La liberté d’expression poétique à l’aube de l’Islam
Pr. Eljattari Belkacem
Université Med Premier Faculté des Lettres Oujda Maroc .
L’expression poétique comme tout genre d’expression littéraire est indissociablement liée au groupe social et à son histoire. Elle est le fruit d’un «producteur collectif», et la façon dont une société parle d’elle-même à elle-même et aux autres. Cette conception ne nie pas l’individualité de l’artiste, mais la restitue dans la communauté religieuse et morale. Elle n’ignore pas la structure de l’œuvre, mais l’inscrit dans l’histoire.
C’est avec ces quelques éléments que nous pourrons peut-être, réunir les principaux traits de l’expression poétique partagée entre un passé qui, même révolu, laissait des traces, et un présent dominé par l’idée d’une religion qui se voulait révolutionnaire et générale. L’Islam était, en effet, la seule idéologie qui a su communiquer avec l’Arabe. Dès le départ, il s’est servi habilement de la rhétorique et de l’éloquence raffinée pour atteindre l’esprit d’hommes sensibles à la magie du mot dans une société où toute parole, grâce ê la sonorité et au rythme d’un verbe si particulier, était vouée à rester gravée dans la mémoire.
Sur la scène intellectuelle, la religion et l’art poétique ne cessa pas de se manifester avec ardeur et l’expression poétique qui ornait fréquemment les discours des orateurs et les propos des sages, se trouva soudainement concurrencée, voire dépassée par l’expression coranique à laquelle on recourait de plus en plus. La poésie perdit ainsi de son éclat dans la vie littéraire, mais sans perdre pour autant, tout son poids intellectuel, politique et pédagogique. Nous nous souvenons dans ce sens, des messages que le Calife Omar adressa à ses « Wali » pour leur demander d’inciter leurs sujets à apprendre à leurs enfants le Coran et la tradition, mais aussi l’art poétique et l’histoire des Arabes.
L’expression poétique restait donc une matière essentielle sur le plan pédagogique pour l’enseignement. Mais, au lieu de continuer à faire cavalier seul comme c’était le cas pendant l’époque préislamique, elle s’était trouvée en butte à la concurrence des versets coraniques qui finirent par la supplanter.
Parallèlement, l’Islam qui s’était servi, dans le Coran, du mot éloquent et du style rhétorique pour communiquer son Message, ne pouvait négliger la magie que les poètes pourraient exercer sur l’esprit des Arabes. Mais pour les rallier à sa cause, il avait deux tâches à accomplir: la première était de gagner, pour les besoins de sa propagation, l’élan créateur de ces poètes. La deuxième consistait dans le fait de purifier ces derniers des traces de la vie païenne et de leur imposer les instructions de la nouvelle loi en vue de les adapter au nouveau mode de vie et de pensée, ce qu’il fit. D’ailleurs, contrairement aux autres religions, l’Islam avait cherché à intervenir dans tous les détails de la vie du Croyant, et l’art poétique n’avait pas été épargné.
L’Islam s’imposait presque en tant qu’école de critique et comme référence de base pour les hommes du savoir qui devaient juger telle ou telle production poétique.
Mais comme nous l’avons remarqué au cours de cette étude, et malgré les efforts déployés par l’Islam pour effacer les vestiges de la vie païenne de l’expression poétique, certains poètes continuaient avec persistance ê insérer dans leurs productions des idées opposées à l’idée islamique et aux valeurs noble que les dirigeants de la jeune communauté tenaient ê faire respecter.
L’Islam ne s’oppose pas à l’expression poétique en tant qu’art. Comment peut-il prendre une telle position? Cela ne correspondrait pas à son esprit, partisan du mot éloquent et du discours rhétorique. Il ne cesse de se présenter comme étant la plus belle expression, ce qui constitue sa fierté. Comment donc, peut-il condamner la plus belle expression en tant que réalité effective? Une telle condamnation aurait fait douter de son essence même de sa logique.
Nous ne pouvons pas nier que la cohabitation entre le Coran et l’expression poétique était dominée par des flux et reflux, des hauts et des bas, des intonations agressives, des offensives des résistances, des insoumissions ou des ententes. Si la suprématie du Coran s’avérait éclatante, l’expression poétique parvenait à se conserver une place tout de même importante dans l’esprit de l’Arabe et de s’assurer un rôle pédagogique essentiel. Et, si l’Arabe païen qualifiait de parfait l’homme qui savait pratiquer l’écriture, le tir, la natation, l’art poétique, celle-ci demeura après l’avènement de l’Islam, un signe de noblesse. Tout individu essayait de mémoriser les beaux vers et même d’en composer. Cela n’était pas réservé à une couche sociale, mais bien répandu, même chez les hommes pieux et les meilleurs représentants des lois coranique. Nous pensons par exemple à certains Califes.
La sévérité des Califes à l’égard d’une catégorie de poètes est suscitée par un besoin politique. Elle répondait à leur souci de maintenir l’ordre et de garantir la sécurité des Musulmans, la stabilité de l’Etat et l’unité des Croyants. Elle constituait une manière de calmer la vraie nature arabe qui engendrait l’esprit de corps et la glorification de l’honneur.
Les prétentions de ceux qui déclarent trouver dans l’Islam une interdiction de l’expression poétique en soi sont donc fausses. Les rapports de cette religion avec la poésie étaient plutôt des rapports de force et dominés par l’intérêt de chacun des deux genres littéraires. Ceux qui croient ê cette interdiction vont en effet trop loin dans leur interprétation de la position de l’Islam ê l’égard de l’expression poétique
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