Commune de Ain Sfa( Oujda) : qui a démoli El Gasir ?
Zaid Tayeb
Dans la petite commune de Ain Sfa, il y avait une petite caserne militaire française devenue dans la langue commune El Gasir. Elle fut construite par les Français quand ils avaient pris possession de cette petite localité. Elle leur avait servi de centre de détention et de lieu de torture des résistants. Combien y avait-il de soldats dans ce poste militaire qui inspirait l’effroi et la terreur? Peu. Ce qui est certain, mais les renforts leur venaient directement et sans trop tarder d’Oujda.
En écrivant mon livre ‘’El Gasir de la honte’’, qui n’est d’ailleurs qu’un roman comme la plupart de ceux que nous avons l’habitude de lire et dont les évènements pourraient se passer dans un petit bourg, qui n’est pas bien différent de Ain Sfa, j’ai essayé de retrouver ce sinistre poste militaire qui avait pris pour nom El Gasir. Tout ce que j’ai trouvé à la place où je l’avais laissé quand, avec ma famille, nous avons quitté la campagne, il y a de cela quelque soixantaine d’années, un « centre d’éducation et de formation ». C’était beau ce que j’avais trouvé, mais c’était consternant ce que je n’avais pas trouvé. ‘’El Gasir’’ a été rasé ; démoli, détruit, effacé de la mémoire collective et commune de ceux qui l’ont connu et vu, simplement et heureusement ! du dehors, de ceux à qui il avait servi de lieu d’incarcération et de torture, malheureusement ! Il n’y a que les collaborateurs, les indicateurs, les mouchards et les interprètes qui devaient se réjouir de sa démolition car il leur rappelait leurs méprisables actes d’avoir participé, chacun à sa manière et avec les moyens dont il disposait ou qui lui auraient été fournis, à œuvrer pour le bien-être du colon afin d’assurer sa sécurité et sa pérennité. J’ai essayé, de mémoire d’enfant, de restituer le passé et de reconstruire ‘’El Gasir’’ de manière à lui donner une forme architecturale. Celle que je lui avais gradée dans ma tête d’enfant. Il n’en était pas resté beaucoup, hélas ! La mémoire a ses limites et ses zones d’ombre aussi. Elles sont obscures et inaccessibles. L’imaginaire supplée souvent au réel mais de manière floue et imprécise. Que ceux qui auront lu ou à lire mon livre veuillent bien m’excuser de ces insuffisances concernant ‘’El Gasir’’ tel que je l’ai revu à travers le brouillard de mes souvenirs d’enfance.
Comme j’ai trouvé le ‘’Centre d’éducation et de formation’’ bâtie sur les vestiges de ce qui était un poste ou une petite caserne militaire française, j’aurais aimé retrouver à ses côtés ‘’El Gasir’’ tel que je l’avais laissé, debout sur ses fondations, hautain, menaçant et provocant. Comme j’avais lu ‘’centre d’éducation et de formation’’, j’aurais bien aimé, si on l’avait gardé là où il était, lire également ‘’ancien centre français de détention et de torture’’. Deux époques côte à côte et en conflit : le présent et le passé, la liberté et la servitude. Les visiteurs pourraient retrouver les vestiges du colonialisme : quelques fragments d’obus, un brodequin, un chassepot, un casque avec un trou, quelques douilles, des photos de soldats français en uniformes et de combattants marocains avec leurs Djellabas qui leur arrivaient à mi-mollets ou simplement des photos de têtes coupées que des soldats brandissaient… Ainsi donc, ’’El Gasir’’ aurait pris la forme d’un musée que les visiteurs comme les gens du pays pourraient visiter pour voir d’eux-mêmes ce que la France avait fait de nos grands parents, de nos parents, de nous-mêmes et de notre pays. Les reliques de ce musée auraient pu témoigner de ce que nos prédécesseurs avaient enduré pour que nous vivions indépendants et à nous.
Maintenant qu’El Gasir a été rasé, que gardons-nous de l’époque coloniale avec ses atrocités, sa famine, ses épidémies, sa misère aux mille visages? Rien. Puisque il n’y a aucune trace matérielle pour la justifier aux yeux de nos enfants. Que devons-nous raconter à nos enfants s’il n’y avait rien à leur montrer de concret ? Une fois que nous seront partis, tout sera parti avec nous et nos enfants n’auront rien gardé de ce que leurs parents avaient souffert sous l’occupation française.
Pour terminer, j’ai quelques questions à poser, sans toutefois diriger mon index vers quelqu’un ou quelque instance: pourquoi ‘’El Gasir’’ a-t-il été démoli? Est-ce que la commune d’Ain Sfa manquait d’espace ? Ceux qui avaient présidé à sa démolition avaient-ils songé qu’en rasant le poste militaire ils raseraient également de la mémoire collective de la commune la présence de l’occupant français et les batailles gagnées ou perdues pour le chasser?
1 Comment
au Maroc on rase et on supprime tout ce qui nous rappelles la période sombre de notre patrie.Malheureusement quand la responsabilité d une commune ou d une ville est entre les mains d un ignorant et d ilLetrè on connait le résultat.LE MONUMENT de la bataille d isly a beni oukil ; symbole de cette bataille qui a coûte la vie a 800 malheureux habitants de la région .