« STRATÉGIE NATIONALE POUR LES MRE » UNE « FAKE NEWS
Par Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur en migration
Dernièrement , trois articles publiés par le site OujdaCity , et dont les liens figurent à la fin de cet article , ont attiré mon attention :
-La Politique multidimensionnelle de l’émigration du Royaume , saluée par la communauté internationale .
-Rappel de la Stratégie des Marocains du Monde .
-Le Maroc , un pays de destination et de résidence pour un nombre croissant de migrants et de réfugiés .
Ces articles , dont deux signés par Mohamed Drihem , soulèvent une série de questions et d’interrogations qui méritent discussion sereine , clarification rigoureuse et dialogue responsable . Voilà pourquoi , dans le cadre de ce débat public et sans le personnaliser aucunement , je souhaiterais formuler les remarques et observations suivantes par rapport à l’ensemble de ces interventions , mais en m’attachant surtout à celle intitulée « Rappel de la Stratégie des Marocains du Monde » , texte auquel renvoie le lien mis à la fin de cet article .
QUINZE REMARQUES
Qui est responsable de quoi ?
1)- Deux des articles mentionnés ci-dessus , sont signés Mohamed Drihem (qui n’appartient ni au ministère concerné , ni à aucun des médias cités ici) , mais les trois articles ont la même provenance . Ce sont en effet des documents entièrement élaborés par le ministère délégué auprès du ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale , chargé des Marocains résidant à l’étranger (MRE) et des Affaires de la migration , et on ne voit pas pourquoi une signature étrangère à ce département leur est accolée indûment , en supprimant au même moment , l’entête du ministère concerné .
Ces documents ont été envoyés comme notes de cadrage aux universitaires concernés pour préparer la deuxième réunion de concertation avec les chercheurs et experts en migration qui a eu lieu à Rabat le 17 janvier 2018 , à laquelle j’ai participé . Cette rencontre , non ouverte à la presse , fut présidée au nom du ministre , par le secrétaire général du département , Lahbib Nadir , avec la participation des directeurs et de cadres du ministère .
Un démenti par le discours du Trône 2015
2)- A deux moments différents , il est affirmé dans ces textes ( voit à la fin de l’article , les liens les concernant) , que : « le ministère délégué , chargé des Marocains Résidant à l’Etranger et des Affaires de la Migration a mis en place en 2014 , une stratégie visant à mieux répondre aux attentes et aux aspirations de la communauté , aussi bien au Maroc qu’au niveau des pays d’accueil , en coordination avec les différents partenaires » .
Puis dans le texte « Rappel de la Stratégie des Marocains du Monde » , il est affirmé que : « une stratégie visant à renforcer et à dynamiser les liens entre les Marocains du Monde et le Maroc , a été développé en 2014 ».
Or peut-on nous dire quand , par qui , par quelle instance et dans quelles circonstances , cette stratégie nationale en faveur des Marocains résidant à l’étranger , aurait été adoptée en 2014 ?
Pour nous , et comme nous l’avons montré notamment lors de cette rencontre de concertation du 17 janvier 2018 , si le Royaume dispose d’une stratégie nationale d’immigration et d’asile , adoptée par le Conseil de gouvernement du 18 décembre 2014 , dans le cadre de la Nouvelle Politique Migratoire , initiée en septembre 2013 par le Roi Mohammed VI , et si nous avons une stratégie dans le domaine culturel en direction des MRE , présentée publiquement début juillet 2015 à Rabat par l’ancien ministre Anis Birou , chargé des MRE et des affaires de la migration , une très grande faiblesse demeure . Le Maroc pâtit encore de l’absence d’une stratégie nationale dédiée aux MRE , alors que dans les documents officiels du ministère , cette stratégie nationale existe bien depuis 2014 et elle est même opérationnalisée , connaissant des acquis et des « AVANCEES » !
À ce propos , le 31 janvier 2018 , eut lieu à Skhirat , une intéressante initiative . Celle du lancement officiel par Abdelkrim Benatiq , ministre chargé des MRE et des affaires de la migration , et par Mohamed Laâraj , ministre de la culture et de la communication , du riche programme des tournées théâtrales en faveur des MRE pour l’année 2018 . Cette initiative rentre dans un cadre particulier qu’il s’agit de préciser .
