Lecture des nouveaux programmes de français des troncs communs
TBIB ABDESSAMAD
Lecture des nouveaux programmes de français des troncs communs
Suite à la réforme du système éducatif marocain, réforme recommandée par la charte nationale d’éducation et de formation, et engagée à partir de 1999, l’enseignement/ apprentissage du français dans le cycle secondaire qualifiant à l’instar des autres disciplines, repose désormais sur le concept de compétence. L’une de ses premières finalités est la formation d’un citoyen autonome qui peut s’approprier des valeurs civiques et humaines universelles et qui est doté de compétences de communication susceptibles de faciliter son intégration dans le monde du travail.
Penser un enseignement en termes de compétences constitue un choix pédagogique qui repose sur des présupposés concernant l’apprentissage. Ces présupposés posent comme principe qu’apprendre c’est maîtriser des situations de plus en plus complexes. Pour développer des compétences, il faudrait travailler par projet, donc proposer des tâches qui inciteraient l’apprenant, à mobiliser des acquis et à chercher à les compléter.
Un tel choix ne peut qu’induire un changement au niveau des programmes, et au niveau du dispositif didactique et pédagogique de leur mise en œuvre. Ainsi, de nouveaux programmes de lycée ont été mis en place au début des années 2000, et ont à partir de 2004 et jusqu’à 2007, fait l’objet d’une rénovation. Mais dans tous les textes officiels, les orientations pédagogique générales pour l’enseignement du français dans le cycle secondaire qualifiant, en l’occurrence, l’œuvre intégrale apparaît comme étant le nouvel objet d’enseignent proposé, le support fondamental des diverses activités qui devraient caractériser cet enseignement.
Or, après plusieurs années de discours alarmistes sur le niveau de l’enseignement au Maroc, de nouvelles notions apparaissent comme « qualité » et « excellence ». Elles sont omniprésentes dans les titres des colloques et autres congrès, organisés aussi bien par le Ministère de l’Éducation Nationale, les Académies et les Universités que par différentes associations d’enseignants intégrés à des réseaux internationaux d’« experts ». Ce chantier que constitue la Réforme a impulsé une certaine dynamique de réflexion.
Il nous semble néanmoins qu’un décalage existe entre ce vaste mouvement de manifestations officielles, le foisonnement apparent d’idées et de recommandations et la force intellectuelle potentielle en attente d’orientation, de structuration, d’enrichissement, d’ouverture que l’on perçoit chez les enseignants, chez les élèves et chez les étudiants.
Le défi est donc lancé : une réforme de notre système de l’enseignement est devenue cruciale et urgente. Elle doit se faire sur des bases claires, logiques et loin des agissements des uns et des autres. Elle doit prendre en compte que le Maroc est un pays qui a choisi sa voie depuis l’indépendance : son intégration dans l’économie mondiale. C’est un choix qui doit marquer la nouvelle réforme. Finis les principes qui ne correspondent plus au 21ème siècle à savoir, entre autres, l’arabisation (qui n’a fait que reculer la qualité de notre formation comme l’a bien souligné sa Majesté dans son discours). Cette réforme doit prendre en compte toutes les étapes de la formation et tous les cycles de l’enseignement avec une définition claire des objectifs et des méthodes d’application et surtout d’évaluation et de remédiation.
Dans cette mouvance, un document proposé pour les troncs communs (désormais TC) nous informe qu’une commission est chargée de promouvoir l’enseignement de la langue française dans tous les cycles et qui « travaillent actuellement sur un curriculum révisé touchant les quatre premières années du primaire avec une expérimentation dans plusieurs établissements. [Il ajoute qu’] une fois expérimentée et validée, la démarche va être étendue et élargie pour toucher progressivement tous les niveaux et tous les cycles. [Or, le Préambule ajoute que,] cette priorité accordée aux premières années d’apprentissage qui sont déterminantes dans la vie scolaire de l’élève, ne [les,] empêche pas d’agir auprès des autres niveaux[1] ». L’équipe pédagogique chargée de la conception des programmes de français des troncs communs, intitulé « Enseignement-Apprentissage du Français au Cycle Secondaire Qualifiant », est composée de professeurs et d’inspecteurs pour entreprendre la rude tâche de faire faire le savoir et la connaissance à la mesure de nos apprenants.
