Reflexions sur les réflexions: la violence contre les parents, cela existe
L’article de notre collègue Si Tayeb Zaid, intitulé « réflexion sur l’examen régional de français de l’académie de l’oriental » me semble intéressant, surtout à propos de la production écrite, la bête noire de nos élèves. Le deuxième article, publié le 15 juin 2015 n’est qu’une démonstration qui confirme la « gaucherie » et « l’absurdité » du sujet de cette année. Monsieur Zaid met le doigt sur la plaie: la question de la méthode.
Mais permettez-moi tout d’abord de saisir l’occasion pour féliciter nos élèves qui ont pu décrocher leur bac dans la session ordinaire et, du coup, souhaiter bonne chance aux autres candidats, soit dans la session de rattrapage, soit dans l’année prochaine inchaallah.
Il est vrai que d’ordinaire, la plupart de nos élèves s’attendaient à un sujet « ordinaire », comme ceux qui circulent, plutôt sur la violence contre les enfants: dans la famille, à l’école, dans la rue…. Cela aurait été plus aisé de dénoncer l’autorité parentale excessive et de fustiger le châtiment corporel qui provoque chez les enfants des traumatismes psychologiques graves.
Or une fois devant la question renversée, ils sont bloqués, déstabilisés, désemparés et à court d’arguments. Oser penser à l’envers, en dehors de la boîte, un peu loin des sentiers battus… N’est-ce pas là l’essence même de l’esprit créatif ? Une bonne préparation devrait développer chez l’apprenant cette créativité qui cultive l’esprit critique et le sens de l’analyse.
Certes, comme le dit bien monsieur Zaid, « il serait inapproprié et immoral que les candidats disent « je donne raison aux enfants qui agissent violemment à l’égard de leurs parents », mais, ce qu’on attend de notre candidat, c’est d’être capable de formuler (honnêtement) et avec un minimum d’objectivité, une thèse adverse, avant de la réfuter. Une thèse qui commencerait par : certains pensent/prétendent qu’un enfant peut utiliser la violence contre ses parents, et ce pour plusieurs raisons. D’une part,….D’autre part,….Par ailleurs….
En effet, avant de dire « je ne donne pas raison aux enfants qui agissent violemment à l’égard de leurs parents », le candidat est appelé à montrer sa capacité à décortiquer une réalité, à considérer un phénomène social, au moins de deux angles différents, à expliquer un comportement, aussi aberrant soit-il, sans pour autant le justifier ou le légitimer. Le bon candidat est celui qui (se) pose les bonnes questions : la violence contre les parents existe-t-elle ? Y a-t-il des exemples précis (œuvres, films, romans, expérience personnelle…) ? Quelles en sont les raisons ? (adolescence, ignorance, irresponsabilité, conflit des générations…)
Il faut signaler que thème du père en littérature ou en philosophie est un thème très riche. Dans une dissertation au niveau supérieur, l’étudiant pourrait évoquer le motif du père castrateur en mythologie grecque, le père dieu qui mange ses enfants de peur d’être détrôné par eux, du simple géniteur qui n’a rien d’un père éducateur, le père hypocrite (Janus), à deux visages (pieux chez lui et débauché à l’extérieur), comme le Seigneur de Driss Chraïbi ou Si Sayed de Najib Mahfoud… Mais, dans un niveau bac, un candidat arabophone pourrait au moins citer des cas de la réalité concrète où une quelconque violence serait légitime, selon certains, vis à vis de certains « parents », puisque le cas des enfants qui violentent leurs parents existe même dans notre réalité arabo-musulmane. Il suffit de faire un tour dans la maison des vieux à Oujda! Donc, en réfléchissant un peu, les arguments pour la thèse adverse (à réfuter) ne manquent pas.
D’ailleurs, l’examinateur, visant à provoquer l’imagination du candidat, il inverse la question classique pour le faire penser dans toutes les directions possibles. La consigne ne cerne pas le thème dans un cadre civilisationnel défini (donc ne pas penser à la famille musulmane seulement), ni dans un pays défini (s’écarter de la conception idéale que nous avons du père marocain)… Dans ce cas, il suffit de signaler que dans le monde, il n’y a pas que les « bons » parents, mais aussi de mauvais parents! On peut alors traiter ce sujet indépendamment de notre référentiel culturel, du moins dans un premier temps, comme thèse à réfuter, avant d’étaler la thèse défendue, pour enfin émettre notre jugement personnel. La voie de la création est ouverte devant un étudiant qui commence par le commencement, à savoir (le brainstorming) ou la recherche des idées avant d’élaborer son plan.
Plusieurs pistes sont à explorer à ce propos. Pensons à un père ivrogne, enragé, qu’il faut maîtriser ou ligoter, en attendant l’arrivée de la police. Pensons au père accro aux jeux, qui brutalise sa femme pour qu’elle lui donne de l’argent à miser. Pensons au père négligent, méchant, ignorant, irresponsable, pas forcément musulman ou marocain! Que dire d’un père vicieux ou sous l’effet des stupéfiants, qui tente de violer sa fille? Que dire d’un père qui force ses filles mineures à travailler dans des ménages (nouvelle forme d’esclavage), ou à épouser un homme à l’âge de son père pour l’argent? Bien sûr, les enfants ne vont pas recourir eux-mêmes à la violence, ce serait immoral, mais ils ont bien droit de recourir aux forces de l’ordre pour se faire protéger.
De cette manière, un élève averti ne pourra manquer le cas de violence exercée contre le père dans son programme: celle Polynice et Etéocle contre Œdipe, ou celle manifestée par Hémon contre son père Créon, et dans une moindre mesure le dépit ressenti dans la voix du « friauche » contre ses parents « criminels » (responsables aussi de sa situation) dans le Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo.
Notre candidat pourrait, à la rigueur signaler qu’en Islam la violence contre les parents est écartée tant qu’ils respectent nos convictions. (pensons au compagnon du prophète qui tua son père mécréant dans la bataille de Badr).
Le sujet de cette année semble stérile et maigre au départ, comme tout sujet nouveau et original, ce qui est exigé des examinateurs, mais, répétons-le, si le candidat respecte les étapes de la démarche de l’exercice, si on le prépare au cours de l’année à travailler avec méthode et rigueur, il pourra toujours aisément s’en sortir.
Mohamed ESSBAI
1 Comment
En effet. Monsieur Zaid Taieb préconise la démarche dialectique pour traiter le sujet posé à l’examen. Démarche qui peut se révéler ardue pour ce qui est de l’analyse dans un de ses volets. Il était plus simple d’opter pour le plan antithétique qui consiste à 1) Evoquer la thèse adverse, de la développer un tant soit peu. 2) faire une concession, suivie d’une réfutation. 3) Développer sa propre thèse, appuyée d’arguments classés du moins au plus important, illustrés au besoin.
L’autre plan, variante du précédent, procéderait de la façon suivante: 1) Présenter succinctement sa thèse. 2) Réfuter les objections possibles. 3)Exposer sa thèse, comme dans le cas précédent.
Il reste que les deux plans sus-cités nécessitent des exercices patients et réguliers, sans négliger de familiariser les élève au métalangage qui encadre ce type d’activité..