Elle ne rentre pas dans le cadre de « la stratégie nationale en faveur des Marocains du Monde , mise en place par le ministère délégué chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration » , comme l’a annoncé un communiqué de ce ministère ( signé également par Mohamed Drihem dans OujdaCity le 30 janvier 2018 , la veille de l’événement , et dans «L’Opinion» en page 4 du vendredi 2 février 2018) . Cette initiative relève plutôt de la stratégie CULTURELLE en faveur des MRE , élaborée par le même département .
La différence est de taille , car une stratégie nationale globale , cohérente et intégrée dédiée aux MRE , englobe les multiples facettes et dimensions de l’émigration vers l’extérieur et de la communauté marocaine à l’étranger : économique , sociale , cultuelle , éducative , identitaire , politique , juridique , administrative , légale et conventionnelle , communicationnelle , genre , démographique , sociologique , sociétale , environnementale, développementale , géostratégique , nationale , régionale , maghrébine , continentale africaine , internationale , sécuritaire , droits de l’Homme, etc..et pas uniquement le volet culturel . Tout comme la stratégie intègre également notamment tout ce qui a trait au paysage institutionnel relatif aux MRE , en adoptant une démarche transversale englobant également tous les départements ministériels concernés .
Revenons sur ce point au discours du Trône du 30 juillet 2015 , dans lequel le Souverain procédait solennellement au rappel suivant au gouvernement : « Nous réitérons notre appel pour élaborer une stratégie intégrée , fondée sur la synergie entre les institutions nationales ayant compétence en matière de migration pour rendre ces institutions plus efficientes au service des Marocains du Monde » .
Le discours du Trône 2015 , dit par conséquent clairement qu’il n’y’avait pas , un an après 2014 , de stratégie nationale en matière de Marocains établis à l’extérieur des frontières nationales . Depuis , rien n’a été fait concrètement dans cette perspective , mais d’aucuns s’entêtent dans cette voie de la désinformation pour ne pas prendre leurs responsabilités . Ce n’est pas un malentendu , c’est une ligne maintenue et perpétuée à dessein .
Il conviendrait par conséquent d’opérer une rupture nécessaire et totale avec cette pratique improductive , que certains par contre affinent , croyant que la voie salutaire à suivre est celle-là . Mais il faut signifier clairement les méfaits de cette persistance chez d’aucuns dans le déni , dans la volonté délibérée de tromper et d’induire en erreur . Comme le dit un proverbe : « on peut tromper une fois mille personnes , on ne peut tromper mille fois une personne » !
On ne révise pas ce qui n’existe pas
3)- Cependant , pour l’avenir , le ministère se dit dans sa note de cadrage , signée par Mohamed Drihem , « soucieux de procéder à une révision et d’apporter un nouveau regard stratégique sur les problématiques » concernant les MRE . Tout comme il manifeste sa détermination « à lancer un processus pour la révision et l’élaboration d’une nouvelle stratégie » dans le cadre d’une démarche participative .
Cet engagement d’aller de l’avant est le bienvenu , mais on ne peut parler de révision ou de nouveau regard stratégique , alors que cette stratégie n’a jamais existé . De même , lorsqu’on parle d’une nouvelle stratégie , cela suppose qu’il y’a déjà une , alors que ceci est inexact . En fait , il s’agit d’élaborer une stratégie nationale en direction des MRE qui n’a jamais existé . L’impératif est de suivre une démarche appropriée comprenant plusieurs dimensions , qui n’ont nullement été prises en compte pour l’élaboration du texte qualifié de « Stratégie Nationale pour les MRE » , publié en arabe sur le site du ministère .
