POLITIQUES MIGRATOIRES MAROCAINES , SANS STRATÉGIE NATIONALE GLOBALE ,COHÉRENTE ET INTÉGRÉE POUR LES MRE
Par Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur en migration
Le livre que nous venons de publier tout récemment ( fin juillet 2018) sous le titre : « Politiques migratoires marocaines en débat ; défis internes et enjeux externes (2013-2018) » , participe du devoir de mémoire sur ce fait sociétal contemporain qu’est la migration internationale , vue au niveau de ses deux volets pour le Maroc : immigration étrangère et asile d’une part , mais aussi émigration vers l’extérieur du Maroc et existence d’une communauté marocaine établie à l’étranger d’autre part . Or lorsque l’on parle officiellement de politique migratoire du Maroc , et plus précisément de « Nouvelle Politique Migratoire du Maroc » , on a tendance à oublier le secteur relatif aux Marocains résidant à l’étranger, en ne renvoyant qu’à la politique concernant le premier volet , sans s’interroger sur la nature de la seconde .
Politiques migratoires marocaines doivent en effet être saisies au pluriel , et la « nouveauté » , au plan des choix politiques et de la pertinence de la gouvernance , devrait réellement concerner et caractériser concrètement tout autant les deux volets , et pas uniquement le premier , comme c’est le cas actuellement en pratique , compte tenu d’un certain nombre de déficiences qui seront analysées .
L’ouvrage en question contribue de la sorte à l’évaluation de ces politiques avec des éléments d’alternatives . Il restitue , de l’automne 2013 à l’été 2018 , l’itinéraire d’une réflexion ou évolution d’une perception d’un observateur actif de la scène migratoire marocaine et analyste assidu des politiques publiques marocaines la concernant , dont il s’agit de déterminer les fondements et le contenu , de décrypter la portée ; politiques qui touchent à une multitude de dimensions et d’implications : économiques , financières , sociales , culturelles , cultuelles , éducatives , démographiques, politiques , juridiques , institutionnelles , environnementales , sécuritaires , diplomatiques , géostratégiques , implications au niveau international , sous-régional , nationales , locales .
Acquis et dysfonctionnements
Dans une démarche qui se doit d’être nécessairement équilibrée , en reconnaissant des progrès accomplis et des réalisations dans le domaine migratoire , le livre met au même moment le doigt sur des dysfonctionnements graves dans la gouvernance migratoire au plan général , et surtout sur l’absence de sens et de signification de certaines des politiques marocaines en question .
C’est ainsi que , depuis l’automne 2013 et comme le montrent des contributions publiées dans cet ouvrage , la « Nouvelle Politique Migratoire du Maroc » a connu des avancées qualitatives substantielles en matière d’immigration étrangère . Avec notamment depuis fin 2014 , l’adoption et le suivi d’une stratégie nationale relative à l’immigration et à l’asile , qui est l’expression d’un choix humaniste et de solidarité active avec les peuples du continent africain en particulier . Toutefois , cette stratégie est perfectible sur certains points et a besoin d’être opérationnalisée au plan juridique et réglementaire en particulier .
Tout comme l’insertion harmonieuse des immigrés dans le tissu productif et la société marocaine , qui est l’objectif ultime des deux opérations de régularisation (2014 et 2017) doit être activée , pour avoir des résultats tangibles dans les meilleurs délais possibles , sachant que l’œuvre la concernant , s’inscrit par ailleurs dans un projet sociétal auquel doivent contribuer toutes les composantes de la société marocaine . Ceci nécessite en particulier de tordre le cou à des préjugés et à une perception négative sur l’immigration subsaharienne , conçue soit en terme de «danger(s)» multiforme(s) , soit sous l’angle de compétition et de « concurrence » aux nationaux ou même les deux à la fois .
Par contre , la stratégie nationale globale , cohérente et intégrée , relative aux Marocains du Monde fait toujours défaut , malgré des rappels de discours royaux , dont le discours du Trône 2015 , avec en plus , son déni persistant par des responsables et des gestionnaires du dossier migratoire .