L’objectif de cet article est de présenter aux lecteurs une lecture critique de cette nouvelle proposition au profit des professeurs de français du cycle qualifiant et notamment aux apprenants de TC. Ce travail mettra en exergue quelques interrogations personnelles relatives à cette nouvelle proposition.
Toute évaluation suppose au départ qu’il existe une demande formulée par un commanditaire à un évaluateur, soit de façon directe, soit à travers un appel d’offres, national ou international. Le rapport d’évaluation doit rappeler de façon claire la demande qui lui a été adressée. Si un document existe, le rapport d’évaluation reprendra autant que possible les termes mêmes de la demande. Si seule existe une demande orale, l’évaluateur veillera à la faire préciser oralement, à la consigner par écrit et à vérifier ce paragraphe avant de poursuivre l’opération d’évaluation.
Toute évaluation sous-tend des enjeux de diverses natures : enjeux institutionnels, personnels, financiers, matériels, culturels, pédagogiques… ces enjeux seront négociés et clarifiés au départ avec le commanditaire et, dans certains cas, avec les acteurs impliqués. Dans un esprit de transparence, ces enjeux seront énoncés dans le rapport d’évaluation.
Dans un monde dit « société de l’information et de la communication », où les informations circulent de plus en plus vite, certaines situations sont totalement contradictoires. A l’heure où certains communiquent par SMS, dans un langage déstructuré, tant du point de vue syntaxique que morphologique, d’autres s’appuient sur la qualité de la langue et de l’expression pour en faire des critères de recrutements de candidats de formation similaire tient à la correction orthographique, syntaxique et argumentative de ces écrits. Aborder l’enseignement de la langue française dans le contexte du genre journalistique n’est pas chose facile et on comprend mieux l’intérêt de mutualiser les expériences et les initiatives.
Avant d’entrer dans la présentation du programme du TC proposé par l’équipe en question, il convient de revenir sur l’approche globale de la conception et de la présentation respectivement du guide et du livret intitulés : « Enseignement-apprentissage du français au secondaire qualifiant ». Il est intéressant définir le concept de manuel scolaire qu’il soit destiné à l’enseignant ou à l’apprenant. Un manuel scolaire est un outil imprimé, intentionnellement structuré pour d’inscrire dans un processus d’apprentissage, en vue d’en améliorer l’efficacité. En effet, le processus d’élaboration d’un guide ou d’un livret scolaire fait intervenir un grand nombre d’acteurs (concepteur, rédacteurs, lecteurs, illustrateurs, metteurs en page, éditeurs, imprimeurs, évaluateurs, utilisateurs…) qui participent- à des titres divers- à l’élaboration[2] du manuel. Donc, les exigences de qualité scientifique, didactique, graphique, contextuelle deviennent nécessaires qu’il est impossible d’élaborer un document scolaire dans sa chambre. Ces acteurs interagissent dans un processus circulaire : Conception-Edition- Évaluation-Utilisation.
Il est important de noter d’emblée la différence des intitulés : agir autrement pour améliorer l’enseignement/apprentissage du français et « Enseignement-apprentissage du français au secondaire qualifiant ». Agir repose avant tout sur l’acteur principal « l’élève ». Malheureusement la motivation de celui-ci laisse parfois à désirer, et il ne sait d’ailleurs pas toujours pourquoi il est là. Le concept « agir autrement » suppose donc une démarche transversale fondée sur la diversité pédagogique, visant à l’autonomie en matière d’apprentissage. Néanmoins, dans cette acception de compétences transversales, ‘‘les concepteurs’’ se confondent avec le concept « capacité », ou d « aptitude»[3]. Le concept de compétence est intégrateur, en ce sens qu’il prend en compte à la fois les contenus, les activités à exercer et les situations dans lesquelles s’exercent les activités. Le contexte fait alors partie intégrante de la compétence. Elle est définie à travers un réseau, au sein duquel nous pouvons naviguer d’un point à l’autre. Dés que l’on sort du réseau, il s’agit d’une compétence différente. Le principe de l’intégration est fondamental dans l’approche par compétence : il répond en quelque sorte au problème de la simple juxtaposition de savoirs et d’objectifs, et propose de concevoir un apprentissage qui « se déroule par intégrations successives d’objectifs de plus en plus complexes [4]». Ainsi, une démarche pédagogique procédera par des allers-retours constants du complexe au complexe en passant par le simple[5].
