Petite promenade guidée avec Assis Zaid
Zaid Tayeb
La narration que l’auteur de ‘’Promenade dans mon passé’’ a adoptée consiste à raconter sa vie de manière linéaire, rectiligne, chronologique, unidimensionnelle, bien loin du code d’écriture conventionnelle des romans à caractère autobiographique. Cette forme de narration confère au récit un caractère de platitude et de manque de relief et de profondeur. Si la narration est l’essence qui alimente et nourrit en mouvements l’autobiographie, les descriptions de personnages, d’objets, de lieux, de scènes animées sont des ornements qui tapissent et meublent l’ensemble de tableaux colorées et variées. La narration est une, la description est plurielle. La narration est une ligne. La description un espace. La narration est comme la marche, elle exige l’exercice de l’effort intellectuel pour la première et physique pour la seconde ; les descriptions sont des aires de repos et des lieux de contemplation. Elles permettent au lecteur de souffler, de reprendre ses forces pour une nouvelle étape dans ce long itinéraire. Ainsi donc, sur la linéarité de la narration, viennent se greffer des pauses si nécessaires au repos. Le lecteur est comme le marcheur et l’activité de lire n’est pas bien différente de celle de marcher. Foulée après foulée rapproche le premier de son point de sa destination et mot après mot le second de son but final. Cependant, le marcheur et le lecteur ont tous deux besoin de petits espaces, de petits tableaux, d’aires de repos pour se détendre et reprendre haleine.
Un autre point mérite d’être cité. L’auteur d’une autobiographie a besoin, à coup sûr, d’un système multiple et complexe de jeux de ‘’ je’’ pour mener à bien le récit ou une partie du récit de sa vie. Il me semble que monsieur Zaid a pris à lui seul toute la charge de la narration. Le ‘’je’’ qu’il emploie pour raconter renvoie directement à l’auteur qu’il est. L’absence de scènes dialogiques qui permettent au personnage de se manifester par des prises de parole directes occulte le ‘’je’’ narré, qui , en pareilles circonstances, doit être pris en charge par un ‘’je’’ narrant et la mise en abime d’un récit porté, celui de ‘’je’ enfant enchâssé dans un récit porteur du ‘’je’’ adulte donne à l’ensemble une atmosphère de tyrannie du dernier sur le premier et d’une main mise sur l’ensemble par une autorité absolutiste de l’auteur sur le personnage qu’il est et qui demeure mis à l’écart. On remarque à cet effet que l’auteur Zaid n’arrive pas à se détacher de Zaid l’enfant dont il raconte l’histoire dans ce qu’il appelle une autobiographie intitulée ‘’promenade dans mon passé’’. Le ‘’je’’ qui domine est à la fois celui du narrant et celui de l’auteur. La narration est du narrateur, les commentaires sont de l’auteur. Mais les frontières entre l’une et les autres sont difficiles à tracer avec des limites bien précises.
Au fil de la lecture de la ‘’Promenade’’, le lecteur découvre d’autres infractions au code de l’autobiographie. Comme l’auteur a choisi de prendre en charge la narration de son passé par le moyen d’un ’’je’’ unique, il s’est trouvé face à l’impossibilité de diversifier ses modes de narration en fonction des différents ‘’je’’ qui agissent en leur qualité d’auteur, de narrateur ou de personnage. Si le rôle de l’auteur est de commenter, critiquer, ou porter des jugements de valeur, celui du narrateur est de raconter et décrire et celui du personnage est de jouer la scène en tenant le rôle de l’enfant que l’auteur était à une certaine époque. La distribution des rôles donne lieu à la distribution des modes de narration. Dans la ‘’Promenade’’, l’auteur et le narrateur ne font qu’un, et comme tel, ils utilisent un seul’’ je’’ qui est à la fois celui de l’auteur et du narrateur et par conséquent utilisent le discours comme mode de narration qui lui permet à la fois de raconter et de porter des jugements. Ce qui donne à l’ensemble un air de platitude et de monotonie. L’alternance entre emploi des temps du récit et emploi des temps du discours aurait pu lever l’ambigüité engendrée par l’emploi d’un seul mode de narration, à savoir le discours.
Le dernier point porte sur le temps. Comme je viens de le dire dans le dernier paragraphe, la narration chronologique appliquée de manière systématique affecte le récit. Les projections dans le passé, ou comme les appelle Gérard Genette, les analepses ou rétrospections, donnent au récit du relief et de la profondeur. Leur absence donne au récit un caractère chronologique plat et sans contours. Les analepses, si nécessaires dans une autobiographie, permettent d’aller en amont de l’auteur et du narrateur vers le personnage que le récit peut saisir à une certaine époque, à un certain âge, dans une certaine circonstance et de revenir vers l’auteur et le narrateur. Grâce à elles, le lecteur peut à tout moment abandonner le récit premier pour se retrouver dans le récit second qui lui est attaché.
Malgré les nombreux écueils relatifs au pacte de production et de lecture de l’autobiographie et dont je viens de citer quelques uns, monsieur Zaid Assis a su nous faire promener dans son passé en dehors des artifices de la littérature, et ce, dans une langue saine et rigoureuse qui témoigne de la sincérité de l’auteur. Dans ‘’Promenade dans mon passé, ‘’ la réalité a eu le dessus sur la fiction et la vérité sur la vraisemblance.
Zaid Tayeb
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