Voici quelques éléments de cette approche nécessaire : diverses études thématiques (connaissance des mutations structurelles au sein de la communauté , ses attentes et préoccupations ; évolution des politiques migratoires des pays d’immigration , étude du contexte international actuel et à venir , en anticipant les mutations qui traversent ce contexte à moyen et long terme ; envisager les divers scénarios possibles concernant l’émigration ) ; concertations avec les milieux concernés ; organisation de débats pluriels ; diagnostic de toutes les institutions dédiées aux MRE , etc…
4)- Certes , une étude d’envergure avait été lancée en 2012 coordonnée par l’IRES (Institut royal d’études stratégiques) , en partenariat avec le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration , la Fondation Hassan II pour les MRE et le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger ( CCME ) pour l’élaboration d’une stratégie nationale en faveur des Marocains résidant à l’étranger à l’horizon 2030 , mais elle a totalement échoué , n’ayant pas été terminée et son rapport n’ayant jamais été validé . Si l’étude avait abouti , nul doute que le rapport aurait été automatiquement soumis au Cabinet Royal par l’IRES , compte tenu du statut de cette dernière institution , et que le discours du Trône 2015 n’aurait pas fait la remontrance pour l’absence de stratégie nationale dédiée aux MRE …
Le département ministériel concerné et de manière précise , une de ses directions ayant été partie prenante à l’échec de ce vaste projet qui a coûté quelques 650 millions de centimes , on est en droit de nous interroger sur les raisons de cet échec , et de savoir les conséquences qui ont été tirées de cette expérience non réussie pour aller de l’avant et combler le lourd déficit existant .
Pour nous , cet échec est imputable notamment à des raisons méthodologiques et organisationnelles . En dehors de l’IRES , à travers les comités de pilotage et de suivi dont elles étaient membres , les institutions parties prenantes à l’étude , étaient juges et parties , aucune n’acceptant qu’un bilan critique de son action soit fait , que sa propre gestion soit mise en cause même pour améliorer l’organisation et le fonctionnement , et toutes se mettant d’accord de se protéger mutuellement et de faire front contre toute critique liée à leur gouvernance , alors que ces institutions connaissent de multiples dysfonctionnements , blocages et manque d’efficacité depuis bien longtemps.
Des fondements très discutables
5)- L’étude IRES ayant connu une démarche défaillante et n’ayant pas abouti , le ministère chargé des MRE s’es adressé par la suite à un bureau d’études pour venir en aide à la direction concernée . Cette démarche « S.O.S. » a permis de concocter une pseudo « stratégie » , synonyme de copié-collé. La version en arabe de cette « stratégie nationale MRE » dont parle les articles publiés par « Oujda-City » est toujours éditée sur le site officiel du ministère (voir le lien à cette stratégie en arabe) .
Comme nous allons le montrer , ce document est en fait le résultat d’un « bricolage » , d’une action désinvolte , à la va vite , caractérisée par l’amateurisme , une tricherie délibérée , une tromperie intellectuelle volontaire manifeste au niveau de l’appellation « stratégie nationale » , et l’expression d’une véritable imposture .
6)- Une remarque préalable au niveau de la « forme » . Curieusement , la traduction en arabe et la visualisation en page 2 du paragraphe intitulé « principales étapes » de l’élaboration de cette stratégie et de son opérationnalisation , est un véritable « couac » . Cette visualisation en trois temps ( 1 , 2 , 3 ) avec les éléments qui correspondent à ces chiffres , marque un amateurisme certain . En arabe , c’est sûrement un simple oubli , on lit de droite à gauche et non pas de gauche à droite . Les développements ou éléments qui correspondent au chiffre 1 , doivent se lire en premier à droite et non pas à gauche , et ce qui correspond au chiffre 3 , doit figurer à gauche et non pas à droite !!!
Au-delà de la forme , cette « stratégie nationale » est présentée comme reposant sur trois fondements ou soubassements ( voir le lien à cette stratégie en arabe) , plusieurs objections de fond peuvent être émises .
7)- D’abord la Constitution qui a consacré effectivement quatre dispositions centrales concernant les droits multiformes des Marocains établis à l’étranger : articles 16 , 17 , 18 , 163, auxquels on peut même ajouter certains éléments de l’article 30 .
Or rien dans la « stratégie » , ne fait référence par exemple à la participation et représentation politiques des citoyens marocains à l’étranger (article 17) . Dans le document de « stratégie » , on se contente de prévoir à la fin , une rubrique intitulée «Participation à la discussion autour de la participation politique au Maroc des Marocains du Monde » , avec deux orientations :
-«organisation de colloques et débats sur les préoccupations politiques des Marocains du Monde ;
-créer un espace approprié pour recueillir les attentes et les propositions » .
