Le rôle de la médiation pour l’amélioration des stratégies professorales
Résumé :
Les occasions de réflexion en situation d’auto-confrontation ou en situation de questionnement permettront aux enseignants d’abord, d’entrer dans une démarche d’explicitation de leur pensée dans l’action ; ensuite, de se laisser surprendre par leur propre action et de l’analyser en vue de réguler leurs actions futures. Ces deux hypothèses impliquent d’accompagner les enseignantes observées. Ainsi, l’observable mis à disposition des professeures servira à alimenter une réflexion partagée visant le travail de médiation des professeurs et les outils médiateurs mis à la disposition des apprenants. Le choix du matériel utilisé pour travailler les objets d’enseignement informe sur le rapport que les enseignants entretiennent avec les différents moyens disponibles voire notamment les objectifs du programme. La palette des moyens d’enseignement à choisir comprend les ressources publiées sur Internet, les programmes de l’enseignement, les manuels scolaires, les documents d’accompagnement des évaluations, les documents produits et proposés par les collègues de l’établissement d’exercice, les revues spécialisées, et les outils diffusés dans le cadre de la formation des enseignants. Les supports structurent les discours, et leurs caractéristiques contribuent à créer des situations d’apprentissage.
خلاصة:
فإن الفرص للتفكير في وضع المواجهة الذاتي أو الوضع استجواب يسمح للمدرسين أولا، الدخول في عملية توضيح أفكارهم ثم تقديمها إلى أفعال. هذه الافتراضات تستخدم لتغذية التأمل المشترك لعمل الوساطة للمتعلمين عن طريق الأدوات المتاحةلهم. الاختيارالانجع للمواد و الادوات المستخدمة لعملية التدريس يوضح العلاقة التي تبنى مع مختلف الوسائل المتاحة حتى بما في ذلك أهداف البرنامج. تشمل مجموعة من الوسائل التعليمية من موارد الإنترنت والبرامج التعليمية والكتب المدرسية والوثائق المرفقة للتقييمات والوثائق والمنتجات التي تقدمها الزملاء من ممارسة. هذه الوسائط تساعد على خلق مواقف تعليمية.
MOTS CLES : médiation- outils médiateurs- inetraction- stratégies
Introduction
L’auto-confrontation et le questionnaire comme modalités méthodologiques nous permettront d’étudier le rôle de la médiation dans la conception professionnelle des enseignants de français. La première modalité amènera les enseignants à commenter des moments significatifs, car c’est en faisant le détour d’une description fine de l’action que l’on va apprendre des choses sur elle et pouvoir être plus pertinent dans son analyse. Nous avons remis en main la grille d’analyse d’une séance observée avant l’auto-confrontation. Les enseignantes ont connaissance de quelques remarques que nous avons relevées lors de nos observations en classes. La seconde modalité méthodologique analysera les différents types de médiation et dégagera les rôles que peuvent jouer cette médiation dans le travail didactique de l’enseignant. Nous postulons l’hypothèse que ces verbalisations déclarées des enseignants révèlent souvent des conceptions généreuses qui peuvent pourtant faire obstacle au développement des apprenants : l’enseignant ne perçoit que les lacunes des élèves.
Les occasions de réflexion en situation d’auto-confrontation ou en situation de questionnement permettront aux enseignants d’abord, d’entrer dans une démarche d’explicitation de leur pensée dans l’action ; ensuite, de se laisser surprendre par leur propre action et de l’analyser en vue de réguler leurs actions futures. Ces deux hypothèses impliquent d’accompagner les enseignantes observées. Ainsi, l’observable mis à disposition des professeures servira à alimenter une réflexion partagée (entre les enseignants et nous-mêmes) visant premièrement le travail de médiation des professeurs et deuxièmement, les outils médiateurs mis à la disposition des apprenants.
Si ces deux hypothèses sont confirmées, d’abord, la méthodologie d’auto-confrontation permettra aux enseignantes de mettre à jour des préoccupations qu’elles éprouvent dans l’action et pendant son analyse ; ensuite, notre réflexion partagée avec les enseignantes en situations d’auto-confrontation contribuera au développement de concepts pragmatiques intégrés par celles-ci.
- Les interactions élève-professeur
Les modalités « oral » et « écrit » s’articulent au cours des interactions duelles, entre élève et professeur (21 fois), lors des interactions collectives (10 fois), d’échanges entre binômes de pairs (4 fois), et plus rarement en petits groupes (2 fois). Comment les enseignants déclarent aider leurs élèves ?
Un énoncé évoque la collaboration avec le surveillant, mais qui, dans ce contexte, reste dans son champ de compétence institutionnellement reconnu et permet à l’enseignant de se consacrer aux interactions de tutelle (WEIL-BARAIS, 1998, p. 5) : « Je suis obligé de varier les exercices et c’est difficile. L’avantage c’est que j’aide les élèves individuellement car je travaille quelques heures de soutien avec le responsable de la bibliothèque et là je propose des activités de recherche aux autres » extrait d’un questionnaire. Cette coopération entre l’enseignant et la bibliothécaire s’accompagne d’un changement de lieu, en l’occurrence la bibliothèque, dont l’organisation spatiale favorise les travaux de groupes.
À la différence de l’organisation du travail décelable dans les questionnaires renseignés, les conduites des enseignants poursuivent plusieurs buts : aider les élèves scripteurs à améliorer leurs productions et aussi aider les autres élèves à progresser à leur rythme, ce qui implique une organisation du travail différencié : vingt-trois répondants sur les trente-et-un professeurs ont répondu à la question 38 : « gestion de l’hétérogénéité : pouvez-vous donner des exemples de variations dans les taches demandées aux élèves pour ameliorer leur premier jet : du point de vue des contenus, des consignes, du guidage, des annotations et éventuellement des supports ». Les élèves présentent des besoins différents en raison de l’hétérogénéité de leurs niveaux de compétences communicatives langagières.
