Le sort d’un salarié : je me souviens fort bien de cette époque où j’étais jeune et heureux !
Jilali Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM, Maroc, en droit, finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche
Je me souviens fort bien de cette époque où j’étais jeune et heureux, où l’idée de quitter un jour ces lieux était loin de moi. Je ne savais pas à ce moment-là, quel idiot étais-je, qu’il y avait un temps pour tout : un temps pour courir et un temps pour s’arrêter, un temps pour réfléchir et un temps pour écrire, un temps pour trimer et un temps pour traîner, un temps pour pouvoir et un temps pour prévoir…
On travaillait dans un secteur d’activité : public ou privé, administration ou entreprise. On était, un beau jour, embauché ou recruté pour occuper un poste. On était content, très content même, d’avoir ce poste. On se sentait pousser des ailes, et on bossait à fond, sérieusement tous les jours, ou alors la nuit, excepté les jours fériés, et même parfois les jours fériés aussi on peinait. Homme de peine tu es, homme de peine tu resteras !
On travaillait, selon sa qualification et/ou ses compétences, des heures ou quelques heures dans la journée, ou tout au long de la journée. Alors le matin de certains jours, pour certains, ou tous les matins, pour d’autres, on embauchait vers cinq, six, sept ou huit heures selon la nature du job ou du poste. On rejoignait son poste, et on bossait, on bossait sans répit : la semaine, le mois, l’année, puis l’année d’après, puis l’année suivante, et ainsi de suite des années durant : vingt, trente, quarante ans, voire plus.
On s’habituait avec le temps, et le temps passait, coulait subrepticement, on acquérait de l’expérience en vieillissant, mais on payait de son temps et de sa personne, on travaillait avec des collègues, on s’entendait avec certains, moins avec d’autres, on se faisait des amis, et des amies aussi, pourquoi pas ! On pouvait se faire beaucoup d’amis (ies), ou peu, selon notre nature, notre tempérament, notre caractère, réservé ou ouvert, sociable ou insociable, impliqué dans la stratégie, l’idéologie ou l’administration de la boîte ou un peu à l’écart…
Notre lieu de travail, où l’on passait vingt, trente, quarante ans, devenait forcément, avec le temps, durant tout ce temps, notre second foyer, notre seconde maison. On ne pensait pas au lendemain, on était épris de son travail, de son métier, on croyait le lendemain très loin, on n’y croyait même pas, à vrai dire. On l’aimait, ce foyer, notre lieu de travail, on le considérait, on le respectait ! On travaillait, et durement, mais on prenait aussi du bon temps.
Car on bossait, et durement, mais on s’amusait aussi, parfois on stressait, on était fatigué, on avait le cafard, des idées noires, et on continuait tout de même à bosser, malgré soi, car c’était notre gagne-pain, et il fallait que la boîte marche ! Et l’on faisait tout son possible pour que la boîte marche effectivement ! Et on était satisfait quand la boîte marchait, on était content quand on faisait bien son boulot. On s’investissait dans son travail, chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année, et puis le temps passait, sans qu’on se rende compte qu’on vieillissait.
Mais vient un jour, sans que l’on s’en aperçoive malheureusement, où « le temps des lilas, comme disait Proust, approchait de sa fin ». Alors on est surpris à la fois de l’ubiquité et de l’écoulement du temps, ce temps, qui n’a effectivement, à la manière de Lamartine : «point de rive. Il coule et nous passons ». Et pourtant, je ne saurais dire, comme J.J. Rousseau : «Je me sentais fait pour la retraite et la campagne ». Ce n’est vraiment pas mon cas.
Quel traître ce lieu ! Quel traître ce foyer ! Quel traître ce système ! Après tant année passées là. Fort heureusement on est tous sur le même pied d’égalité au moins pour cela : aujourd’hui moi, demain toi, à qui le tour ? Tu nais, tu vis, tu meurs ! Jilali Chabih, Docteur et HDR, Paris 2 et Paris 5, et Docteur d’État, UCAM, Maroc, en droit, finance, fiscalité, administration et méthodes de recherche
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