L’intitulé « Agir autrement pour améliorer l’enseignement/ apprentissage du français » vise comme finalité « d’assurer aux apprenant(e)s les compétences nécessaires pour une poursuite aisée des études aux cycles de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur favorisant, ainsi, leur insertion dans la vie active [6]». Toutefois, assure ces compétences oblige le passage vers l’intégration de l’ensemble des savoirs, savoir-faire et savoir-être essentiels de l’année ou du cycle ; ce que malheureusement nous ne remarquons pas dans l’ensemble des documents présentés voire le guide et le livret ‘‘des concepteurs’’. Dans une approche par les compétences, nous les apprentissages se structurent selon les apprentissages ponctuels et selon les activités d’intégration.
Il faut signaler également qu’un manuel doit être en relation étroite avec les finalités du système éducatif, et ce à deux niveaux : à un niveau explicite et à un autre implicite. Le premier doit être en concordance avec les finalités ; le second doit être bien au clair avec les valeurs qu’il véhicule, que ce soit les valeurs tissées dans le texte de lecture, dans les situations proposées, dans les types d’exemples donnés et développés ou dans les illustrations. Cela influe sur le niveau de l’apprenant et sur son profil d’élève.
Néanmoins, en dépit de cette grande richesse offerte aux lecteurs, le choix de l’équipe pédagogique s’est arrêté de manière injustifiée sur un genre qui est dans sa phase d’agonie selon notre professeur de français[7]. En effet, aucune justification n’est citée par les responsables de ce projet. La finalité du projet est donc selon cette équipe d’« assurer aux apprenant(e)s les compétences nécessaires pour une poursuite aisée des études aux cycles de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur favorisant, ainsi, leur insertion dans la vie active[8]». Cette démarche repose sur des principes de modalités pratiques dans le cadre d’un projet innovant, réalisable et cohérent. Ce projet est pour servir l’intérêt de l’apprenant(e) en l’amenant vers une autonomie de compréhension et de production en français. Il aide l’enseignant à s’approprier une démarche de planification du projet et à faire développer un français fonctionnel pour répondre aux besoins spécifiques des apprenant(e)s. Pour ce faire, tous les efforts des concepteurs des programmes ont porté, malheureusement, sur le genre journalistique auquel ils ont accordé tout un semestre.
Alors tenter de parler du discours journalistique, il faut le préciser d’entrée de jeu, est en principe une entreprise délicate pour deux raisons. D’abord, c’est un discours qui répond à un genre particulier, le style journalistique qui, loin d’être dépendant de la plume de chaque journaliste, est régi par de règles, conditionné par des contraintes. C’est également un discours qui se définit, compte tenu de son lien avec l’actualité, par l’ancrage dans l’immédiateté.
Pour rapprocher les lecteurs et les intéressés du contenu des nouveaux programmes des troncs communs, nous leur proposons de contempler le sommaire du semestre 1 tel qu’il est inscrit sur les pages 3 et 4 du Livret de l’élève et 9 du Guide pédagogique du professeur :
Séquence 1 : Élaborer la maquette d’un cyber journal
Séquence 2 : Rédiger l’éditorial du cyber journal
Séquence 3 : Élaborer la rubrique ‘’Environnement’’ du cyber journal
Séquence 4 : Produire des reportages pour le cyber journal.