Or cette démarche « stratégique » fait fi de l’article 17 qui a déjà tranché sur le principe , alors qu’on est encore à chercher à discuter et à connaître les préoccupations politiques des citoyens marocains établis à l’étranger , comme si ces préoccupations restaient encore inconnues et qu’il n’y’avait pas eu le référendum constitutionnel du 1er juillet 2011 , auquel faut-il le rappeler , les MRE avaient participé .
Au lieu de passer aux modalités concrètes , à la recherche de procédures et de mécanismes pragmatiques pouvant traduire sur le terrain le contenu de l’article 17 , on remet les compteurs à zéro . Par ailleurs , lorsque ce genre de table ronde est organisé , on met en avant les « polémiques suscitées » et le fait que « les Marocains du Monde ne sont pas d’accord entre eux » …pour ne pas passer à l’acte !
De même , aucune allusion n’est faite au Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME ) ( article 163 de la Constitution )
Par ailleurs , alors que l’article 16 de la Constitution reconnaît notamment la nécessité de « la protection des droits et des intérêts légitimes des citoyennes et des citoyens marocains à l’étranger » , la pratique gouvernementale s’est caractérisée par une abdication devant les Pays-Bas, en remettant en cause un certain nombre de droits sociaux des Marocains immigrés dans ce pays .
S’agissant également des Marocains établis à l’étranger , où est la nécessaire « préservation de leur identité nationale » (article 16) , alors que , politiquement , ils sont considérés comme des Marocains entièrement à part , des citoyens de seconde zone !
Pour ce qui est de l’article 18 de la Constitution relatif à la démocratie participative concernant les MRE , si cet élément très important était réellement intégré dans la « Stratégie Nationale MRE » de 2014 et opérationnalisé , la question suivante ne serait plus pertinente . Comment se fait-il que le problème reste posé à ce jour , et que le discours du Trône du 30juillet 2015 ait été amené à appeler de manière solennelle le gouvernement concernant les MRE , à « la mise en œuvre des dispositions de la Constitution relative à l’intégration de leurs représentants dans les institutions et les instances de gouvernance et de démocratie participative » !?
8)- Le second soubassement de cette «stratégie nationale MRE » serait les discours royaux . La version en arabe cite deux : celui du 30 juillet 2010 et celui du 20 août 2012 . Or le discours du Trône du 30 juillet 2010 , ne dit aucun mot sur les MRE . Par contre , plusieurs discours pouvant constituer une référence , n’ont pas été cités , en particulier : ceux du 30 juillet 1999 ; 20 août 2001 ; 30 juillet 2002 ; 20 août 2002 ; 30 juillet 2004 ; 6 novembre 2005 ; 6 novembre 2006 ; 6 novembre 2007 qui comprenait notamment l’appel au gouvernement El Fassi d’entreprendre une réforme consistant en « une réflexion renouvelée et rationnelle et une révision de la politique migratoire , à travers l’adoption d’une politique globale , mettant fin au chevauchement des rôles et à la multiplicité des intervenants . Il s’agit d’une stratégie cohérente en vertu de laquelle , chaque autorité politique , institution ou instance , agit dans un esprit de complémentarité et d’harmonie pour s’acquitter des missions qui lui incombent pour assurer la bonne gestion de toutes les questions de la migration… » .
