Le périple de Ghourdou dans »La Route vers l’Abîme »*
‘’La Route vers l’Abîme’’, roman de Ghourdo Abdelaziz, retrace avec la régularité d’un géographe le périple d’un ‘’je’’ narrateur/personnage/auteur. Il se décrit lui-même à maints endroits comme un auteur entré en conflit avec son personnage, avec son double qu’il nourrit en soi.
-‘’Tu n’es qu’un personnage de ma création’’ page 93
-‘’Oui, oui, vous les écrivains…’’ page 94
Le périple de Ghourdou (Abdelaziz), en une semaine ronde, linéaire et rectiligne, mais ouvert à l’air marin et salé, à l’inverse de celui de ‘’Fracture’’ de Torbi (Ahmed) au circuit circulaire et fermé, comprend des regards critiques et des pauses légères et pondérées . Chaque pause ou halte offre au narrateur un temps de méditation et de critique : critique de l’autre et critique de soi. La critique de l’autre se manifeste dans les prises de position contre les grandes surfaces auxquelles il a donné le nom de ‘’Planète des Singes’’, en référence au roman de Pierre Boule qui porte le même nom, lieu des rencontres imprévues avec le troisième sexe pour ne pas effaroucher les âmes sensibles avec les des termes plus crus, et plus cruels, de l’activité illégale de la contrebande et des contrebandiers, de la frontière toujours fermée entre deux pays que tout devrait réunir mais qu’une ligne imaginaire et maudite sépare. La critique de soi porte sur l’impuissance du narrateur à trouver une amorce à l’article qu’il est chargé d’écrire sur un soi disant meurtre ou suicide. La stérilité de l’enquêteur se transforme en obsession, en hantise, et le mot ‘’chien’’ qu’il a tué sur la route revient en leitmotiv, de manière maladive, pathologique. Cette stérilité est comblée par le personnage de conflit, son second moi, son double, le ‘’koka’’ qu’il couve en lui et qui se manifeste à la fin du roman pour prendre en main l’enquête, après s’être débarrassé de l’auteur enquêteur. Le revirement de situation qui termine le roman en une fin peu naturelle, j’allais dire fantastique, se caractérise par un meurtre commis par le personnage du roman contre son auteur. Ainsi, le personnage de fiction, le koka, a eu le dessus sur l’auteur qui, lui, est bel et bien réel. Le crime commis a un mobile : se débarrasser d’un auteur impuissant à écrire une histoire de crime ou de suicide. C’est donc le triomphe du Moi interne sur le Moi externe, triomphe de ce que je suis sur ce que je parais, de la puissance interne et couvée sur la stérilité et l’impuissance de l’apparence. Deux Moi, deux personnes opposées, l’agneau et le loup. Celui que nous nourrissons le plus est celui qui se manifeste le plus, le koka personnage contre le je auteur. ‘’Tu peux considérer que l’écrivain est à présent mort’’, dit le personnage à l’auteur avant de l’achever.
A l’instar de ‘’Les Faux Monnayeurs’’ de Gide, où le romancier parle du roman qui est en train de se faire, de ‘’L’Escargot Entêté ‘’ de Boudjedra qu’une obsession hante, de ‘’L’Etranger’’ de Camus , de ‘’La métamorphose’’ de Kafka dont le narrateur cite les personnages nommément, et avec qui il entretient des relations d’amitié et de voisinage, l’auteur de ‘’La Route vers l’Abîme’’ construit son récit péripétie par péripétie, empruntant avec bonheur la voie aux grands qu’il cite ou dont il s’inspire de manière serrée mais tout en conservant son originalité. Les sources d’inspiration de l’auteur sont nombreuses, riches et variées. Cela témoigne d’un acquis académique et littéraire qui lui a conféré une certaine autorité sur la trame du récit, sur la forme d’une narration auto-diégétique et surtout sur une fin inattendue qui rappelle celle du ‘’ Le Chevalier Double ‘’ de Guy de Maupassant.
Zaid Tayeb
عبد العزيز غوردو:الطريق الى الحافة، رواية*
1 Comment
Le « Chevalier double » de Théophile Gautier, plutôt que Maupassant. Erreur due sans doute à quelque distraction de votre part, monsieur Zaid. Merci pour le compte rendue de cette Oeuvre que j’espère lire un de ces jours.