Morts pour une bouchée de pain
La mort broyé d’un jeune poissonnier dans les mâchoires d’une benne à ordures ménagères à Al Housseima, d’une quinzaine de femmes piétinées dans une bousculade à Essaouira, de deux jeunes hommes ensevelis et noyés vifs dans les galeries de la mine de charbon de Jerada doit interpeller l’Etat sur sa politique vis-à-vis du citoyen. Ces gens dont le dénominateur commun est la mort tragique pour une bouchée de pain et rien que pour cette misérable et honteuse bouchée de pain incarnent à eux seuls l’état de faillite vers laquelle est conduit le pays et avec lui une bonne partie de la population depuis un certain temps. Le premier de ces malheureux s’agrippait de toute la force de ses deux mains à son poisson dans l’espoir de le sauver des mains d’une horde d’agents de l’Etat qui l’avaient jeté dans un camion à ordures, les quinze femmes étaient venues de si loin tendre la main à un ‘’bienfaiteur’’ espérant revenir chez elles avec un pain de sucre, un sac de farine et quelques litres d’huile, les deux derniers étaient descendus sous terre pour sortir avec la force de leurs deux bras quelques pesées de charbon afin de les revendre à un prix dérisoire. Tous sont sortis de chez eux pour ne plus revenir parmi leurs familles qui les attendaient avec la bouchée de pain pour laquelle ils étaient sortis. Ils sont tous morts de la mort la plus tragique et la moins humaine qui soit. Ils avaient laissé derrière eux des enfants ou des membres de leur famille qui ne pouvaient pas faire face à la vie par eux-mêmes. Et comment le pouvaient-ils alors que ceux qui les nourrissaient sont partis de ce monde, broyés, piétinés ou ensevelis, pour ne leur laisser que la honte, la misère et le désespoir ?
Et l’Etat, avec tout ça, où est l’Etat ? Où sont les élus, ceux pour qui ceux qui ont péri broyés, piétinés, ensevelis ont voté pour soi disant défende leurs intérêts sous la coupole de l’hémicycle du Parlement? Où sont les membres du gouvernement, les ministres qui doivent certainement être, à l’heure qu’il est, à l’étranger pour célébrer Noël et la nouvelle année ? L’Etat n’est pas seulement les forces de l’ordre et de la sécurité devenues pour la circonstance les forces de répression envoyées sur place pour exhiber leur force, intimider, impressionner et arrêter et traduire en justice le citoyen qui crie haut et fort sa misère et son mépris à la face du monde. L’Etat n’est pas cet homme gradé, je ne sais de quelle espèce il est, avec l’écharpe à l’effigie du drapeau national en bandoulière, scandant dans un mégaphone les sanctions dont sont passibles les manifestants s’ils ne se dispersent pas. L’Etat n’est pas le ministère de l’intérieur, la mère de tous les ministères, comme au temps de ce sinistre ministre dont Dieu avait éprouvé le pays il y a quelques décennies. L’Etat, c’est le ministère de l’emploi, de l’énergie, de la fonction publique, de l’économie, de l’emploi…Ce sont ceux-là dont ont besoin les habitants de Jerada pour désamorcer la crise et tenter de dialoguer avec eux afin de leur trouver une issue moins malheureuse, plus décente, moins misérable, plus humaine. Car ces gens-là, en fin de compte, ne sont pas des hors la loi pour que l’Etat les traite ainsi mais des victimes comme leurs parents et leurs grands parents.
Jerada l n’est pas une ville comme les autres, c’est une ville nourricière : elle produit l’électricité dont s’éclaire, se réchauffe et se rafraichit une bonne partie des gens du pays. En contrepartie, quels bénéfices en tirent cette malheureuse ville et ses malheureux habitants?
-Les grands parents et les parents des martyrs de la bouchée de pain sont déjà morts ensevelis dans les galeries de la mine ou décimés par la silicose.
-La cheminée de la centrale thermique leur crache, de nuit comme de jour et en toute saison, sur leurs têtes et dans leurs poumons des tonnes de poussière et de nuages de fumée nocive.
– Des montagnes de déchets de charbon et de charbon consommé et craché par ce monstre à l’appétit insatiable sont érigées tout autour de la ville.
Les responsables sur nous comptons, ce ne sont pas ceux qui envoient sur la ville et ses habitants les forces de répression mais ceux qui y viennent avec des propositions ou avec des solutions.
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