De surcroît, cette organisation du travail ne relève-t-elle pas toujours de la pédagogie différenciée ? Dans ce cas, les objectifs visés diffèrent chez les enseignants. Les trois citations qui suivent montrent bien que les compétences rédactionnelles des élèves sont non seulement en cours d’acquisition mais très diverses, ce qui amène les enseignants à diversifier à leur tour, leur palette méthodologique pour mettre en place, simultanément, des activités variées, inscrites dans la zone de proche développement de l’élève (VYGOTSKI, 1985)
« Les élèves travaillent seuls et je passe dans les rangs pour les aider. Souvent je fais lire des textes et les corriger ensemble. » extrait d’un questionnaire.
« Je donne des exercices différents au tableau ou sur des fiches » extrait d’un questionnaire.
« Je discute avec eux. Quand ils me font une proposition d’amélioration, je l’écris et on discute » extrait d’un questionnaire.
« Certains font des jeux lexicaux, d’autres des exercices d’écriture de phrase à remettre dans l’ordre et les plus avancés écrivent de petits textes » extrait d’un questionnaire.
Les modes d’organisation du travail varient ainsi que les supports comme en témoigne la déclaration suivante : « Je fais des groupes de niveaux à l’intérieur de la classe et je donne des activités différentes, des phrases à remettre dans l’ordre ou à couper, des textes à écrire ou des suites de textes » (doctorant, 15 ans ancienneté). Par ailleurs, les consignes qui cadrent l’activité de l’élève se multiplient pour réduire les degrés de liberté selon BRUNER (BRUNER, 1983) comme en témoignent les enseignants ci-dessous:
« Les élèves travaillent seuls et je passe dans les rangs pour les aider. Assez souvent j’amène les apprenants à lire les textes au tableau et on les corrige tous ensemble » extrait d’un questionnaire.
« Je donne des exercices différents sur des fiches » extrait d’un questionnaire.
Alors, en quoi consiste l’aide du professeur lors de ses interventions verbales ? Pour répondre à cette question, nous analyserons les trente réponses obtenues à la question 39[1]. Les dix absences de réponses ne signalent pas l’intention de laisser l’élève se confronter au problème. Rappelons qu’il n’est pas facile pour les enquêtés, de se rendre compte, hors contexte scolaire, des énoncés qu’ils formulent lors des interactions de tutelle, d’autant que « les phases varient en fonction de l’élève » comme le souligne une enseignante.
- Le rôle de l’enseignant
Même si « Soumaya » essaie d’utiliser des outils sémiotiques guidant l’activité de relecture et de révision de l’élève, elle accorde une grande importance au rôle de correcteur de l’enseignant :
- MP : ils_ont des difficultés à quel niveau à l’écrit ?
- S: {@à tous les niveaux} il y a de tout il y a de tout + je ne sais pas il y a vraiment de tout + je t’assure que des fois quand tu as envie d’aider un élève + et tu te mets à sa place pour l’aider à améliorer + tu te décourages + quand tu commences à lire tu te dis ah ce n’est pas possible + et sur site informatique + il y a aussi les fautes de frappe + les_oublis + toutes ces petites choses viennent s’ajouter au reste + ils sont faibles + et ils ne s’en rendent pas compte + c’est_à dire qu’ ils vont relire leur travail + mais madame ça va + tout va bien pour eux tu te dis bon c’est possible + tu vas jeter un coup d’œil + oh la la {@c’est la catastrophe }+ mais ils ne s’en rendent pas compte + donc tu dois reprendre avec chacun d’entre eux + regarde la première phrase + regarde ce que tu as marqué + regarde pourquoi tu as mis ça + après + ah oui ça il faut l’enlever + mais il faut être derrière chacun d’eux + quand tu fais un travail d’écriture tu as intérêt à être en forme + ah oui c’est sûr
Dans son discours, les modalités d’interventions professorales consistent à solliciter l’expansion des énoncés comme dans l’exemple suivant :
« pourquoi tu as mis ça » extrait d’un questionnaire.
ou à valider les propositions des élèves comme en témoigne le propos suivant :
« ah oui ça il faut l’enlever » extrait d’un questionnaire.
Notons que « Soumaya » opte notamment pour l’organisation du travail en binômes où le rôle de correcteur habituellement réservé au professeur est dévolu au pair :
- MP: ce matin qu’est ce qui était important pour toi dans leur travail d’amélioration ?
- S: c’était de pouvoir s’aider + je veux dire + au départ j’ai pensé j’ai le choix entre arriver et ramasser leur travail et à ce moment là je ferai comme d’habitude c’est_à dire que je barrerai et je mets toujours les mêmes_observations + orthographe + ponctuation + et pour aujourd’hui je me suis dit pourquoi pas essayer autrement et ce sera le plus fort entre guillemets qui va jouer le rôle du professeur + et entre eux je pense que ça passe mieux quand c’est un camarade qui remarque + tu as mis ça + qu’est ce que tu veux dire ? je n’ai pas compris + c’était surtout pour ça + c’était pour qu’ils comprennent leurs_erreurs + et qu’ils puissent la prochaine fois se dire ah mais H à côté de moi me l’a dit + ou Z + je crois que de cette façon là ils retiendraient mieux + parce que avec moi je remets la même chose + je redis toujours toujours la même chose
C’est la première fois dans l’année que « Soumaya » délègue son rôle de correctrice aux élèves, stratégie qui, selon elle, devrait être plus efficace :
- S: ah dans les meilleurs + c’était les deux démons qui arrivent à un mariage + au début c’était quoi ? des petites choses mignonnes + ils renversent de l’eau bénite sur celui qui est devant + à la fin ça devenait une scène de ménage + parce que les démons habitaient le corps de la future mariée et du futur + on arrivait à quelque chose de mieux mais on passe du temps + c’est_à dire que si j’avais été inspectée avec cette classe + à mon avis elle m’aurait sans doute critiquée sur la lenteur + ça c’est sûr + on est à ce stade là + vous n’en êtes que ici + je pense que passer trois quatre heures au lieu de une heure ou deux je pense que
- MP: trois quatre heures pour améliorer ?