Une «com » ambiguë , sinon trompeuse
Comme exemple frappant du maintien de ce déni , on peut prendre des passages de diverses insertions dans la presse écrite , sous forme de « spéciaux MRE » ou « dossiers MRE » , publiés « en partenariat » avec le ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration , en marge de la Fête du Trône du 30 juillet 2018 ou à la veille du 10 août 2018 , Journée nationale de la communauté marocaine résidant à l étranger , ou reproduisant même les propres déclarations des plus hauts responsables de ce ministère :
⦁ « Le Royaume du Maroc a mis en place une politique intégrée en faveur des Marocains du Monde » ( « Spécial MRE » dans « Aujourd’hui Le Maroc » du 3 au 5 août 2018 , page 12 , « Spécial MRE » paru dans « Le Matin » du 10 août 2018 , page 6 et « Dossier MRE » , interview publiée par « La Vie Économique » , supplément au numéro 4956 du 27 juillet au 30 août 2018 , page II )
⦁ « Dans le but de renforcer les liens reliant nos citoyens marocains établis à l’étranger avec leur pays d’origine , le ministère délégué , chargé des Marocains résidant à l’étranger et des affaires de la migration , a mis en place une stratégie globale et intégrée » (entretien paru dans « Les Eco » du 10 au 12 août 2018 , page 12) .
⦁ « Le ministère se penche sur la mise en œuvre de différents programmes visant à renforcer les liens des Marocains du monde avec leur pays d’origine , précisant que ces programmes s’inscrivent dans le cadre de la stratégie nationale ayant pour objectifs de préserver l’identité des membres de la communauté marocaine établie à l’étranger , la protection de leurs droits et intérêts et la promotion de leur adhésion au développement de leur pays d’origine » ( paru dans « Le Matin » du 31 juillet 2018 , page 5) ;
⦁ La création d’un ministère délégué chargé des MRE et des affaires de la migration et la mise en place d’une commission ministérielle présidée par le Chef du gouvernement (…) , «tout cela a débouché sur l’adoption d’une stratégie intégrée au profit des Marocains du Monde qui remonte à quelques années » (« Dossier MRE » dans « La Vie Économique » du 27 juillet 2018 , page IV ) ;
⦁ La participation des MRE aux festivités de la Fête du Trône ( du 30 juillet 2018) , « s’inscrit également dans le cadre de la stratégie du ministère basée sur la conservation de l’identité des Marocains du monde , la protection de leurs droits et le renforcement de leur contribution au développement de leur propre pays » (extrait du communiqué du ministère chargé des MRE et des affaires de la migration , paru dans divers journaux dont « Libération » du 30 juillet 2018 , page 4) ;
⦁ « Le ministère délégué auprès du ministère des affaires étrangères et de la coopération , s’active à opérationnaliser une stratégie nationale au profit des Marocains résidant à l’étranger , en parfaite coordination avec les instances gouvernementales et les institutions concernées » ( voir l’entretien accordé à l’occasion de l’anniversaire de la Fête du Trône , paru dans « Rissalat Al Oumma » du 30 juillet 2018 , page 5) ;
⦁ « Le Maroc , seul pays de la région à avoir une politique intégrée en matière de migration »( « Les Eco » du 10 au 12 août 2018 , page 4) .
⦁ « Le Maroc , seul pays en Afrique du Nord et au Moyen-Orient à bénéficier d’une stratégie nationale en matière migratoire , à la question de la migration » (« Libération » du vendredi 10 août 2018 , page 4 et « Al Bayane » du vendredi 10 août 2018 , page 3) .
Ce type de «communication » déployée à grande échelle avec des moyens conséquents est ambigüe , risque d’induire en erreur , voir même est fondamentalement trompeuse , avec des contre-vérités . S’il y’a une « stratégie » culturelle ou une « stratégie » relative aux compétences marocaines à l’étranger , il n’y’a pas de stratégie nationale globale , cohérente et intégrée en matière de MRE . S’il y’a une stratégie nationale en matière d’immigration et d’asile , il n’y’a pas de stratégie nationale en matière migratoire au sens large , comprenant également le vaste volet des 5 millions de citoyens marocains établis à l’étranger , et encore moins une stratégie nationale en faveur des MRE , appliquée en étroite coordination avec l’ensemble des institutions nationales dédiées au secteur MRE .