Sur ce point , si le ministre Mohamed Ameur , chargé à l’époque du dossier MRE , a accompli une myriade de réalisations , lors de la présentation à la presse du bilan de son mandat (9 août 2011) , il a eu l’humilité intellectuelle de regretter un manque d’harmonie des institutions dédiées aux MRE et le courage politique de reconnaître l’absence de stratégie nationale à long terme en la matière , mettant l’accent sur la nécessité de son élaboration pour l’avenir . Alors qu’au sein de son propre département , certains ne s’étaient pas empêché de parler de (et même d’écrire sur) « vision 2012 » , ce qui n’était en fait qu’un plan d’action 2008-2012 …Depuis , dans une sorte de fuite en avant , la tentation est grande de nommer vison , voir même stratégie nationale , ce qui n’est qu’un plan d’action très partiel , limité de surcroît au seul département ministériel dédié notamment aux MRE …Ce pas a été franchi maintenant , et cette démarche a été «banalisée » . Faute d’élaborer réellement comme il se doit , cette stratégie nationale , on se contente de dire et de répéter qu’on l’a , en la vendant par la « COM » de mille et une manière , en s’ingéniant à trouver les formules ambiguës…
Au niveau des orientations royales «oubliées » , il y’a aussi le discours du 30 juillet 2015 auquel nous avons déjà fait référence , qui a procédé au rappel de ce qui n’a pas été fait depuis 2007, en dépit par ailleurs des fermes instructions données le 21 décembre 2007 au président et au secrétaire général du CCME , à l’occasion de leur nomination , consistant à ce que le Conseil « contribue , en collaboration avec l’ensemble des autorités , à la mise au point d’une stratégie nationale d’immigration globale , multidimensionnelle , et prenant en considération les développements et les mutations accélérées que connaît ce phénomène . Cette stratégie devrait être fondée dans ses dimensions nationale , régionale et internationale , sur la cohérence et la complémentarité de l’action des autorités et des instances qui en ont la charge » .
Or à ce jour , ce cahier de charge n’a pas été assumé (tout comme d’ailleurs la mission consultative et la mission prospective du CCME) , et doit l’être avec une démarche rigoureuse .
9)- Le troisième fondement de cette « stratégie nationale » selon le document ministériel , est constitué par les différents programmes gouvernementaux . Dans la version en arabe de la Stratégie , publiée rappelons-le sur le site du département , on spécifie précisément le programme gouvernemental 2012-2016 .
Or de notre point de vue , au niveau méthodologique , un programme gouvernemental , aussi riche soit-il sur le dossier MRE ( ce qui n’était même pas le cas sous le gouvernement Benkirane) , ne peut fonder une stratégie . Au contraire , c’est la stratégie , conçue de manière globale , cohérente et intégrée sur le long terme , qui détermine les plans d’action (qui sont plus courts) , les programmes gouvernementaux et leur donne du sens , fixe le cap . C’est la stratégie qui permet d’avoir un cadre de réflexion et d’action prospectif , de doter le pays d’un référentiel pouvant guider et orienter les politiques publiques en matière de MRE .
Avec le document élaboré sous le titre « Stratégie Nationale pour les MRE » , on est ainsi en présence d’une expertise douteuse , avec une confusion méthodologique inacceptable , entre stratégie et plan d’action , programme gouvernemental et vision , qui ne peut que jeter le trouble politique .
10)- Une stratégie nationale MRE , ne peut faire l’impasse sur les diverses institutions et leviers d’action qui interviennent dans le champ MRE . Certes , le document de Stratégie comprend un programme numéro 8 intitulé «gouvernance et communication » , qui a pour but de « structurer la gouvernance pour organiser l’action de tous les intervenants institutionnels du champ MRE , de renforcer leurs capacités d’intervention et améliorer la communication autour de la stratégie dédiée aux Marocains du Monde ».
Or le document « stratégique » ne parle nullement des problèmes et dysfonctionnements que connaissent Bank Al Amal , la Fondation Hassan II pour les MRE , le CCME , le Conseil Européen des Oulémas Marocains , la CNSS etc..Ces institutions ne sont même pas cités dans ce programme numéro 8 comme on peut le constater dans le document en arabe (page 17) , alors qu’il s’agit d’arrêter un agenda politique pour mettre en œuvre de multiples réformes et de les intégrer dans les programmes nationaux !
Mêmes objections
11)- Un autre document , de 72 pages en français cette fois-ci , a été publié en septembre 2016 par le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration . Il porte le titre suivant : « Stratégie Nationale pour les Marocains Résidant à l’Etranger . Bilan 2013-2016 » .
Les remarques que nous avons formulées sur le texte en arabe , sont valables ici également , en ajoutant six autres observations :
*A supposer qu’il y ait eu véritablement l’élaboration en 2014 d’une Stratégie Nationale pour les MRE , qualifiée d’ « AMBITIEUSE ET INTÉGRÉE» à la page 11 du rapport , comment se fait-il que le bilan de la Stratégie intègre également l’année 2013 !?