- S: ah oui au minimum trois quatre heures au minimum en étant seule + je m’en fiche
A la fin de notre période d’observation, elle insiste derechef sur la charge de travail qui pèse sur le professeur de français dans le domaine de l’enseignement de la production écrite de gestion des copies et de correction :
- S: oui bien sûr + le concours je bouquine on n’a toujours pas les résultats + l’AMEF qui s’est mis en place et qui m’a pris + c’est vrai + mais je me dis bon je vais doucement mais au moins ça profite aux_élèves + tout ça c’est pas perdu + on n’est pas en train de s’amuser + je sais que je vais doucement mais en même temps + ils_ont de la chance de prendre le temps de faire ça + parce que faire un premier brouillon un deuxième
«Soumaya» reconnaît qu’elle vit, d’un point de vue ergonomique, une situation de travail exceptionnel puisqu’elle bénéficie de la collaboration de la documentaliste et de ses lieux d’enseignements variés. Il est vrai que les trois autres enseignantes observées sont seules avec leurs élèves et que sur les 232 questionnaires collectés, deux documents font allusion à une coopération in situ entre le professeur de français et la documentaliste dans le cas de « Soumaya » et entre le professeur de français et l’encadrant en barre mimio. Les deux professeures déclarent bénéficier d’autant de ressources externes, sociales et matérielles.
- Le travail de médiation
Le travail de médiation de la professeure constitue le troisième axe d’étude des entretiens. Dans les entretiens menés avec « Chaymae », se met en place la construction d’une identité professionnelle. Elle affiche en priorité dans ses préoccupations, la transmission du savoir-faire essentiellement en direction d’élèves en difficulté.
- MP: à ton avis c’est un dispositif qui aide quels styles d’élèves ?
- Ch : normalement les_élèves qui sont moyens et les_élèves qui sont en grosse difficulté + en grosse difficulté + les bons_élèves je leur apporte des petites choses ponctuelles + mais les moyens et en grosse difficulté + je les_aide
- MP: oui
- Ch : je leur apprends à + ce sont des_élèves qui n’ont jamais eu de parents derrière eux + que j’aide aussi parce que tout_est méthodique + ce ne sont pas des connaissances + je voulais pas que ce soit tout connaissance + je voulais que ce soit tout méthode
L’enseignante souligne la nécessité d’inculquer des savoirs procéduraux. Il est possible que l’argument d’autorité « tout est méthodique » renvoie à la mise en place de cours de « méthodologie » dans les établissements.
Le développement des compétences scripturales de « Chaymae » est lié à la répétition des tâches de reformulation que lui donne son inspecteur et à ses conseils méthodologiques. Bien que l’enseignante ne précise pas la teneur de ces préconisations, nous pouvons inférer de son discours que l’inspecteur évoqué est érigé en modèle professionnel de référence, car elle explicite ses critères d’évaluation, ce qui d’après « Chaymae » lui a permis d’être en situation de réussite.
D’autres voix sont convoquées dans les entretiens, notamment celle de l’institution qui réglemente l’organisation temporelle. Il apparaît que l’activité de réécriture aurait dû être limitée dans le temps pour respecter une règle professionnelle :
- MP: qu’est ce que tu penses de l’ensemble de ton organisation ? Après coup ?
- Ch : je ne suis pas gênée + je devrais l’être + académiquement parlant + officiellement parlant + je devrais être super gênée + mais je n’y suis absolument pas + car je voulais que ce soit de l’individuel + tu sais + je voulais qu’on avance à son rythme + à partir de ce moment là + je ne pouvais plus faire une séance une heure + une séance une heure + c’était pas possible + du tout + donc moi j’y suis_allée dans ma logique + en me disant voilà ça commence comme ça séance une + la deuxième étape c’est une séance deux + et puis après le temps imparti je m’en fichais royalement + ce que je voulais c’est qu’ils comprennent + et j’étais étonnée oui + parce qu’il y avait énormément d’élèves quand même qui ont pris beaucoup de temps pour réécrire + et pour chercher les_idées + c’est phénoménal
- MP: pourquoi tu dis que tu devrais être gênée académiquement parlant ?
- Ch : parce que on a l’habitude de dire qu’une séance c’est une heure + voire deux_heures mais sûrement pas trois_heures + or ma séance de réécriture + elle a pris trois_heures
La règle professionnelle du découpage temporel en séances d’une heure qui impose des coupures dans le champ didactique et dans le temps d’écriture des élèves est prégnante. Le souci de justifier cette organisation temporelle préoccupe « Chaymae » qui thématise immédiatement la gestion de la temporalité en réponse à la question de son interlocutrice. À la rigidité du découpage prôné par la communauté professionnelle, son discours oppose l’importance du temps à accorder aux apprenants. Cette rigidité est reprise d’un principe récurrent dans les écrits analysant la pédagogie de projet[2]et qui prouve la règle qu’elle dit être véhiculée par les instances décisionnelles[3] et qui ne peut être appliquée au quotidien.
Le discours montre, par l’emploi répété de la négation et par l’énoncé « je m’en fichais, royalement », l’affirmation et l’orientation de soi, à quel point le déroulement des séances, bien que programmé d’une manière détaillée dans les documents de planification, est envisagé avec souplesse dans sa durée pour respecter les rythmes d’apprentissage des élèves. En rapportant un discours dont la source n’est pas identifiée (« on a l’habitude de dire que… ») et qui s’inscrit dans la culture collective de la communauté enseignante, et dans la doxa institutionnelle, « Chaymae » prend position en lui opposant un aspect de sa réalité de praticienne comme elle le signale : « or, ma séance de réécriture, elle a pris trois heures ».