Rappel du discours du Trône 2015
C’est le Roi Mohammed VI lui-même , dans le discours du Trône du 30 juillet 2015 , qui rappelait à l’ordre le gouvernement sur la nécessité impérieuse pour le gouvernement d’avoir une stratégie nationale globale MRE , cohérente et intégrée pour donner du sens aux politiques marocaines en direction de la Jaliya , sans qu’aucune stratégie intégrée en la matière , n’ait été élaborée depuis cette date : «Nous réitérons notre appel pour élaborer une stratégie intégrée fondée sur la synergie et la coordination entre les institutions nationales ayant compétence en matière de migration et pour rendre ces institutions plus efficientes au service des intérêts des Marocains du Monde » .
L’absence de cette stratégie nationale globale , cohérente et intégrée dédiée à la Jaliya , continue en cet été 2018 de peser très lourdement sur la gestion du domaine stratégique d’intérêt national qu’est celui des citoyens marocains établis hors des frontières nationales et sur la non prise en compte de leurs attentes et préoccupations . Elle retarde d’autant d’une part la coordination , la complémentarité et la synergie entre les différents intervenants institutionnels du secteur de la communauté marocaine résidant à l’étranger , d’autre part l’effectivité sur le terrain de la pleine citoyenneté des « MRE » par rapport au Maroc , en dépit de l’apport novateur de la Constitution rénovée de 2011 , avec notamment l’article 17 .
Cet article stipule ceci : « les Marocains résidant à l’étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté , y compris le droit d’être électeurs et éligibles . Ils peuvent se porter candidats aux élections au niveau des listes et des circonscriptions électorales locales , régionales et nationales . La loi fixe les critères spécifiques d’éligibilité et d’incompatibilité . Elle détermine de même les conditions et les modalités de l’exercice effectif du droit de vote et de candidature à partir des pays de résidence » .
Or pour les élections législatives du 7 octobre 2016 , le département chargé du dossier politique des élections , a donné une lecture anti-démocratique de la Constitution , en avançant lors du dialogue pré-électoral avec les partis politiques , que la loi fondamentale du pays interdit l’élection de députés MRE à partir de circonscriptions électorales législatives de l’étranger !!!
Espaces de liberté d’expression et de débat
Les contributions de l’auteur au débat public pour l’action qui composent le livre que nous présentons , ont trouvé hospitalité dans divers médias ( écrits , radiophoniques ou électroniques) qui sont signalés pour chaque chronique , tribune ou étude avec la date de parution (ou de diffusion ) . Ces médias , pour les plus fréquents , sont les suivants :
⦁ presse écrite : « L’opinion » (Rabat) , « Albayane » (Casablanca) , « Perspectives Med » ; Maghreb Canada Express (Montréal) .
⦁ radio : émission marocaine « Arc En Ciel » sur « Radio Pluriel » (Lyon) pour diverses chroniques « Citoyens Marocains à l’Etranger » ;
⦁ sites électroniques : Dounia News , Wakeup MRE puis Wake Up Info , lavigiemarocaine.ma , OujdaCity.com , almohagir.com .
Le dénominateur commun de ces contributions est de permettre à la question migratoire dans sa globalité d’être placée au cœur du débat politique et social du Maroc , d’entrer de plein droit et force dans les politiques publiques marocaines multidimensionnelles , la planification multi-sectorielle du développement , y compris régional et local et surtout , dans le changement démocratique et les nécessaires réformes politiques à mener dans l’intérêt du Maroc dans son ensemble , des citoyen(ne)s marocain(e)s établi(e))s à l’étranger d’une part , et des immigrés au Maroc d’autre part , dans le respect de l’intégralité des droits humains , par le biais d’une bonne gouvernance migratoire qui fait encore défaut , malgré certains efforts ponctuels .
Sur la forme , le lecteur peut constater quelques répétitions sur certains points . Celles-ci sont inévitables lorsque des problèmes restent longtemps posés sur la place publique avec , chez les responsables , l’absence de volonté politique de les résoudre et en ayant recours à la répétition sans relâche d’un même argumentaire officiel qui n’est même pas affiné avec le temps , y compris par des institutions nationales consultatives chapeautées par un même président , chargées pourtant de la promotion et de la protection des droits de l’Homme , ou bien de la défense spécifique des droits et des intérêts de la communauté des citoyens marocains résidant à l’étranger , et non pas au contraire à « militer » en particulier pour le non respect des droits politiques par rapport au Maroc des citoyens marocains établis hors des frontières nationales , comme le font notamment les responsables du CCME et du CNDH .
