Hugo et Balzac : emprunt ou inter influence
Zaid tayeb
Entre Hugo et Balzac, s’établissent des emprunts et des influences qui se développent sur une longue période. Ces échanges ont contribué à enrichir la littérature française du XIX ème siècle et à lui donner un coup de pouce pour la faire aller encore plus de l’avant. J’ai pu relever deux faits marquants qui, par leur évidence manifeste, ne peuvent pas passer inaperçus pour les lecteurs avertis.
Quand Hugo a écrit l’un de ses premiers romans, ‘’le Dernier Jour d’un Condamné’’ il n’avait alors que vingt sept ans d’âge. Mais cela ne l’a pas empêché de laisser à la postérité un livre qui ne ressemble à aucun de ceux que les lecteurs de son époque avaient l’habitude de lire. Ce livre qui ressemble beaucoup plus à un réquisitoire ou un plaidoyer d’un homme de loi qu’à un récit d’un homme de lettres augurait de la naissance d’un grand auteur qui allait marquer son siècle et la littérature française sur lesquels il allait confortablement asseoir sa notoriété et son autorité aux côtés de Balzac, Flaubert et Zola, pour ne citer que ces trois monuments. Dans l’un des nombreux chapitres qui composent ce livre, Victor Hugo fait entrer en scène un bagnard à qui il donne droit de parole. Le récit, pris en charge par le personnage lui-même qui répond au nom du ‘’friauche’’ se développe sur 3 pages du chapitre XXIII. Il constitue un récit dans le récit ou un récit porté par le récit porteur où il est judicieusement inséré au moyen d’une analepse fortement marquée par deux mots que l’un ouvre et l’autre ferme : ‘’ Que veux-tu ? voilà mon histoire à moi’’ et deux pages plus loin ‘’ Voilà, camarade.’’ Or, ce qui est écrit en trois pages d’un livre raconte la vie d’un malheureux dont la société de son époque a fait un monstre. Abandonné à la rue après la mort de ses parents, l’enfant de six ans sombre bien vite dans la délinquance pour survivre dans une société qui ignore les souffrances et les douleurs de ceux qu’elles accablent et comment les soigner ou les rendre moins brutales. Le petit enfant devient le friauche dans la langue argotique des bagnards avec qui il avait partagé la mauvaise fortune de Toulon. Au fur et à mesure qu’il grandissait, s’aggravaient ses crimes et s’alourdissaient les peines : Dix sept ans de bagne, la perpétuité, la peine de mort. Une vie de 49 ans condensée en 3 pages alors que les évènements de l’ensemble du roman avec ses 49 chapitres (heureuse coïncidence ou superposition recherchée ?) se déroulent en six semaines. Le récit du friauche se trouve donc plus épais et plus ample que le récit du condamné à mort qui lui sert de support : Une rétrospection de 49 ans de portée et d’autant d’années d’amplitude insérée dans un récit qui couvre une histoire de six semaines.
De ce fœtus encore à l’état embryonnaire dans le ventre de sa mère, naitra un géant.
L’histoire du bagnard, telle qu’elle a été rapportée par Hugo dans le Dernier Jour d’un Condamné, ne s’arrêtera pas là où elle est née. En effet, Honoré de Balzac la reprendra en 1835 pour faire de son héros un personnage clé de la Comédie Humaine. On retrouvera dans le Père Goriot et dans d’autres romans qui vont suivre l’histoire d’un autre forçat libéré ou évadé semblable à celle du friauche de Hugo, sous le nom de Jacques Collin alias Vautrin, dit dans la langue des forçats Trompe La Mort. S’agit-il donc d’un emprunt ou d’une influence ? Surtout si l’on sait que les deux écrivains avaient à quelques années près le même âge et la même hargne d’écrire et de produire.
Quand la plume de Victor Hugo s’affermit encore plus, il revient sur son friauche dont la société de son époque a fait un criminel pour lui consacrer plus d’espace que trois petites pages dans lesquelles il l’avait enfermé. En effet, les Misérables que l’écrivain a écrit en 1862 doit en grande partie sa célébrité à Jean Valjean dit Fauche le Vent dans la langue des forçats. Si toutefois l’histoire du friauche se développe sur trois pages, elle raconte dans ses menus détails la vie d’un petit orphelin livré à l’abandon et à la rue qui le façonne et l’éduque pour en faire un délinquant, un criminel, un galérien condamné à la peine de mort. ’’Avoir volé un mouchoir ou tué un homme, c’était tout un pour moi désormais’’, se confesse-t-il au condamné à mort qui doit être exécuté le jour-même. Balzac, dans le Père Goriot et Hugo, dans les Misérables récupèrent chacun à sa manière le friauche de le Dernier Jour d’un Condamné pour lui donner une figure plus humaine et le charger d’une mission sociale. Après la faute, le rachat. Mais malgré toute la bonne volonté du frauche, de Trompe la Mort et de Fauche le Vent de s’insérer dans la société qui les a rejetés après les avoir marqués du sceau du reniement, celle-ci refuse leur intégration en maintenant leur bannissement.
Le Dernier Jour d’un Condamné (1829) constitue un point de départ pour beaucoup des œuvres du jeune Victor Hugo. En effet, le chapitre XXIII annonce les Misérables (1862) à travers le friauche qui deviendra par la suite Jean Valjean, le chapitre XXVI, Notre Dame de Paris (1831) et son carillonneur Quasimodo, et le chapitre XXXIX, le roman 93(1874) avec l’évocation de Louis XVI, et Robespierre.
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