Lors des auto-confrontations, les propos de l’enseignante ne mettent point l’accent sur les seuls actes d’enseignement, mais sur l’interaction dans sa dimension collective, sur le groupe d’apprenants et sur le déroulement de leurs échanges. L’apprenant est vu désormais comme appartenant à un groupe social dans lequel il se fond. Cependant, ce rééquilibrage ne va pas tant dans la direction d’un effort pour envisager la classe comme lieu de progression langagière, que pour l’instaurer comme lieu de parole et de socialisation.
La nature et la fonction des outils médiateurs mis à disposition des élèves sont interrogées lors des entretiens. La fiche-outil qui cadre le travail de relecture et de réécriture de l’élève est un exemple récurrent :
- MP: qu’est ce que tu appelles les fiches outils dans les cahiers des_élèves ?
- Ch : ce sont des fiches qui reprennent en fait tout ce qui est grammaire tu sais + grammaire + orthographe + vocabulaire + conjugaison + (La professeure cherche son classeur et feuillette ses fiches) comme là leur fiche outil numéro un + c’était les niveaux de langue + mais tu peux aussi avoir des fiches outils sur le genre narratif ou alors le portrait + là ils_ont des fiches outils sur le mythe ou sur l’épopée + tu vois + fiche numéro deux + définir une émotion un sentiment + ce sont des outils de réflexion + schéma narratif rappel + enfin tout ça quoi + avant il n’y avait pas de méthodologie + au lycée + tiens fais un commentaire composé ! moi je n’ai jamais appris à faire de commentaire composé
Les propos de l’enseignante ne donnent pas de précisions sur l’élaboration de la fiche. D’après nos observations, il s’agit de textes définitoires qui parfois indiquent des procédures à suivre et parfois des plans de travail pour rédiger. Une précision autobiographique relie ces fiches aux besoins d’une
« méthodologie déficiente dans l’histoire scolaire personnelle de l’enseignante » extrait d’un questionnaire.
La voix de la communauté de pratique se fait aussi au sujet de l’organisation du travail des élèves en binômes. Pendant les activités de réécriture, « Chaymae » organise, comme « Jamila », le travail des apprenants en binômes qu’elle considère comme hétérogène. C’est à l’élève le plus compétent du binôme que l’enseignante décide de confier la responsabilité du feedback et celle de la tâche d’amélioration ou de correction. Nous percevons dans les entretiens l’écho d’une recette pragmatique du milieu enseignant en matière de constitution de binômes :
- Ch : (…) mais alors maintenant je me dis que j’ai peut être mal fait mon truc dans le sens où peut_être que j’aurais pas dû dire eh voilà vous donnez à celui qui est à côté de vous + tu sais + j’aurais peut_être dû travailler un petit peu plus les niveaux + en disant + comme c’est hétérogène + un super bon avec un très mauvais + pour que le super bon puisse vraiment rattraper le mauvais + parce qu’un moyen pour rattraper un mauvais c’est pas évident non plus + tu sais il est chose qui est très difficile à rattraper c’est pas évident + il verra peut_être pas toutes les_erreurs + ou alors après il y a de l’injustice tu sais qui entre en ligne de compte + mais là je crois que c’était vraiment un travail où il fallait les connaître à
- La négociation rédactionnelle
C’est dans les énoncés référant à l’interaction professeur-élève que nous retrouvons des traces de négociation rédactionnelle. Trente enseignants optent pour le « dialogue individuel » : ils évoquent leurs déplacements auprès des élèves pour interagir individuellement avec eux et pour livrer des indications métalinguistiques orales centrées sur la production :
« les élèves écrivent individuellement. Pendant l’écriture je vais leur parler de leur texte toujours individuellement. Ensuite je fais des montages de photocopies que je distribue à des binômes. Paragraphes, phrases. Ils améliorent et parfois je travaille avec toute la classe une production fautive ». extrait d’un questionnaire.
Décontextualisées, les traces linguistiques fournies ne peuvent rendre compte avec précision des modalités d’étayage de l’enseignant. Elles présentent essentiellement des termes métalinguistiques ou du discours métalinguistique et citent rarement des extraits de textes d’élèves. De ce fait, nous ne trouvons pas dans ce corpus certains outils langagiers utiles dans le processus d’enrôlement : ni répétitions avec modifications interrogatives, ni reprises suivies de modifications des énoncés des élèves. Nous observons très peu de discours autonymiques dans les réponses. En quoi consiste l’activité langagière des participants ? Un seul commentaire met l’élève, en situation de demande d’aide, à l’initiative de l’échange :
« J’aime beaucoup faire écrire de PETITS textes à la fin de chaque séance. Ce textes sont lus ensuite et commentés par les autres. Ils aiment beaucoup trouver chez les autres des erreurs, le but étant de les amener progressivement à une lecture critique de leurs propres travaux. Pour les textes notés, le premier jet s’écrit en classe, je ramasse les textes, les élèves améliorent et je réponds à leurs demandes » extrait d’un questionnaire.
Les composantes de savoirs proviennent alors de problèmes spécifiques rencontrés par l’apprenant. Dans tous les autres cas, l’interaction semble utiliser le classique format ternaire question-réponse-évaluation où le professeur demande à l’élève de reformuler à l’oral des segments de son texte puis valide ou invalide la réponse[4] :
« Qu’as-tu voulu dire par là ?/ Peux-tu préciser ?/ Pourquoi ?(la question qui revient le plus souvent)/ Est-ce que ton idée est située au bon moment du récit ?/ Comment peut-on faire pour développer cette idée/ ce paragraphe ? » extrait d’un questionnaire.