Quelques principaux thèmes
Comme le montre la table des matières du livre , une variété de sujets est abordée dans les analyses , à la mesure de la complexité de la question migratoire , de son caractère multisectoriel et transversal . De notre point de vue , sur l’essentiel , ces contributions gardent tout leur intérêt , dans la mesure où les questions auxquelles elles renvoient , n’ont pas encore été résolues à ce jour , en dépit de l’insistance au niveau du débat public . Nous sommes face à des défis et à des enjeux importants qui renvoient à des problèmes majeurs en suspens , en particulier :
⦁ l’absence de stratégie nationale globale , cohérente et intégrée en matière de Marocains résidant à l’étranger (voir notamment les pages 359 à 374 , 534 à 548 et les pages 668 à 697) ;
⦁ la nécessaire mise à niveau juridique et réglementaire pour tout ce qui concerne le dossier migratoire dans ses deux volets (loi sur le CCME , conformément à l’article 163 de la Constitution , révision de la loi portant création de la Fondation Hassan II pour les MRE , loi sur l’asile , révision en profondeur de la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc , à l’émigration et l’immigration irrégulières …) ;
⦁ la prépondérance , chez une bonne partie de l’opinion publique marocaine , de la perception négative des deux opérations de régularisation et de manière générale , de l’immigration étrangère au Maroc , ce qui nécessite tout un travail de pédagogie ;
⦁ la gestion plus ou moins chaotique des instituions chargées du dossier migratoire (en particulier le CCME , la Fondation Hassan II pour les MRE , le Conseil Européen des Oulémas Marocains, la CNSS pour ce qui est des droits sociaux des MRE ) ; pour ces droits , voir les pages 232 à 243 , 267 à 276 et l’étude pages 601 à 617 ;
⦁ la persistance , qui n’a que trop duré , de l’absence de participation et de représentation politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc : voir notamment les études et analyses pages 21 à 39 , 72 à 81 , 92 à 100 , 244 à 251 , 260 à 266 , 283 à 288 , 309 à 343 , 375 à 380 , 405 à 416 ,421 à 424 , 469 à 474 , 556 à 560 ;
⦁ la non opérationnalisation des diverses dispositions de la Constitution 2011 dédiées à la migration ;
⦁ le caractère non efficace de l’encadrement religieux par le Maroc de la communauté marocaine résidant à l’étranger (pp.524 à 529) .
Ces thématiques couvrent l’essentiel du contenu de ce livre et méritent qu’un débat national approfondi , apaisé , ouvert , démocratique et transparent leur soit consacré par le Parlement regroupant les deux chambres , avec l’étroite implication notamment de la société civile MRE et celle à l’intérieur du Maroc . Ce livre s’inscrit dans cet esprit . D’autant que le débat national sur le nouveau modèle de développement du Maroc n’a pas encore eu lieu , devant de notre point de vue , intégrer également la dimension migratoire dans ses deux volets , en s’inspirant notamment de l’Agenda 2030 pour le développement durable .
Une triple interpellation
Par ailleurs , les politiques publiques migratoires marocaines concernant rappelons le , aussi bien l’immigration étrangère au Maroc que la communauté marocaine résidant à l’étranger , sont également interpelées à trois niveaux .
1 – La première interpellation vient de l’Agenda Africain sur la Migration qui est un apport majeur du Royaume du Maroc à l’Union Africaine , préparé par le Roi Mohammed VI en tant que Leader de l’UA sur le dossier migratoire et soumis au 30ème Sommet de l’UA , tenu à Addis Abeba fin janvier 2018 (voir notamment les pages 632 à 666) . Si cet Agenda s’adresse à tous les pays africains , il concerne bien entendu le Maroc également et interroge le système migratoire marocain dans son ensemble .
2 – Les politiques migratoires marocaines sont interpelées en second lieu par l’établissement au Maroc de l’Observatoire Africain des Migrations et du Développement (la formulation « et du Développement » ayant été ajoutée à l’appellation après débat) , sous l’égide de l’UA . Ceci suppose notamment , comme «point focal » , l’existence effective au Maroc d’un observatoire national des migrations , dans ses deux volets , avec un véritable agenda national de la recherche en la matière , ainsi que l’implication ouverte et transparente des milieux universitaires et de la société civile MRE et interne au Maroc ( y compris les ONG de l’immigration) .