Les élèves des troncs communs et leurs professeurs de français seront donc condamnés tout un semestre à souffrir avec le vocabulaire journalistique comme s’ils étaient dans une école de journalisme et non dans un établissement public qui dispense un enseignement général. Alors, « quel est l’objectif que l’équipe des concepteurs des programmes des troncs communs veut faire atteindre chez les élèves des troncs communs en leur faisant produire la maquette de la Une d’un journal qui est curieusement composée d’éléments métaphoriques comme ‘’le cheval, l’ oreille, le ventre, le pied, la tête, le chapeau … ? ( Livret de l’élève pages 16 et 17). Quel est l’intérêt d’un programme dont la moitié de l’année scolaire est consacrée au journal ? Est-ce que les élèves des troncs communs doivent impérativement faire leur entrée dans le lycée par la prise de connaissance du journal, du vocabulaire et du style journalistiques ? Est-ce l’urgence des besoins des élèves qui a motivé le choix des concepteurs des programmes pour avoir accordé tout un semestre au journal ? Est-ce le niveau des élèves qui a exigé un passage obligé par le journal, ses composants, ses formes, son style, son vocabulaire ?… [9]».
Ainsi, toutes les activités scolaires hebdomadaires, de la réception et production de l’oral, aux travaux encadrés, à la réception et production de l’écrit, se rattachent au journal, à ses formes et à ses composants[10] :
Établir les raisons et les rapports d’un cyberjournal ;
Concevoir et produire une maquette du cyberjournal ;
S’approprier les fonctions et les propriétés de formulation d’un titre d’un éditorial ;
S’approprier les spécificités d’un éditorial ;
Rédiger un éditorial qui p- Lecture critique des nouveaux programmes de français des troncs communs (suite)
Comme les lecteurs peuvent le constater, tout le semestre 1 est consacré au journal, ses formes, ses composantes, son vocabulaire, comme si tous les élèves des lycées marocains étaient destinés à la carrière de journaliste dès les troncs communs ou comme si leur réussite scolaire en dépendait. Les préparateurs des programmes de français des troncs communs n’ont pas pris en considération le passé culturel des élèves, leurs acquis, leur niveau scolaire actuel, ce qu’ils ont appris au collège[11], ce qui leur reste à apprendre au lycée, les déperditions constatées lors de leur passage du cycle collégial au cycle qualifiant, les manques ou les insuffisances des programmes du cycle collégial et comment y remédier avant de s’engager dans la confection d’un programme qui doit aller de l’avant en innovant sans reproduire le passé, ni rompre avec le présent. Mais j’ai personnellement constaté qu’ils ont à la fois reproduit le premier et rompu ave le second.
Pour ce qui est du premier point, les préparateurs des programmes des troncs communs ont reproduit le programme de la deuxième année secondaire du cycle collégial. Le programme de la 2ème année du cycle collégial du livre PARCOURT et du livre Le français au collège en témoignent. Les préparateurs du programme de français du TC y ont largement pioché. La table des matières du livre de l’élève affiche les contenus du premier semestre comme suit :
Livres de l’élève de la 2ème année du collège
Le français au collège
Unité 1 : la Une
Unité 2 : étude d’un éditorial
Unité 3 : étudier d’un entretien
Unité 4 : la couverture d’un magazine
Unité 5 : Etude d’un fait divers
Unité 6 : des encadrés de magazines
– Unité 7 : un fait divers
– Unité 8 : un compte rendu de presse
– Unité 9 : des annonces
– Unité 10 : articles incitatifs
– Unité 11 : le courrier des lecteurs
– Unité 12 : articles à visée publicitaire
Parcours
Séquence 1 : reconnaitre et classifier les différents médias ;
Séquence 2 : identifier et analyser les caractéristiques générales d’un texte journalistique ;
Séquence 3 : reconnaitre et expliquer les différentes formes d’écrits dans un journal
Puis, Parcours propose à la page 41 la maquette de la Une d’un journal identique à celle du Livret de l’élève des troncs communs. Le semestre 1 de la 2ème année du cycle collégial (Parcours) est consacré au journal tout comme le semestre 1 des troncs communs du cycle qualifiant. Nous nous demandons s’il s’agit là d’une reprise, d’une exportation, d’un emprunt, d’un pastiche, d’un transfert, ou bien de ‘’toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé est purement fortuite’’.