Le professeur peut endosser d’entrée de jeu un rôle strictement évaluateur soutenu par une grille à usages multiples :
« Élaboration d’un texte narratif en deux séances : élaboration comme d’une grille d’évaluation/ premier jet des élèves : je passe voir les élèves pour leur dire, ce qui va ou non dans leurs productions/ relecture du premier jet avec la grille/ Notation, évaluation avec grille/ correction comme/ correction individuelle de la copie(points bonus distribués si l’élève a tenu compte des remarques données par le professeur)Corriger les fautes de grammaire, orthographes+ idées, histoire » extrait d’un questionnaire.
ou peut se livrer avec l’auteur à une activité de co-révision :
« Regarde cette phrase, ne manque-t-il pas un mot ?/ Vérifie l’orthographe de ces mots (je les montre du doigt)/ Qu’est ce qu’on a dit d’une phrase ? Comment on fait pour la reconnaitre tout de suite ? (réponse attendue : point, majuscule « eh alors, tu l’as fait ? »/ Regarde comment a fait l’auteur, il a tout écrit en un bloc, regarde la mise en page… Et toi qu’as-tu oublié ?(attente : 2 paragraphes, des alinéas…)/ Il faudra recopier en écrivant lisiblement. Je n’arrive pas à lire » extrait d’un questionnaire.
Ces activités de révision et d’évaluation tiennent compte d’abord, des objets inscrits sur le papier (l’inscription qui sert de support à la lecture) puis, des objets oraux produits dans une phase d’élaboration, de suggestions, de proposition, c’est-à-dire un oral qui porte parfois les marques de l’écrit comme en témoigne l’extrait ci-dessous :
« Quand un élève montre son texte pour la première fois, je lui donne de répondre lui-même à des questions simples : où ? Quand ? Qui ? Quoi ?- Si l’élève ne sait pas répondre à l’un de ces éléments, ou reprend ensemble ce qui manque ou ce qu’il faut modifier/ les phases précises : où se passe ton histoire ? A quelle époque ? Quels sont les personnages ? Que se passe-t-il ?/ – Pour les outils de la langue, reprise des fiches créées en classe » extrait d’un questionnaire.
et des objets oraux en cours d’inscription, à savoir ceux qui sont produits oralement pendant l’inscription comme l’affirme l’extrait suivant : « par quelle expression peux-tu remplacer celle qui ne va pas ?/ Tu peux mettre…et là il faut que tu.. ». Les interventions orales des professeurs focalisent la production de l’élève et, comme nous l’avons déjà précisé, renvoient exceptionnellement à un texte-ressource à lire ou même simplement à observer comme le signale le propos d’une enseignante : « regarde comment a fait l’auteur, il a tout écrit en un bloc ? Regarde sa mise en page… Et toi qu’as-tu oublié ? ». Alors, quelles formes prennent les interventions du professeur ? Entraînent-elles des verbalisations de la part de l’élève ? Le classement formel des 231 citations recueillies donne différents résultats.
En premier lieu, nous remarquons que par rapport aux annotations écrites, les interventions orales questionnent davantage l’élève, livrent plus d’explication et moins d’injonctions. Malgré la pression temporelle et l’effectif, la majorité des enseignants déclare tenter d’instaurer un dialogue avec l’élève autour de sa production. Si 20 professeurs ont déclaré interagir en relation duelle avec un élève, 59 enseignants interagissent individuellement avec les élèves en réponse à la question 39[5]. Nous posons donc l’hypothèse que certains professeurs interagissent une ou plusieurs fois dans l’année pendant les séances d’écriture.
En second lieu, dans le corpus de réponses, 10 mentions de la lecture à haute voix ainsi que 10 demandes de vérification de la conformité de la production au sujet et aux consignes d’écriture. 8 professeurs font allusion à des critères ou à des grilles de relecture. 11 répondants soulignent la nécessité de prendre en considération le lecteur du texte :
« Je leur donne toujours de faire comme si leur lecteur ne savait pas de quoi ils parlent, ignorait complètement le sujet. Autrement, ils ont tendance à laisser sous-entendus des pans entiers d’informations, sous prétexte que je connais le sujet. Je leur dit qu’ils ne sont jamais trop claire ni trop explicites, et que le lecteur ne voit pas la scène dans leur tête, donc qu’ils doivent être le plus clairs possible » extrait d’un questionnaire.
En troisième lieu, aucune intervention orale rapportée ne signale de « bonne réponse ». Les professeurs ne semblent donc pas se livrer à un étayage parallèle comme le montre le témoignage ci-après :
« De manière générale, l’aide la plus efficace est l’aide individuelle. Cette aide doit être précise et cibler réellement ce qui pose problème. Cette aide ne doit pas se substituer au travail de l’élève et ne doit pas être mal vécue. Commencer par valoriser pour corriger » extrait d’un questionnaire.
Mais si l’ensemble des répondants déclare s’abstenir de corriger à la place de l’élève, six (6) enseignants affirment qu’ils localisent et identifient les problèmes au plan phrastique et inphrastique, pour demander une correction :
« Il y a combien de « … » dans ton histoire ?(pour les fautes d’accord)/ « qu’est ce qui ? »(Pour l’accord sujet-verbe)/ « On ne peut pas respirer quand tu lis ton texte, il manque quelque chose là et là » (Ponctuation)/ « je ne comprends pas de quel personnage tu parles là » extrait d’un questionnaire.
- Vers une nouvelle stratégie d’accompagnement
Le dernier entretien mené avec la professeure montre que celle-ci prévoit de changer ses stratégies et d’accompagner ses élèves en classe dans des situations de travail dyadiques élèves professeur :
- A. (…) mais je pense qu’avec cette classe là il aurait fallu faire faire en classe sur une heure + que je puisse passer + individuellement à chaque table d’élève pour que je puisse regarder et que je puisse regarder la grille et là tu as coché ça et qu’est ce que ça devient sur ton brouillon tout ça quoi
(Entretien du 20 février 2012 ; annexe 11)
Il ne s’agit plus alors de laisser les élèves seuls face à la révision de leur texte, mais de les accompagner dans les différentes phases du processus de révision : « Amal » ne remet pas en cause la détection et l’identification des erreurs[6] grâce au tableau des critères. Par ailleurs, l’organisation de la séquence est remise en question par la professeure qui décide de construire une séquence entièrement consacrée à l’écriture, intégrant une ou plusieurs séances liées aux » outils de langue » :
(…) donc à la limite je finis par me dire que par rapport à cette activité là il aurait fallu que ce travail là soit carrément une petite séquence et pas une séance dans_une séquence, le tout est d’en tirer le positif + oui il faut en faire une séquence autour d’un projet avec un texte attractif + je le referai l’année prochaine + j’aurai encore des sixièmes c’est sûr je le remodifierai.