3- La troisième interpellation est due au débat délicat et sensible politiquement lié aux deux conférences internationales qu’abritera Marrakech fin 2018 : celle du 5 au 7 décembre 2018 liée à la 11ème édition du Forum Mondial Migration Développement sous co-présidence maroco-allemande et surtout , celle du 10 et 11 décembre 2018 relative à l’adoption formelle par les États membres de l’ONU , du « Pacte mondial pour des Migrations sûres , ordonnées et régulières » (PMM) . Le texte final de ce Pacte a été endossé par l’Assemblée général de l’ONU le vendredi 13 Juillet 2018 avant d’être soumis pour signature à tous les États membres de l’ONU lors de la conférence de Marrakech .
Un risque de régression
Même non contraignant , l’application effective étant laissée au bon vouloir des États , ce nouvel outil représente un problème de basculement majeur dans la gouvernance migratoire mondiale , avec un risque de régression par rapport à un certain nombre d’acquis figurant notamment dans les conventions de l’OIT , la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés , ou bien la Convention internationale pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille , à laquelle les grands pays du Nord n’ont jamais voulu adhérer , et de la prédominance par contre de la démarche sécuritaire et celle de la gestion des flux migratoires .
Quelle est ainsi l’utilité d’élaborer d’autres textes alors que des dispositifs internationaux plus avancés existent , mais sont contournés , marginalisés et «boudés » par les grands pays d’immigration comme les États-Unis d’Amérique (qui se sont par ailleurs retirés des négociations sur le PMM) et les pays de l’UE qui privilégient également les méthodes sécuritaires ? Comme le relève une analyse de «Justice Migratoire » : « ironie du sort , cela se fait sous un parapluie ONUSIEN pleinement assumé par l’OIM » !
En atteste le débat récent sur la création pour les migrants secourus en mer de « plateformes de débarquement » hors UE et notamment en Afrique du Nord , dont le Maroc , qui a refusé à juste titre cette «proposition » , moyennant financement de l’Union Européenne .
Comme il avait refusé auparavant l’installation sur le territoire marocain de « centres de tri » pour demandeurs d’asile à l’UE et rejeté avec constance depuis pratiquement le début de ce siècle ( les rounds de négociations formelles ayant débuté en 2003) , malgré de multiples pressions et un chantage quasi incessant , la mise en place de centres de rétention destinés à réadmettre les « illégaux » en Europe qui auraient transité par le Maroc , dans le cadre d’un accord général de réadmission UE-Maroc relatif non seulement aux Marocains en situation administrative irrégulière en Europe , mais aussi aux ressortissants des pays tiers , principalement de l’Afrique subsaharienne , qui auraient transité du Maroc vers l’UE et s’y trouvent de manière « clandestine » , «irrégulière» ou « illégale » .
Pacte Mondial ou pacte du silence !?
Dès lors , comment suivre cette attitude euphorique de l’ambassadeur représentant permanent du Maroc à l’ONU qui a notamment déclaré le 13 juillet 2018 qu’il ne faudrait surtout pas changer quoique ce soit à la nouvelle version du PMM , mais au contraire l’adopter telle quelle : « Nous sommes tous appelés à promouvoir ce Pacte dans nos pays respectifs . Il est de notre devoir collectif et individuel de garantir la pleine adhésion de nos autorités nationales et de tous les acteurs concernés , notamment la société civile et les migrants eux-mêmes » !? Et d’ajouter , alors que le PMM n’est pas contraignant : «Nous devons commencer à réfléchir sur les voies et moyens de mettre en œuvre , de manière efficace , les dispositions du Pacte » .
Bien entendu , c’est un grand honneur pour le Maroc d’abriter cette conférence . Mais ces propos sont-ils l’expression de la « neutralité » du pays hôte ? Partant du caractère non contraignant du Global Compact et du fait que certaines de ses dispositions ( criminalisation et détention des migrants, réadmission etc) font l’objet de vives controverses , ne sont nullement dans l’intérêt des pays du Sud et des droits des migrants , les inquiétudes exprimées dans les pages 662 à 665 de notre livre , à partir de la version antérieure du Pacte , sont toujours d’actualité au vu du contenu des objectifs 13 et 21 de sa nouvelle mouture .
