Carte blanche : faut-il interdire le redoublement ?
Publié le 3 novembre 2011 par Pierre Bouillon
Depuis la rentrée des classes, le débat sur l’interdiction du redoublement fait rage. On sait depuis longtemps qu’une partie du monde enseignant y tient viscéralement. Pour celle-ci, supprimer le redoublement reviendrait à encourager la fainéantise et priverait les élèves d’une remédiation indispensable.
A entendre les raisons invoquées pour cautionner cette pratique archaïque, on ne peut qu’être consterné par les clichés ressassés. Ces discours pseudo-pédagogiques ne sont que des mythes poussiéreux qui ne reposent sur rien de sérieux.
Si l’on veut permettre aux citoyens – et donc aussi aux enseignants-citoyens, qui n’acceptent pas l’échec scolaire et qui forment l’immense majorité de notre profession – de se forger une idée claire de son utilité ou non, il me paraît fondamental d’opter pour le débat scientifique. Une grande quantité de recherches sur les effets du redoublement a été menées depuis près d’un siècle. Ces études sont aisément disponibles.
Résumons-les rapidement :
Premier constat : toutes les recherches arrivent à la même conclusion : le redoublement n’a aucun effet correcteur. Il ne sert absolument à rien ! Un élève qui redouble ne réussit pas mieux l’année recommencée que l’année ratée. Tout au plus remarque-t-on un léger progrès en début d’année. C’est sur base de ce « frémissement » que les tenants du redoublement ont l’impression qu’il a un effet correcteur, mais ce n’est qu’un mirage. Ces progrès vont aller en diminuant pour être réduits à néant en fin d’année ou au cours de l’année suivante. Tout redoublement engendre d’autres redoublements et l’orientation précoce. Au contraire, un élève en échec qui a la chance d’être promu, progresse plus qu’un élève qui redouble. La promotion a des effets positifs, contrairement au redoublement !
Second enseignement : Le recensement des recherches scientifiques met en évidence la relation entre redoublement et décrochage scolaire. Les élèves qui ont redoublé une fois courent plus de chance de décrocher que ceux qui ont été promus avec les mêmes difficultés d’apprentissage. En outre, plus tôt se fait le redoublement, plus grand est le pourcentage d’abandons scolaires.
Troisième constatation : Ses effets sont psychologiquement dévastateurs : sentiments de honte, de tristesse, peur des sarcasmes des camarades et des enseignants, souffrance et honte des familles, perte des tissus sociaux. L’étiquette de « doubleur » est lourde à porter. Il s’ensuit une dévalorisation de soi que les psychologues appellent le « sentiment d’incompétence acquis ». En redoublant, l’élève a acquis le sentiment qu’il était incompétent. Cette dévalorisation a un impact terriblement destructeur sur un individu en construction et influencera son existence entière.
Le quatrième constat est plus interpellant encore. Il est démontré que le redoublement n’a d’effet positif que pour l’Institution scolaire ! Il répond, en effet, à des fonctions essentielles de la gestion des établissements. Il permet, notamment, de gérer l’hétérogénéité et le tri des élèves. De nombreuses écoles d’enseignement général sont pyramidales. Plus on progresse dans les études, moins il y a de classes – et donc de places – pour accueillir les élèves. Il faut donc « écrémer ». D’où le refus de nombreuses directions et Pouvoirs organisateurs d’abandonner la pratique du redoublement et de l’orientation précoce. C’est, par ailleurs, la seule manière de remplir les sections techniques et professionnelles. C’est, enfin, un merveilleux outil « politique » pour contrecarrer le décret inscriptions !
Le redoublement permet également aux écoles de se positionner stratégiquement par rapport aux établissements environnants. Dans notre « quasi-marché scolaire », il est important d’avoir la meilleure réputation. Une école « exigeante » (qui pratique beaucoup l’échec) sera, à tort, mieux considérée et plus recherchée que l’école qui accueille les élèves mis en échec par celle-ci.
Autre fonction essentielle pour l’école, le redoublement permet la régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe. Il permet à certains enseignants d’avoir la discipline qu’ils n’auraient probablement pas sans l’aide de cette épée de Damoclès. Nous comprenons mieux, ainsi, l’opposition radicale de certains à l’interdiction du redoublement.
Loin des croyances poussiéreuses, nous voici confrontés à la seule vérité scientifique. Elle est sans appel : le redoublement est inutile, inefficace, contreproductif, d’une grande injustice, et psychologiquement dévastateur. Ce n’est donc plus la question du redoublement qu’il faut poser, mais bien celle-ci : « Faut-il ou non interdire cette maltraitance institutionnelle ? » Faut-il ou non interdire une pratique violente, qui n’a aucune utilité pédagogique, qui est une entrave importante à l’épanouissement des enfants, qui hypothèque leur avenir et qui ne sert que les intérêts d’institutions défaillantes et irresponsables ?
Tolèrera-t-on encore longtemps que des enfants, des jeunes, soient en grande souffrance, simplement, parce qu’ils vont à l’école ? L’éducation est-elle un droit de l’Enfant ou un droit des Pouvoirs organisateurs ? Quand, dans les écoles, pratiquera-t-on enfin une pédagogie de la réussite, seule manière d’abolir définitivement l’échec scolaire ? A nous de savoir si nous voulons évoluer vers une société juste et respectueuse des Droits de l’Homme ou continuer à n’être qu’une société discriminatoire où le droit du plus faible est systématiquement bafoué, à commencer par l’Institution qui a charge d’éduquer et d’apporter protection durant cette mission.
Jean-Pierre Coenen
Président de la Ligue des Droits de l’Enfant et enseignant-citoyen
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