Il est donc prévu que les élèves et l’enseignante interagissent dans le but d’améliorer la production préalablement écrite par les élèves, au sein d’une séquence entièrement consacrée à l’écriture, ce qui annonce un grand changement[7] dans les pratiques d’ « Amal ». Pendant les séances de correction, nous observons que l’enseignante accorde la priorité aux aspects linguistiques du texte. La tâche prescrite à l’enseignante est de corriger des fautes codées des élèves. La correction du texte se fait individuellement par autocorrection après que l’enseignante ait matérialisé les erreurs.
Il est à noter que l’enseignante fait preuve de beaucoup de créativité que les auteurs du document et elle met en place d’autres formes de correction. Le genre professionnel s’en trouve stylistiquement enrichi. L’enseignante déclare apprécier les textes des élèves au plan linguistique, or, il n’est pas le cas au plan pragmatique, affecti et symbolique comme en témoignent les tours de parole de « Amal 2 » suivants :
- MP: en production écrite + pour l’ensemble des suites de texte + euh les suites de textes + de contes + qu’est ce qui te semble prioritaire à faire en séance de correction + avec les_élèves ?
- Amal 2 : euh + en séance de correction + bon d’abord déjà voir si le la rédaction le travail qu’ils_ont fourni + n’est pas un hors sujet + ça c’est très très important + euh si si l’enfant a montré qu’il peut faire preuve de beaucoup d’imagination + si :: + parce que je leur demande aussi quelquefois d’imaginer une autre histoire + euh + qui aurait pu se dérouler dans leur pays + alors là + pouf euh évidemment + tout_est là (Le professeur désigne sa tête)mais il faut que ce soit quelque chose de fabuleux comme les contes + euh ::: + que ce soit assez logique + euh que ce soit un peu original + ça dépend + et après là seulement je reviens à la correction de la syntaxe de la syntaxe + de l’orthographe et de la grammaire
Dans l’extrait ci-dessous
039. MP : l’usage de fiches outils c’est quelque chose qu’on t’a montré en formation ?
- A: non c’est quelque chose qui était pratiqué dans l’établissement où j’étais affecté premièrement + c’était un établissement zone rurale + donc il y avait un vrai travail d’équipe + même si il y avait pas mal de collègues qui ne s’entendaient pas entre eux + la politique de l’établissement + c’était voilà tout le monde travaille en équipe + donc par exemple on commençait l’année + il y avait des vraies progressions + moi quand j’ai commencé mon année de tronc commun+ j’ai pas vraiment eu le choix + je pouvais les traiter comme je voulais mais il y avait telle et telle notion à faire + donc là bas ils faisaient des fiches outils + en fait j’ai dû faire moi aussi des fiches outils + donc je les_ai faites + et j’ai gardé le principe quand je suis arrivé en première année de titulaire dans ce lycée + donc j’ai gardé le principe des fiches outils + puis ça marche bien parce que ça permet à l’élève de se dire qu’en français on a aussi des leçons.
d’autres voix se font entendre dans cet extrait : celles des premiers collègues d’ « Amal ». Il est clair que l’équipe pédagogique a joué un rôle de ressource mais aussi de contrainte lors de sa première socialisation professionnelle. Les fiches-outils comme les progressions sont l’expression du genre professionnel qu’ « Amal » a dû s’approprier. Leur emploi relève clairement d’une obligation professionnelle que le professeur ne conteste pas : «je n’ai pas eu vraiment le choix» ; «j’ai dû faire moi aussi des fiches outils».
Les usages communs des progressions et des fiches-outils à prescrire ou à construire avec les élèves ont permis aux professeurs de cet établissement de se reconnaitre en tant que pairs, membres d’un collectif local. Les fiches-outils et le tableau des critères assument un rôle médiateur qui relie les pôles enseignant et apprenant. Les élèves ne bénéficient pas de la médiation d’ « Amal » pendant leur travail d’amélioration. De fait, ce sont les parents à qui revient implicitement la tâche d’aider l’élève pendant l’activité d’écriture comme en témoigne l’extrait ci-après :
- A : systématiquement donc comme ça permet de redonner davantage de valeur au travail de l’élève fait par l’élève mais pour moi même si c’est fait avec les parents
L’enseignante insiste par conséquent sur la condition de se faire aider par les parents : les parents ne doivent pas faire le travail mais ils doivent accompagner leurs enfants dans le processus de production comme le signale « Amal » :
- A: (…) + moi ça ne me dérange pas qu’ils_aident leurs_enfants à partir du moment où ils travaillent avec l’enfant et ne le font pas à la place de l’enfant + de toute façon quand ils font à la place + on s’en rend très vite compte + c’est vrai que j’ai une position particulière + il y a des collègues qui ont horreur de ça
En somme, ce chapitre nous a dévoilé l’importance de la médiation dans les interactions verbales. En effet, les outils médiateurs jouent plusieurs fonctions comme en témoignent les mots clés suivants : médiateur, organisation, motivation. Les quatre professeures ont fait appel à l’outil médiateur pour construire les interactions verbales. Donc, nous constatons que le problème ne réside pas uniquement dans la compétence syntaxique et lexicale de l’apprenant ni même à la compétence de la planification des énoncés et à la fluidité verbale mais surtout à l’usage d’outils médiateurs permettant de relier les pôles enseignant et apprenants. La mise en scène d’outils scripturaux médiateurs nous a permis de voir la structuration des interactions entre les partenaires de l’échange verbal. Cela nous a permis aussi de vérifier comment les professeures ont créé et maintenu une atmosphère propice à l’apprentissage d’ailleurs l’ensemble des professeures observées en insistent. L’usage professoral d’outils médiateurs dans un cours innovant est significativement différent de celui des élèves qui bénéficient d’un cours classique en production écrite.