L’introduction de ce nouvel objet d’enseignement : le genre journalistique, cause d’énormes problèmes au niveau de la gestion pédagogique de la classe de français. Comment gérer les diverses situations d’apprentissage du français à partir de cet objet d’enseignement ? Comment faire d’un seul objet d’enseignement le support fondamental de toutes les activités de classe sans tomber dans l’incohérence ? Comment impliquer un élève souvent réticent car ne comprenant toujours pas pourquoi on lui demande de faire des recherches à un certain moment, et pourquoi on travaille sur tel objet plutôt que sur tel autre. ? Les contenus de l’enseignement proposé lui apparaissent souvent disparates et donc forcement insignifiants. Comment justifier le choix des activités qui relèvent de champs d’apprentissage diversifiés à savoir « la lecture, l’écrit, la langue, l’oral et les travaux encadres »[12] ? Comment expliquer l’intégration d’extraits autres que ceux de l’œuvre intégrale puisque l’une des finalités de la réforme est « l’acquisition d’un savoir littéraire culturel, l’ouverture à d’autres modes d’expression culturel [13]? ».
L’exploitation pédagogique en cours de français pose de sérieux problèmes. Intervenir sur plusieurs fronts pédagogiques à partir d’un seul et unique support perturbe le professeur dans l’accomplissement de son rôle traditionnel et dans ses pratiques « courantes ». Pour faciliter l’exploitation pédagogique dans le cycle secondaire qualifiant, il faudrait mettre en place un dispositif d’apprentissage qui allie démarche didactique et démarche herméneutique.
En effet, Dans les orientations pédagogiques générales la séquence est définie comme étant un ensemble d’activités « visant le développement de compétences. Celles-ci constituent une réponse aux besoins des élèves »[14]. Ce concept répond donc parfaitement aux finalités de la réforme de l’enseignement du français puisqu’il met l’apprenant au centre de l’action pédagogique. Ce sont les besoins de ce dernier qui déterminent les activités de la séquence. Essayons de définir cette notion-clé. Elle nous offre les fondements de notre démarche didactique, premier déterminant dans l’élaboration de tout dispositif d’apprentissage à construire. Le Petit Robert définit « la séquence » comme « suite ordonnée d’éléments, d’opérations », « une suite graduelle, progressive, dans une direction déterminée ». Ce qui est à souligner dans cette définition générale c’est l’omniprésence de la notion de « cohérence », de « progression », et de finalité ; notions qui se retrouvent dans la définition de séquence dans le champ de la didactique. La séquence didactique organise « sur un ensemble de séances des activités de lecture et d’écriture visant à faire acquérir à des élèves clairement identifiés un certain nombre de savoir et de savoir faire préalablement définis »[15]. Une séquence didactique « s’inscrit dans un projet général et comporte une série articulée d’exercices collectifs et individuels d’observation, de manipulation et de production de textes. Elle suppose la délimitation d’objectifs d’apprentissage limités (…) est une articulation systématique des éléments enseignés »[16].
La séquence didactique est donc un dispositif permettant à des élèves précis de s’approprier des savoirs et des savoir-faire. « L’évaluation qui clôt la séquence didactique »[17] permettra en même temps « d’évaluer les nouveaux acquis et prévoir les actions de remédiations, de soutien ou de prolongement qui s’imposent »[18].
Or, la planification des nouveaux programmes est déséquilibrée comme nous le remarquons sur le chronogramme des séquences :
Séquence 0
Séquence 1
Séquence 2
Séquence 3
Séquence 4
Séquence 6
Évaluation diagnostique et remédiation
Élaborer la maquette du cyberjournal
Rédiger l’éditorial du cyberjournal
Évaluation, remédiation et régulation
Élaborer la rubrique ‘Environnement’ du cyberjournal
Produire des reportages pour le cyberjournal
Évaluation, remédiation et régulation
8H
12H
7H
5H
14
12H
5H
Le temps réservé à l’évaluation diagnostique et remédiation dépasse le temps réservé à la deuxième séquence. Le temps réservé aux séquences connait notamment un déséquilibre voire 12, 7, 14, 12, cela pousse l’apprenant à tomber dans cette routine qu’il condamnait depuis toujours. Donc, reste un grand travail sur le plan de la planification des contenus car une séquence est un dispositif qui met en place le cheminement d’un apprentissage cohérent et progressif aboutissant à une évaluation. Cette dernière permettra à l’enseignant soit de prévoir des actions de soutien, soit de programmer une nouvelle séquence didactique. Le genre journalistique apparaît comme le support principal des diverses activités qui caractérisent cet enseignement. Les séquences didactiques donc, doivent être aussi variées que les supports eux même. « Le niveau de la classe, la situation de la séquence dans le projet pédagogique annuel et les objectifs (….) constituent par ailleurs autant de facteurs de variété supplémentaires»[19]. La séquence didactique apparaît donc « à la fois comme l’espace privilégié du traitement didactique des savoirs et comme la base de tout projet annuel [20] » Elle nous offre un cadre général certes mais pas suffisant pour gérer l’enseignement / apprentissage du français dans le secondaire qualifiant à partir de ce genre. Étudier le genre journalistique dans le cycle secondaire qualifiant notamment dans les classes de troncs communs, c’est mettre en œuvre aussi une démarche herméneutique .Il s’agit de proposer des itinéraires possibles de construction des savoirs et des savoir-faire. Ce qui n’est pas le cas dans le livre ni même dans le guide. Les dispositifs d’apprentissage doivent être au niveau de cette démarche, l’illustration de certains choix qui ne peuvent être aléatoires.