*Alors que le discours royal du 30 juillet 2015 rappelle solennellement la nécessité d’avoir une stratégie nationale globale et intégrée en matière de MRE , comment se fait-il que le ministère concerné édite un document présenté comme étant le bilan 2013-2016 de la Stratégie nationale pour les MRE ? !!!
*A l’analyse de ce document , on constate que plan d’action , bilan d’exécution , politique publique nationale , vision , stratégie , s’entremêlent et se chevauchent , sans que l’on sache exactement , dans une de.arche brouillonne et confuse , quel est le statut accordé à chacune de ces notions , et ce qu’on y met derrière leur utilisation .
*Aucune approche prospective sous-jacente ne traverse ce rapport .
*Le rapport de septembre 2016 , parle en termes « d’amélioration des services consulaires destinés aux MRE » durant la période considérée (2013-2016) , alors que le discours du Trône du 30 juillet 2015 , a critiqué sévèrement les dysfonctionnements de l’action des missions marocaines à l’étranger !
*Comment considérer comme un grand progrès le fait que le programme « Sharaka » (aujourd’hui terminé) , financé par l’Union européenne , « décentralise» la recherche pour l’action au Maroc et mène dans l’Oriental un projet régional destiné à déployer et à mettre en œuvre la stratégie (nationale) au profit des MRE , alors que précisément , cette stratégie nationale , dédiée aux MRE , n’est en rien une réalité concrète !?
12)- Une des notes de cadrage de la réunion du 17 janvier 2018 , pose la question suivante : « comment renforcer la participation politique des MRE confortée par la Constitution ? »
Or jusqu’ici et comme on l’a déjà mentionné , on n’a rien fait pour cette participation . On ne peut donc parler de renforcer la participation . Celle-ci est au contraire combattue par un puissant lobby, auquel participent les responsables d’institutions censées défendre les droits des citoyens marocains établis à l’étranger (CCME , ex-CCDH puis CNDH) , en ayant recours à des arguments fallacieux ( problèmes techniques et logistiques d’organisation des élections à l’étranger etc ) , alors que bien des pays d’émigration-notamment africains- arrivent à le faire pour leur communauté expatriée .
POUR UNE POLITIQUE DU VRAI
13)- Au total , nous n’avons pas encore de stratégie nationale dédiée aux MRE . Prétendre l’inverse est une contre vérité .
Par ailleurs , la démarche d’ouverture du Ministre sur les chercheurs en migration est à saluer . Pour sa réussite , elle nécessite à notre sens qu’elle soit alors partagée par l’ensemble de la hiérarchie du département , qu’on utilise un discours de clarté , sans pratiquer le déni des problèmes existants , ni dans la pratique une forme de double langage .
Pas de manipulation !!!
14)- Au niveau médiatique et en matière de communication , le discours de vérité doit prévaloir, sans véhiculer et entretenir des propos mensongers , sans tentative d’instrumentalisation ou de manipulation quelconque . La presse n’étant pas présente pour faire objectivement le travail , au lieu d’élaborer un communiqué , de l’assumer en le publiant en tant que département et en le transmettant également à l’agence MAP pour qu’elle le traite et le relaye de manière professionnelle et responsable , une autre formule a été choisie par d’aucun(s) . Celle de garder le même contenu , mais en le faisant signer par des tierces personnes , tirées de préférence des pages «Proximités » du carnet d’adresses .
Les textes signés et publiés de bonne foi par le responsable du site « OujdaCity » , sont à rapprocher d’un autre texte publié ( également de bonne foi par les responsables de la rédaction) sous la même signature dans le journal « L’opinion » du 20 et 21 janvier 2018 (en page 1 et 4) , reproduisant de fait une note du ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration , qui a été précédé d’une courte introduction précisant notamment qu’une des principales thématiques à l’ordre du jour , a été l’établissement d’ « un état des lieux des AVANCÉES de la Stratégie au profit des Marocains résidant à l’étranger » .