En effet, l’apport des outils médiateurs en classe de langue reste très important comme en témoigne la mise en scène du TBI. Sur un autre plan, les enseignants qui savent gérer la contrainte de l’apprentissage individuel des élèves et qui gèrent simultanément l’organisation collective des situations d’enseignement réussissent mieux à construire les interactions verbales en classe de langue.
Conclusion
Les 232 questionnaires nous informent sur le dire des enseignants et sur leurs pratiques de classe notamment lors des améliorations des productions écrites de leurs apprenants. Ce deuxième chapitre a tissé deux moments : il s’est intéressé à vérifier en quoi ses caractéristiques demeurent des facteurs de réussite des interactions verbales et par conséquent de productions écrites réussies.
D’abord, à la lecture des réponses, nous avons remarqué que les trajectoires socioprofessionnelles sont linéaires et construites uniquement autour de la fonction d’enseignement.
Ensuite, les réponses font l’état de contexte d’enseignement varié, implantés dans des territoires sociologiquement identiques par l’institution. Puis, sur le plan de ressources professionnelles, les professeurs utilisent, plusieurs types de moyens d’enseignement en l’occurrence le manuel[8] et les œuvres intégrales, or, le mode de travail reste individuel chez nombreux enseignants à cause d’une tradition professionnelle disciplinaire. La pratique d’écriture est cependant rarement utilisée en dehors des séances programmées par le ministère. Les rares réponses qui réfèrent à l’activité d’amélioration des textes écrits semblent consacrées en dehors de la classe vu le manque de temps.
Au final, certaines réponses évoquent un écrit intermédiaire construit à partir des premiers jets. Cet écrit constitue pour ces interrogés un réservoir de mots de la classe. Les annotations, en outre, jouent un rôle médiateur tout comme les outils médiateurs. Certes, pour la majorité des enquêtés, les annotations sont des instruments de focalisation qui amènent l’élève à s’interroger sur sa production et à la modifier. Nous avons remarqué notamment que les modes d’organisations du travail varient comme varient les supports.
Le langage écrit est donc une modalité fréquemment mise en action sur les copies d’élèves pour les aider à améliorer leurs productions. Cette modalité a pour but de cadrer l’activité d’annotation de l’élève et a aussi un effet de structuration sur l’interaction verbale voire sur les échanges entre pairs et entre les élèves et le professeur. Deux autres activités langagières dominent dans les discours des enseignants, quel que soit le mode d’organisation pédagogique adopté :
- L’interaction orale autour de la production écrite de l’élève et autour des annotations,
- La lecture à haute voix où le discours écrit est parlé.
Les enseignants déclarent déclencher des phases de verbalisations autour de la lecture à voix haute des productions et autour des annotations de corrections pour permettre à l’enseignant d’exercer la fonction de maintien et de guidage de l’attention des élèves. Deux ensembles d’écrits sont mis en scène.
En premier lieu, pendant les activités d’écriture, toutes les enseignantes incitaient les élèves à mobiliser les ressources discursives et linguistiques de leurs environnements (dictionnaire, manuels et cahiers) pour traiter le sujet proposé. Ce dernier est reformulé oralement. En second lieu, pour ne pas perdre de temps et pour enrôler les apprenants, les enseignantes développent des moyens et construisent des outils afin de favoriser l’autonomie des élèves. Trois outils scripturaux structurent leurs tâches. Il s’agit d’écrits intermédiaires (grilles d’évaluation ou tableau de critères), de fiches-outils et de listes de phrases erronées à corriger. Ces outils n’ont pas été créés pour les besoins de la recherche : ils ont déjà été mis en œuvre lors des séquences antérieures et ils sont issus du répertoire disciplinaire des enseignants.
L’auto-confrontation implique une posture par laquelle les enseignantes ont l’initiative de commenter et de fournir les matériaux permettant d’identifier et de comprendre les processus qui organisent ce travail. Leurs interventions cherchent à expliquer l’implicite. Il s’agit d’une occasion de prescrire des solutions et d’ouvrir sur d’autres perspectives d’enrichissement de l’environnement professionnel. Tout au long de cette étude, un climat de confiance s’est installé avec les responsables des établissements, les enseignantes et leurs élèves. Les enseignantes ont affirmé par ailleurs que cette confiance avait un effet positif sur les élèves et elle s’est construite progressivement à travers le cadre dialogique des auto-confrontations. Certains élèves se sont montrés plus « bavards » après les entretiens et ont développé davantage leurs réponses et leur point de vue.
L’intention des enseignantes après le premier entretien a été d’accentuer l’implication des élèves dans l’analyse des activités en classe en les invitant à dialoguer lors des activités. Loin d’être spontanée, cette mise en lien des deux activités devient une ressource au service du développement des actions et des motifs des apprenants.
Les enseignantes sont devenues conscientes des informations apportées par l’élève. Ces informations pourront être partagées pour devenir une ressource commune pour le développement de l’activité en classe. Au-delà d’un face à face enseignant-élève et d’une confrontation adulte-adulte qui constituent souvent des obstacles spécifiques aux enquêtes menées auprès d’enseignants, il s’agit plutôt d’organiser les conditions d’un échange au cours duquel les enseignants et les chercheurs pourront dialoguer en parlant de ce qu’il est difficile à faire en classe ou encore de ce qu’il n’est pas ou plus possible de faire.
Les entretiens d’auto-confrontation avec les enseignantes, en situation de décrochage, ont permis de recueillir un double point de vue sur les pratiques effectives en classe. Selon une méthode clinique de l’activité fondée sur le principe du « transformer pour comprendre » (CLOT, 2008), les enseignantes ont déplacé l’activité scolaire dans un nouveau contexte, celui de la recherche, pour favoriser le développement d’une activité contrariée. Nous pensons que ce déplacement de l’activité scolaire vers un cadre de recherche, notamment la confrontation aux traces audiovisuelles, crée des situations inhabituelles propices à une activité de reconstruction du sens.
