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Quand le professeur devient sujet de prêche du vendredi

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tayeb zaid

J’ai fait la prière du vendredi dernier dans une petite commune rurale (proche d’Oujda) qui commence à lentement renaître de ses cendres après une longue période d’oubli et d’abandon à laquelle elle a été livrée par des responsables partis après l’avoir laissé en ruine. L’imam chargé du prêche du vendredi a consacré la première partie de son sujet aux enseignants. Comme les enseignants sont le maillon faible de la chaine sociale, il en a fait sa matière grasse à partager avec les fidèles qui l’écoutaient et qui avaient très bien compris puisque dit dans l’arabe dialectale, la langue du peuple, crue et cruelle. L’imam en question, pour mieux illustrer ses propos, qui étaient d’ailleurs clairs et sans équivoque, a raconté aux fidèles une anecdote personnelle, dont il était le héros et la victime. Comme il voulait s’ouvrir sur le monde afin de varier ses ressources et enrichir son savoir et ses connaissances, il s’était inscrit dans une école privée qui donnait des cours d’anglais. Une fois en classe, il a remarqué que le professeur portait un pantalon déchiré aux genoux (ce qui est une mode !) et avait les sourcils rasés (ce qui est une hérésie !). Fâché, l’imam est allé demander aux responsables de l’école s’il pouvait changer de classe. Comme il n’y en avait qu’une, il a quitté l’école ruminant sa colère et son indignation qu’il est venu partager avec les fidèles parmi qui il y avait également des enseignants retraités ou encore en exercice. L’imam a dressé le portrait d’un enseignant d’anglais, dans une école privée, ce qui implique que beaucoup d’enseignants sont à l’exemple de celui-ci, s’ils ne portent pas de pantalons déchirés aux genoux et ne se rasent pas les sourcils, ils ont d’autres défauts préjudiciables à la pédagogie. Et comme la généralisation est bénéfique pour permettre d’étendre un peu plus la réflexion sur le sujet de l’imam de notre petite localité où j’ai fait ma prière ce vendredi, je me permets de lui dire que ‘’vous resterez toute votre vie durant redevable à celui qui vous aura appris un mot’’, que sans les professeurs dont vous brossez un tableau hideux et dégradant à l’un d’eux, vous ne monterez jamais les marches de la chaire où vous êtes pour faire votre prêche.

Et puisque vous y êtres, et pour être plus juste et plus équitable, et sans avoir à rougir de honte ou à trembler de crainte, vous devriez étendre les sujets de vos prêches aux autres responsables pour en montrer les torts et les vices, comme vous avez fait avec le professeur d’anglais qui se permet de se raser les sourcils et porter un pantalon déchiré aux genoux comme vous l’avez si minutieusement décrit. Et les sujets ne manquent pas. Et les responsables ne manquent pas. Et l’audience ne manque pas. Et les mots pour le faire ne manquent pas non plus, puisque vous les avez déjà si bien utilisés. Le professeur est le maillon le plus faible et la personne la plus vulnérable dans la hiérarchie de la chaine sociale. Tout le monde en parle, et le plus souvent en mal car il n’inspire ni la crainte, ni la peur, ni le respect qui doit lui être dû. Vous avez tout près de la mosquée où vous êtes chargé de faire les cinq prières quotidiennes et le prêche du vendredi, ou dans la ville la plus proche de la commune rurale, des hommes de loi, avec ou sans uniformes, des hommes de justice, des hommes de religion tout comme vous, qui eux aussi portent sur leur dos une bosse que vous devriez montrer aux fidèles, les vendredi à venir. Ainsi donc, vous ne serez plus en manque de matière pour meubler votre prêche, du haut de la chaire où vous siégez avec votre sceptre, grâce aux professeurs qui vous ont forgé pour en fin de compte le leur rendez avec le fouet.

Aucun des hommes de loi, des hommes de justice, des hommes de religion, ne vous a appris à manipuler la plume pour écrire. Le seul à qui vous devriez être reconnaissant est le professeur, celui dont vous avez fait le sinistre tableau.

Tayeb Zaid

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