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L’EGYPTE : LA POUDRIÈRE EGYPTIENNE

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COLONEL MOHAMED MELLOUKI

LE JOURNAL- LA 2ème LECTURE

L’EGYPTE : LA POUDRIÈRE EGYPTIENNE

C’est un fait que le Printemps arabe avait été perçu, par beaucoup, comme un simple mirage subitement apparu dans une conjoncture, sereine, à un moment où aucun paramètre sérieux de contestation généralisée ne pointait à l’horizon de cette fin 2010, et encore moins de présager un quelconque changement radical de régimes. D’autant qu’au tout début, il était impensable d’imaginer qu’un malheureux geste, sûrement spontané et irréfléchi, commis en désespoir de cause, du défunt Bouazizi, à bout d’endurance dans une contraignante et inlassable quête pour une maigre pitance dans une vie écrasante et impitoyable pour les faibles et les pauvres, puisse, comme une traînée de poudre, évoluer en lame de fond politique qui défoncerait les digues de régimes en place paraissant solidement ancrés pour toujours dans le temps et l’espace, et aussi dans le mental. Les mentalités étant, généralement, lentes au changement, le phénomène semblait, donc, s’inscrire dans le fortuit, et, du fait, n’avait pas tardé à laisser planer un air de désabusement, lorsqu’il a semblé se consommer dans un processus de combines partisanes, complicités avec l’Etranger, marchandages et  concessions politico-mercantiles entre divers clans qui crurent pouvoir l’instrumentaliser à leur profit dans une sorte de corégence, dans une nouvelle redistribution des privilèges, pour caser l’arrivée en puissance des islamistes sur le champ politique, et les domicilier en lieu et place des dictateurs déchus, dans le droit fil d’une stratégie planifiée antérieurement par l’Occident et quelques potentats arabes pour une reconfiguration de la carte moyen-orientale conforme aux nécessités de leurs intérêts respectifs. On avait aussi catalogué le phénomène comme l’aboutissement, sans plus, d’une crise sociale parvenue tout naturellement à déflagration à cause de l’aveuglement des régimes trop confiants dans leur omnipotence, qui se refusaient à quelques concessions qui eurent pu les maintenir en place jusqu’à l’heure. Même des féaux de ces régimes ont majoritairement pu s’accommoder, facilement, des changements survenus qui présentaient l’avantage de se réclamer de la démocratie et de l’État de droit, de loin plus rassurants que leurs anciennes positions, bien que privilégiées pécuniairement, qui les maintenaient, néanmoins, en perpétuelle sujétion à l’égard de leurs maîtres et bienfaiteurs, assez imprévisibles, capables de se muer en inquisiteurs, et de mettre sur la paille, en un clin d’œil, la plus solide fortune du pays.

La montagne semblait avoir accouché d’une souris, et la situation évoluait vers un statu quo de normalisation, les nouveaux arrivants chaussant les souliers des partants, comme il arrive dans les permutations entre responsables. Le Printemps arabe semblait avoir duré ce que dure la saison éponyme. C’était aller un peu trop vite en besogne et faire abstraction des aléas de l’Histoire qui à la surprise générale a cassé et balayé cette perspective, choisissant, cette fois-ci, l’Egypte qui apparaît, désormais, comme l’épicentre du phénomène. Soulevée et unifiée, moins de deux ans auparavant, dans un élan révolutionnaire rarement arrivé dans l’Histoire, l’Egypte se réveilla brutalement scindée, en novembre dernier, en deux camps farouchement opposés, pour cause de perception même de cette révolution. La difficulté à trancher entre les deux  camps, pratiquement égaux au vu des démonstrations de force respectives exhibées durant plus de trois semaines notamment dans les grands centres, et qui se regardent désormais en chiens de faïence,  vient du fait qu’ils ont apparemment  tous les deux des raisons défendables de s’en tenir à leurs positions, les deux ayant souffert, pratiquement au même degré, des exactions de l’ancien régime. Si les deux parties, en effet, se réclament de l’acquis révolutionnaire et tiennent à préserver la Révolution d’un retour des démons de la dictature, chacune, cependant, se déclare la mieux disposée pour le faire. Venant à mauvais point, en pleine effervescence populaire en raison de l’imbroglio juridique dans lequel s’était empêtré le Président, le projet constitutionnel soumis dans la foulée à référendum va embraser davantage la société égyptienne. Le texte présente, tout de même, globalement, des dispositions positives, et certaines sources neutres ont même avancé que si l’Opposition, coalition démocratique regroupée majoritairement dans le Front de Salut National, était au pouvoir, elle aurait, probablement, défendu le projet avec la même ardeur que ne le font les islamistes, toutes tendances confondues. Mais il présente aussi dans certaines parties décisives pour l’exercice du pouvoir quelques clauses prêtant à équivoque que l’Assemblée Constituante, dominée par les islamistes, s’était refusée à revoir, préférant en laisser le soin à la future Assemblée législative.  Or l’Opposition craint précisément que la Confrérie ne profite, si elle emportait les futures Législatives, de l’opacité juridique de ces clauses pour les interpréter à sa convenance et s’emparer du pouvoir ; d’autant qu’elle s’était esquivée, auparavant, à toute démarche de la coalition démocratique d’entamer une sorte de cohabitation en vue de dépasser les frictions et d’édifier sereinement l’État, sur la base d’une plateforme commune.