Ainsi, le recours aux entretiens d’auto-confrontation et au questionnaire et à l’analyse des séances observées nous ont dévoilés que le travail de la recherche autour des conduites professorales en classe de langue devrait partir de l’organisation didactique, de la gestion des plans collectifs et individuels, et de la médiation.
Le fait didactique relève de l’organisation des contenus, première fonction de l’enseignant. Ce fait didactique concerne l’organisation de la relation sociale à ses connaissances comme en témoigne TOCHON) François TOCHON, 2013 : 24( : « la gestion du groupe-classe » qui est la seconde fonction de l’agenda de l’enseignant ». Les références jouent également ce rôle lors de la planification de l’enseignement au moment où l’enseignant doit déterminer l’organisation de la matière et délimiter l’étendue des concepts à enseigner inscrits au plan-cadre d’un cours.
Les questions à se poser sont : d’où partir et jusqu’où aller dans l’enseignement de cette approche ou notion, dans quel ordre ou quelle séquence les contenus listés doivent-ils être présentés aux élèves ? C’est le deuxième moment de négociation, qui se passe habituellement dans la tête de l’enseignant ou avec un collègue.
Références bibliographiques
- BUCHETON, Dominique, et CHABANNE, Jean.-Claude, Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs, PUF, 2002,
- CICUREL, Francine, « L’agir professoral, une routine ou une action à haut risque ? », Communication présentée lors du Congrès du REF, Symposium Paroles de praticiens, savoirs et actions, Université de Genève, septembre 2003.
- CICUREL, Francine, et Véronique, Daniel, Discours, action et appropriation des langues, Paris : PSN, 2002, 286 p.
- CICUREL, Francine, Schémas facilitateur et métalangage dans l’apprentissage d’une langue étrangère, 366p.
- CICUREL, Francine (2005) « La flexibilité communicative : un atout pour la construction de l’agir enseignant » in Le Français dans le monde, Recherches et Applications : Les interactions en classe de langue, n° spécial, juillet 2005, pp. 180-191.
- CICUREL, Francine et LEBRE Monique, Discours d’enseignement et discours médiatiques: pour une recherche de la didactique, presse Sorbonne Nouvelle, Paris : 1994, p. 200.
- CICUREL, Francine, La construction interactive des discours de la classe de langue, Presses Sorbonne Nouvelle, 1996, 209 p.
– Jean François HALTE, Études de linguistique appliquée, Numéros 81 à 84, 2001
- Jean-Pierre JAFFRE, « la maîtrise de la base phonographique d’une orthographe est un passage obligé de la littéraire » 2004, p.33
- LAUZON, Francine, Rendre les élèves autonomes dans leurs apprentissages. Savoir communiquer, édition PUQ, Québec, 1990, 281 p.
- LEGENDRE, Renald, Dictionnaire Actuel de l’Education, Larousse, Paris, 1988. 451 p.
- LERCHER, Alain, Les mots de la philosophie, Paris : 1985, Belin, 1554 p.
- Patrick CHARAUDEAU et Dominique MAINGUENEAU, Dictionnaire d’analyse du discours, p.142
- François TOCHON, « l’organisation du temps en didactique du français » in Les sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle, n° 2
[1]. « Pour vous, quelles sont les expressions ORALES les plus efficaces pour aider les élèves à améliorer leur PREMIER JET de texte narratif ? Quelles phrases précises utilisez-vous à l’oral pour aider les élèves à améliorer leur production ? ».
[2]. RULLAN, 2005 :65
[3]. La règle préconisait en général une durée d’une heure par séance.
[4]. Il est parfois impossible d’identifier les modalités sémiotiques auxquelles réfèrent les informateurs dans leurs réponses. L’énoncé suivant est difficilement interprétable : « Toujours encourager et mettre en valeur une réponse correcte (Licence ès lettre, 28 ans d’ancienneté).
[5]. Pour vous, quelles sont les expressions ORALES les plus efficaces pour aider les élèves à améliorer leur PREMIER JET de texte narratif ? Quelles phrases précises utilisez-vous à l’oral pour aider les élèves à améliorer leur production ?
[6]. Depuis quelques années, le statut de l’erreur à l’école a évolué, tout comme la représentation de l’acte d’apprendre. Si auparavant l’erreur était assimilée à une faute, à un dysfonctionnement et si elle était écartée du processus d’enseignement de peur que le faux ne s’apprenne comme le vrai (on ne doit jamais faire de faute au tableau et on ne doit jamais montrer les erreurs qui ont été commises). Aujourd’hui, l’erreur est considérée comme une étape normale de l’apprentissage. Le statut de l’erreur apparaît en fait comme un bon révélateur du modèle d’apprentissage en vigueur dans la classe. Le modèle transmissif a une représentation de l’acte d’apprendre qui rejette l’erreur. Elle est perçue comme la conséquence d’un manque de motivation et d’intérêt de la part d’un enfant, et comme la conséquence de son niveau d’intelligence. Le modèle du conditionnement (béhavioriste) repose sur les hypothèses à ce que le savoir est décomposable en sous-savoirs et on apprend par empilement des connaissances (leçon 1, leçon 2… l’erreur est regrettable et elle a un statut négatif. Pour le constructivisme, l’enseignant se doit décortiquer l’erreur pour améliorer les apprentissages. L’erreur n’est plus définie comme un manque mais comme le fruit d’une production. Ce modèle attribue à l’erreur un statut positif.
[7]. Pour Charlier, « nous parlons de changement de pratique d’enseignement pour évoquer les changements mis en œuvre par un enseignant au miment de la planification de l’enseignement, de la place interactive ou de la phase post-interactive. Il peut concerner ses schémas d’action, ses décisions de planification ou ses connaissances de même que les actions mises en œuvre, les interactions avec les pairs et la réflexion exercée sur l’action. L’ensemble de ces éléments constitue ce que nous appelons sa pratique d’enseignement »’1998, p.78)
[8]. Le manuel est relatif aux œuvres intégrales et
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