Comme le préconise la réforme de l’enseignement/apprentissage du français, l’élève doit être le centre et l’acteur de l’apprentissage. Il est question ici d’une une mise en valeur de la vision constructiviste de l’enseignement. Ce qui nous invite à repenser le rôle de l’enseignant, la relation élève/enseignant et aussi le statut des supports de l’enseignement. Le genre journalistique, qui est le nouvel objet de cet enseignement, n’est plus à considérer comme une fin en soi. Elle doit être conçue comme un moyen qui permet de construire une démarche d’apprentissage. L’élève ne doit plus subir le savoir du professeur. Il doit être actif, s’impliquer dans le cours et participer à la construction de son savoir. Pour atteindre cet objectif, il faudrait l’intéresser et susciter son intérêt.
Une des finalités de la réforme de l’enseignement/apprentissage du français, et d’ailleurs de tout système éducatif, est de créer un lecteur autonome. Or, pour cultiver cet autonomie chez l’apprenant, il ne faudrait pas lui « donner » mais l’inviter à chercher, lui permettre de « construire ». L’élève doit réfléchir afin de pouvoir construire. Si on lui impose, dès le départ un sens donné, les finalités de l’enseignement/apprentissage risquent de se réduire à la reconnaissance, à la restitution et à la mémorisation.
Il faudrait impliquer l’apprenant en l’invitant à effectuer des tâches précises. Face à un obstacle de lecture, il doit apprendre à chercher des outils pour entrer dans le texte. On développe ainsi une démarche qui lui permettrait de trouver une éventuelle signification. Il faudrait entrer dans le genre à partir de ses propres composantes textuelles. Toute introduction d’un « savoir » pour lire le genre journalistique nécessite une véritable réflexion didactique sur son statut et sa finalité par rapport au dispositif d’apprentissage conçu. Comment donc introduire tout savoir qu’il soit culturel ou méthodologique ?
Le texte officiel relatif à l’enseignement du français dans le cycle qualifiant souligne constamment le fait que le travail sur l’œuvre intégrale s’inscrit dans une double perspective : d’abord méthodologique, culturelle ensuite. A travers ce support il faudrait développer chez l’apprenant des méthodes lui permettant de résoudre des problèmes de lecture face aux textes littéraires et non littéraires. .la question qui se pose est alors est ce que le genre journalistique pourrait être un support pour cette perspective culturelle ? « Tout l’enjeu de la pratique pédagogique est de faire en sorte qu’un objectif devienne un obstacle pour que, quand la personne travaille à une tâche, elle découvre l’obstacle, et à partir de là, puisse accéder au savoir qui lui permette de franchir cet obstacle (…) c’est dans la mesure où les savoirs apparaissent à nos élèves comme des moyens de franchir des obstacles qu’ils ont découverts dans l’effectuation des tâches qui leur sont proposés, que le savoir peut avoir un sens pour eux »[21]. Tout savoir doit être inscrit dans un processus de construction de sens. En finalisant tout apport qu’il soit instrumental, méthodologique ou culturel, on donne du sens à ce que nous enseignons. L’élève doit toujours comprendre la fonction de ce qu’on est entrain de faire à tel ou tel instant de notre cours. Dans un contexte où la simple information n’est plus utile car facilement accessible grâce aux technologies de la communication, il est urgent ; à l’école ; de construire le sens des savoirs. Mais comment savoir le moment opportun pour construire tel ou tel type de savoir ?