Le clivage ne serait peut-être pas arrivé à ce stade de radicalisation si la surprenante intrusion  dans l’arène politique du corps judiciaire, lui-même clivé en deux blocs entre partisans et opposants à la supervision du scrutin référendaire, n’était pas venue alimenter une poudrière déjà bourrée d’accusations mutuelles dès l’été dernier. Le Dr Morsi, par qui la crise est arrivée, a beau clamer qu’il était le Président de tous, il est perçu par le camp adverse, dont une bonne partie avait pourtant voté pour lui, moins de six mois auparavant, surtout pour contrer son challenger Chafiq, en  tant que simple homme lige du Guide et de son éminence grise Khayrat Chater, officiellement n°3 de la hiérarchie, mais, semble-t-il, véritable chef de l’appareil. Ingénieur de formation, réputé peu commode et obtus idéologiquement, il tient, paraît-il, la bourse et l’organisation et veille au recrutement et l’endoctrinement des adeptes. C’est connu qu’il devrait se trouver à la place de Morsi, mais sa candidature à la présidentielle avait été invalidée par la Commission ad hoc, pour cause d’une condamnation du temps de Moubarak qui avait fait l’objet d’une grâce mais n’avait pas été effacée du casier judiciaire.  Et une bonne partie de l’opinion publique s’attend, après son blanchiment par l’actuel régime qu’il revienne en lice à la prochaine présidentielle.  Dès lors, lorsqu’un tel personnage, érigé en une sorte d’oracle, descend dans l’arène de la polémique et accuse les adversaires d’ourdir un complot contre la Confrérie et de vouloir ‘ vendre’ la Révolution à ‘ l’Etranger’, notamment les USA, l’anathème n’est pas loin. Du coup, sans faire dans les détails, ses troupes ne se font pas prier pour lui emboîter le pas et vouer à la damnation tout opposant à l’agenda islamiste.

L’Opposition, englobant une vingtaine de partis laïques et quelques formations d’essence chrétienne, reproche, elle,  aux islamistes d’avoir assuré l’impunité aux 70 généraux débarqués d’un coup de plume présidentielle en août dernier, en contrepartie d’une bienveillance, à leur égard, de l’institution militaire qui, en contrepartie, a accepté de fermer l’œil, pendant la période de transition, sur le recrutement en son sein des éléments notoirement connus pour être des partisans ou sympathisants de cette organisation, ou tout au moins ayant des alliances familiales avec des membres éminents de la secte. Le deal aurait été passé avec le maréchal Tantanoui et le général Sami Annane, nommés, depuis, conseillers du Président. Il s’inscrirait dans le processus d’un long marchandage précédent, conclu sous les auspices des USA, entre l’Armée et les islamistes pour entériner la nomination de Omar Slimane en remplacement de Moubarak, avant de reconsidérer cette attitude  en faveur de l’ancien Chef d’Etat-Major Général, dans un régime de junte militaire ‘ à la turc’ qui réserverait aux islamistes un rôle prépondérant dans le nouvel État. Même si ces deux perspectives ont été, finalement, abandonnées, il n’en demeure pas moins, pour l’Opposition, que la connivence entre les USA et les islamistes est bel et bien établie par le financement à hauteur de 500 millions de dollars de la campagne présidentielle de Morsi, en contrepartie de la garantie de sécuriser le Sinaï au profit d’Israël menacé par une implantation de plus en plus patente à ses frontières d’une nébuleuse islamiste dominée par Al Qaïda. Le pacte a été révélé par Mitt Romney, le challenger d’Obaka pour la course à la Maison Blanche, au cours d’un des face-à-face télévisés ayant clôturé la campagne présidentielle américaine. Il faut  ajouter à cette atmosphère délétère la résonance, dans l’Opposition, d’une rocambolesque Fatwa prononcée par un des éminents théologiens de la Mouvance islamiste, selon laquelle si la prépondérance de cette dernière venait à être remise en cause dans les futurs scrutins, le recours à la falsification devenait légitime.

Finalement le projet constitutionnel a été  approuvé à plus de 63%, ce qui est considéré, a priori, une victoire de haute main des Frères Musulmans. Il est évident qu’une bonne frange qui a opté pour la Constitution l’a fait, surtout, par crainte d’une dégradation plus accrue du climat social qui déboucherait sur une instabilité chronique. Ce résultat, officiel, est évidemment contesté par l’Opposition qui soutient que 32% seulement du corps électoral ont voté, que le texte n’a recueilli que 20% de voix, et crie, tout naturellement, à la supercherie.

