire quelques moments plus tôt (radio, scanner ou IRM). Ils épinglent la radio contre l’écran éclairé du négatoscope et sans trop s’attarder ni m’associer à un droit de regard des ‘’dégâts’’ constatés de visu, par eux et eux seuls, ils se prononcent pour une intervention chirurgicale urgente. Le diagnostic est sans appel. Cela me rappelle une vielle tante que nous appelions tous, grands et petits, ‘’Hanna Mimouna’’ par respect pour son âge. Ma mère, en manque de café m’envoya un jour lui en demander quelques cuillérées pour bien faire partir la matinée et la journée. C’était autrefois, je vous dis. ‘’Hanna Mimouna’’ alla dans une fenêtre à hauteur de femme, prit une boîte en aluminium cerclée sur laquelle on pouvait lire Guigoz et voir un nid avec un oiseau qui nourrit deux oisillons. ‘’Hanna Mimouna’’ souleva le couvercle, scruta l’intérieur dans la demi obscurité de la pièce, fouilla avec les doigts le contenu- si contenu il y avait, je ne pouvais rien assurer car elle m’offrait le fond de la boîte- et me dit sur un ton solennel et courtois et avec une simplicité d’esprit déconcertante:’’ Voilà, tu vois, dis-lui, ‘’abent sidi’’, que ‘’Hannak’’ n’a plus de café, par Allah, je n’ai rien à lui cacher’’ et à moi, ‘’comme tu peux le voir, awald sidi’’. Je rapportais fidèlement à ma mère ce que Hanna Mimouna m’a dit sans lui dire que je n’avais vu que le fond de la boîte. L’innocence de mon âge et le respect que j’avais pour Hanna Mimouna prenaient toujours le dessus sur les détails qui pouvaient être mal reçus.
Il en est ainsi de nos médecins et de leurs pratiques qui ne sont pas bien loin de celles de Hanna Mimouna, sauf que cette bonne vieille femme pour qui nous avions un profond sentiment de respect est plus honnête car plus proche de la nature et par conséquent de Dieu que ces prédateurs des souffrances humaines.
La seconde aventure a droit de récit et de péripéties. Le médecin professeur considérait le scanner de mon crâne avec un détachement très marqué pour ma personne. Une rage souterraine me secouait. Comme je commençais à reprendre un peu de mes facultés perdues des suites de l’intervention, je lui demandai en langue française, puisque j’étais dans un univers étranger à celui de ma culture arabe et paysanne, si je pouvais lui parler. Un peu surpris d’entendre un vieillard à la barbe hirsute et aux cheveux ébouriffés, il me fit signe de la tête qu’il m’écoutait. Je lui demandai si ce qu’il avait entre les mains était un négatif, une radio, un cliché. Il me répondit par l’affirmative. Je répliquai alors que pour lui c’était bel et bien cela mais qu’en réalité, il avait entre les mains une tête intelligente, une tête qui pense. J’ajoutai avec un peu de colère dans la voix que mes livres se vendent en France, qu’il me traitait comme si je venais de l’arrière pays, que les élèves en médecine qu’il avait dans ses amphis me connaissaient bien avant lui pour avoir suivi mes cours de soutien. Il était ahuri. Je l’avais recadré. J’avais changé soudainement de statut. Mais pas de peau ! Je n’étais plus le patient en convalescence qui écoutait sans trop les comprendre le médecin et les infirmières dire leurs petites choses en français. Le médecin contourna son bureau pour venir me retrouver. Il avait complètement changé. Je dois en rester là. Les convenances l’exigent.
Chez nous et pour beaucoup de petites gens, celui qui parle la langue française est mieux considéré et mieux écouté que celui qui parle celle du pays. J’étais mieux considéré et mieux écouté par mon médecin. Les choses s’étaient passées ainsi. Parole d’honneur.
Tayeb Zaid
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