Un projet de lecture est une perspective de lecture dans une œuvre intégrale. Il propose un parcours (il devrait y en avoir plusieurs). Toutefois, tout parcours de lecture doit être justifié par des indices para textuels et textuels. C’est ce parcours qui spécifie la lecture, motive le choix des extraits qui vont lui servir de point d’ancrage et alimente les synthèses à construire. Il permet donc d’articuler les divers modes de lecture : lecture d’extraits, lecture transversale et groupements de textes. Il donne aussi du sens à toutes les autres activités de classe à proposer (langue, oral, travaux encadrés et production écrite). Or, comment le genre journalistique pourrait alors contribuer à cette motivation souvent absente chez nos apprenants ? S’il est vrai que le projet de lecture permet notamment de justifier le choix du support de l’évaluation et les critères de cette dernière comment donc ce genre journalistique auquel nos concepteurs ont fait appel pourrait guider les enseignants dans leur pratique de l’évaluation ?
C’est le projet de lecture qui donne sens et cohérence à la séquence. Il donne le sens à tous les savoirs à construire, et par conséquent à notre pratique enseignante. En s’interrogeant sur le statut, la finalité et les modalités de mise en œuvre de chaque activité ou support d’activité de classe on donne du sens à notre pratique enseignante. Ceci dit, proposer une perspective de lecture, un parcours ne risque t-il pas d’enfermer l’œuvre dans le sens d’une problématique thématique ou technique donnée ? Tout parcours de lecture doit être souple. Il doit s’inscrire dans la double perspective de l’enseignement/ apprentissage du français, à savoir la perspective méthodologique et la perspective culturelle. En plus, l’étude de l’œuvre devrait faire appel à d’autres textes littéraires mais aussi non littéraires. Encore une fois, tout dépend du projet de lecture. De la même manière que ce projet nous permet d’entrer dans l’œuvre, il devrait nous faciliter l’ouverture vers d’autres modes d’expression culturelle. Le genre journalistique a-t-il alors la possibilité de le faire ?
À suivre (…)
[2]. L’élaboration d’un guide ou d’un livret scolaire est le processus qui part d’idée et débouche au manuel « objet matériel » prêt à être utilisé
[3]. Voir à ce sujet la distinction introduite ente capacité et compétence, Xavier Roegiers (2000), Une pédagogie de l’intégration, Paris-BRUXELLES : De Boeck Université.
[4]. J. M- De Ketele et al., Guide du formateur, Bruxelles : De Boeck Université.
[5]. C’est le cas de la méthode global de l’apprentissage de lecture telle qu’elle a été proposée par DECROLY.
[6]. Guide pédagogique proposé, p. 3.
[7]. Tayeb ZAID, lecture critique des nouveaux programmes de français des troncs communs, article paru le 4 MARS 2017 sur Facebook, lu le même jour à 17h
[8]. Ibidem, p. 3
[9]. Article de ZAID Tayeb op. cité
[10]. Livret de l’élève, sommaire, pages 2 et 3
[11]. Nous signalons également que le même programme proposé par l’équipe se retrouve dans le livre Le français au collège de la deuxième année
[12] – O.G, p.7
[13] – Idem, p.7
[14] – Orientations Pédagogiques Générales, MEN, 2007.p7
[15] – Collectif, La séquence didactique en français, Ed. Bertrand Lacoste, 1992, p.17
[16] – Danz, le français aujourd’hui, n°93.
[17] – O.G, 2007, p.7
[18] – Idem, p.7
[19] – G. Langlade, la didactique au CAPES des lettres, Bertrand Lacoste, 1995, p.229
[20] – Collectif, séquence didactique en français, Bertrand Lacoste.1992.p17[21] – Anne Armand, Histoire littéraire, théorie et pratique, B. Lacoste, 1993, p.108.
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