Dés lors , leur discussion publique en particulier , doit rester ouverte . Il est important de soulever ce qui manque dans le Pacte ou de rectifier des démarches . On ne peut souscrire à un pacte du silence . La société civile doit rester un espace de vigilance et de plaidoyer , une force d’interpellation et de proposition , appuyant bien entendu les avancées , mais dénonçant les manques et/ou les remises en cause . Encore faut-il que cette société civile au Maroc , en rapport avec les migrations , retrouve le niveau de son dynamisme en 2006 avec la création du comité de suivi du Manifeste non gouvernemental euro-africain sur les migrations , les droits fondamentaux et la liberté de circulation , en réponse au processus étatique représenté par la Conférence Euro-Africaine sur la Migration et le Développement , tenu à Rabat en juillet 2006 . On ne peut se résigner au repli , abandonner le terrain du plaidoyer , ne plus chercher à tracer ensemble un autre chemin .
Dans cet esprit , relevons ce qui suit : alors que le Pacte Mondial sur les migrations doit être un processus cumulatif , il reste fondamentalement euro-centré avec beaucoup de contrôles , confortant et renforçant les politiques coercitives existantes et voulues par l’Union Européenne , comme ceci transparaît dans les réformes des législations et politiques migratoires introduites récemment , notamment en Italie , aux Pays-Bas , en Autriche , au Danemark ,en France …
Au même moment , l’Agenda Africain sur la Migration , qui se caractérise par de grandes avancées et dont tout l’apport n’a pas encore été capitalisé , se veut , au point 119 , un outil entre les mains de l’Afrique pour parler d’une seule voix et constitue , s’agissant du processus d’élaboration et d’adoption du Pacte Mondial sur les migrations , « le point d’appui de la position africaine commune » .
Que le débat pour l’action s’amplifie !
Au total , il est très urgent de revoir le modèle marocain de gestion migratoire , particulièrement en ce qui concerne le dossier des Marocains établis à l’étranger . De manière plus large , le contexte national , continental et international est propice pour que le Maroc , qui est perçu et/ou présenté comme exemple , voir même un «modèle » à suivre , se mette à niveau concernant le domaine migratoire dans ses deux niveaux ( au plan juridique , politique , institutionnel , opérationnel ) pour qu’on puisse valablement s’en inspirer .
Sur ce point , relevons cette déclaration de Omar Hilal , ambassadeur du Maroc auprès de l’ONU , qui a été épinglée le 13 juillet 2018 au niveau médiatique, comme étant la « citation du jour » : « La conférence de Marrakech sur les Migrations sera le début d’un processus de coopération , de partenariat et d’assistance technique , entre autres , qui permettra à la migration de devenir plus sûre , plus ordonnée et plus régulière . Marrakech sera le couronnement de ce que le Maroc avait pu faire sur les plans local , régional , sous-régional et international » .
Ce contexte incite aussi à ce qu’un large débat public soit mené au Maroc sur ce dossier migratoire qui est désormais une question politique par excellence , hautement prioritaire et présente dans tous les agendas à l’échelle internationale , en particulier de part et d’autre de la Méditerranée et en liaison avec le Pacte mondial . La nouvelle mouture du Pacte , avec ses quelques faibles retouches , ne peut faire l’objet d’un non-débat par la société civile en particulier . D’autant plus qu’à Marrakech même , le débat continuera et des négociations finales auront lieu avec un apport de l’Afrique qui sera décisif , espérons-le .
La publication du livre en question est une contribution au nécessaire débat public au Maroc lié à cette problématique migratoire en relation notamment avec le débat interne sur la problématique du nouveau modèle de développement ; avec la nécessaire opérationnalisation de la Constitution 2011 ; avec l’engagement africain fort du Maroc en la matière et avec la double échéance de Marrakech de décembre 2018 qui doit réussir .
Avec la commission ministérielle chapeautée par le Chef du gouvernement , dédiée au dossier migratoire marocain dans son ensemble , Sa nécessaire ouverture à la société civile MRE et celle à l’intérieur du Maroc , la nécessaire rationnalisation de son travail , l’établissement urgent d’un agenda à la mesure des défis qui se posent et l’activation de son rythme d’exécution sous l’œil vigilant de la Primature , devraient amener à une meilleure prise en compte des problèmes existants et à des résultats plus performants .
Rabat , le 15 août 2018
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur en migration
Aucun commentaire