La tension ne va, donc, pas s’éteindre de sitôt. Elle va simplement changé de registre. Les élections législatives en prévision offrent déjà le terrain propice à une nouvelle confrontation. La perspective, avancée par l’Opposition, d’un agenda islamiste secret tendant à une islamisation de l’État et de la société, après les Législatives, à travers une présidence de la république qui se réduirait à une simple devanture de la Confrérie musulmane, dans toutes ses composantes, est de nature, sûrement, à verser de l’huile sur le feu. D’autant qu’elle vient se superposer à la proclamation publique des Salafistes de démolir les pyramides, le sphinx et pratiquement tout le patrimoine pharaonique. Ce qui a fait dire à Heykal, pessimiste quant à une éventuelle entente politique, dans l’avenir, entre les factions en lice, que la crise résidait dans le fait que les islamistes en général, et les Frères musulmans en particulier, ont  tendance < à casser l’Histoire et ne reconnaître que la leur >.

Une nouvelle période de turbulence se profile, donc, à l’horizon. Dans un article intitulé ‘ L’Egypte à la croisée des chemins’, écrit à la date du 2/6/2012, entre les deux tours de la présidentielle égyptienne, je disais que si en Tunisie et en Libye, l’option révolutionnaire finira par adopter la voie de normalisation quel qu’en sera le processus d’évolution, avec de fortes chances de rester intra muros,  en Egypte, elle risque de faire rebondir le ‘ Printemps arabe’ dans la version violente des premiers jours où furent saccagés et incendiés le siège du parti de Moubarak et autres édifices publics, avec de fortes probabilités de  ricochets sur le monde arabe, lorsqu’on connaît la place que ce pays y tient et l’influence qu’il y exerce. Il était, en fait, évident que la nouvelle Egypte n’avait pas coupé le cordon ombilical avec la Révolution de 2O11, elle en est restée imprégnée. Elle a inoculé au peuple l’esprit de vigilance contre les combines politiques, et de méfiance contre le pouvoir de l’Etat. Normalement c’est l’esprit révolutionnaire qui conduit au bouleversement. En Egypte vient de  se produire l’effet inverse. Si ce pays était, il y a à peine deux ans, l’un des plus écrasés de la planète et végétait sous une férule sécuritaire des plus inhumaines, il tient cette fois-ci à disposer réellement de sa souveraineté plénière, à peser, directement, sur les mécanismes du nouvel Etat et à lui imprimer son empreinte morale et matérielle par le recours à la stratégie de l’insurrection de la rue, en passe de devenir, dans ce pays, une constante et une culture politique dont les Pouvoirs à venir devront forcément tenir compte. J’ai suivi et écouté pendant des jours, jusqu’à des heures tardives la nuit, sur plusieurs chaînes satellitaires, des centaines de commentaires, de débats, d’interviews et interventions de toutes sortes ; je n’ai pas entendu une seule fois parler de justice, liberté, démocratie, dignité ou d’un principe quelconque de ce genre, et encore moins de problèmes sociaux. Pour une raison simple : cette révolution a transcendé ces revendications, elle tend à corriger celle du 25 janvier 2011 qui prenait une dérive apparemment fasciste, dans un astucieux changement de chaises musicales qui aura débouché sur un même schéma patriarcal ayant simplement substitué la chape de la soutane à celle de l’uniforme militaire. Les évènements qu’a connus l’Egypte ces dernières semaines ont introduit, en fait, une nouvelle mentalité politique. Au-delà de la guerre de leadership entre les clans en présence et de leurs conceptions idéologiques respectives, l’affrontement, qui va sûrement changer de registre et s’amplifier en prévision des prochaines élections législatives tend, d’abord, à placer l’Homme au centre du fonctionnement institutionnel dans une nouvelle configuration de rapports entre gouvernants et gouvernés, qui puise, dans une certaine mesure, dans celle issue du précédent français de mai 1968. Or, toutes les républiques du monde sont des régimes, le modèle français  est, plutôt, un état d’esprit qui semble inspirer l’Egypte post Moubarak contaminée, désormais, par l’esprit frondeur qui ne manquera sûrement pas d’impacter tous les régimes arabes, tant ceux qui ont été épargnés par la bourrasque révolutionnaire, en 2011, que ceux qui en sont issus et à qui prendrait l’envie de s’en écarter, cette fois-ci non pas en tant que revendications conjoncturelles, comme c’en fut le cas l’année dernière, mais comme symbole d’expression d’une réelle souveraineté populaire qui n’hésitera pas, chaque fois que ce sera nécessaire, d’affirmer sa volonté, par la violence éventuellement. Désormais tous ces régimes sont sous menace de la rue. Tous devront en tirer l’enseignement que de cette rue pourra jaillir à tout moment l’Homme du changement, et que, donc, ‘ Tout Homme est une Révolution’.

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