On ne peut également que regretter pratiquement la même « fake news » ou désinformation téléguidée/relayée par le journal « Le Matin » (dont on connaît le statut) daté du vendredi 19 janvier 2018 . Dans un article signé par Ayoub Lahrache, ayant pour titre « Mise en œuvre de la politique migratoire , le gouvernement tient à se concerter avec les experts et les universitaires » , l’auteur affirme , dans une démarche manipulatrice soufflée visiblement par la même source , que les participants à la dernière réunion de concertation (17 janvier 2018 ) , ont notamment dressé « un état des lieux des différentes AVANCÉES de la Stratégie au profit des Marocains résidant à l’étranger » .
La formulation arrêtée par d’aucuns , et s’inscrivant elle-même dans une pure stratégie de « com » manipulatrice , avait pour objectif d’induire en erreur plusieurs instances du pays , les milieux internationaux concernés par la coopération avec le Maroc (principalement financière) dans le domaine migratoire , la communauté marocaine établie à l’étranger , l’opinion publique à l’intérieur du pays , voir même une partie des chercheurs travaillant dans le domaine migratoire et qui n’ont pas participé à la réunion. ( !) .
L’objectif retenu était par conséquent de faire passer un message central dans plusieurs directions , à savoir l’existence d’une stratégie nationale MRE opérationnelle globale , cohérente et intégrée , se caractérisant par des « AVANCÉES » , mais soumise malgré cela , à une opération d’amélioration auprès d’universitaires et de chercheurs du domaine , appartenant à plusieurs disciplines .
Or en dépit du peu de temps consacré au débat général , compte tenu du caractère capital des thématiques traités , divers intervenants ont bien montré que cette stratégie n’existe pas encore , et même en tirant les conclusions de ces échanges , le secrétaire général du ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration , a eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que cette stratégie nationale MRE n’a pas encore été élaborée , invitant les chercheurs et universitaires au nom du ministre , à accompagner scientifiquement le département dans ce projet indispensable .
Cela dit , il ne suffit pas de faire le constat et de reconnaître l’absence de stratégie relative aux MRE , il faut en tirer les conséquences en mettant à plat les politiques actuelles en leur direction , dans le cadre d’une réflexion globale , méthodiquement menée .
Engagement ferme pour un partenariat solide
15)- Encore une fois , on apprécie hautement l’ouverture d’esprit du Ministre , son véritable engagement dans cette voie depuis sa prise de fonction , et sa disposition louable consistant à donner tout son sens à la démarche participative dans sa gestion du dossier migratoire , qui nécessite l’apport de tous les acteurs et milieux concernés . Voilà pourquoi , en souscrivant pleinement à cette démarche dans l’intérêt national , on insistera fortement sur le fait que cette approche privilégiée par le Ministre , ne devrait pas être dévoyée et parasitée par d’aucun(s) , tendant à l’instrumentalisation et à la manipulation de l’information .
En tant que chercheur engagé de longue date de manière citoyenne dans le domaine des migrations , on ne peut être qu’entier et intransigeant . On ne peut garder le silence sur ce genre de pratiques fort nuisibles au climat de respect réciproque et de confiance mutuelle entre de vrais partenaires . Le dire franchement n’est pas du perfectionnisme ou bien du négativisme , du nihilisme , formuler des hésitations , encore moins fermer la porte à ce partenariat .
C’est bien au contraire , l’expression de la volonté forte d’y adhérer , en s’engageant sur des bases solides , claires et partagées , surtout avec la nécessité pour tous de faire réussir d’une part , l’Agenda Africain sur les Migrations qui interpelle également fortement le Maroc , et d’autre part la double échéance mondiale à Marrakech en décembre 2018 . Il importe en conséquence de garder la volonté institutionnelle d’ouverture sur les chercheurs en migration et la dynamiser sur des bases consensuelles pour assurer la durabilité de ce partenariat et aboutir à des résultats probants .
Liens des textes suivants :
*Ici «La Politique multidimensionnelle de l’émigration du Royaume , saluée par la communauté internationale » (Mohamed Drihem , OujdaCity)
*Ici le « Rappel de la Stratégie des Marocains du Monde » (M.Drihem, OujdaCity)
*Ici « Note de cadrage Stratégie MRE » avec annexe , 6 pages ( ministère MRE) Pdf
*Ici le texte en arabe « Stratégie Nationale MRE », édité sur le site du ministère MRE
Rabat , le 06 février 2018
Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur en migration
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