RAMADANIYAT***6
J’ai renoncé à publier l’ambiance nocturne dans les cafés, épisode qui allait être le numéro 6 et la suite de mon feuilleton, tel que convenu, sauf que, après avoir passé au tamis cet épisode et trouvé un peu déplacé de salir mes RAMADANIAT(S) par les veillées polluantes de ces milieux considérés à l’époque comme des foyers de débauche et de délinquance. Je vous présente chers lecteurs et lectrices mes excuses et vous promets d’éditer ce sujet dans un autre contexte. Je vous en remercie.
5–LES ENFANTS ET LES JEUX NOCTURNES DURANT LE RAMADAN
Pour revenir aux enfants et à l’ambiance qu’ils pouvaient se créer dans leur quartier durant ce mois sacré du RAMADAN, surtout s’il coïncide avec une saison où il fait beau temps ou avec les vacances scolaires , ils s’organisaient un peu partout dans les rues, chaque groupe dans son DERB (rue) à proximité de chez soi. Ils paraissaient de loin comme des silhouettes, en mouvement, nombreux et petits sous la lumière des lampes électriques logées sous des abat-jours circulaires en métal peints à l’intérieur en blanc pour créer un reflet afin d’augmenter la luminosité, leur revers était peint en noir pour résister à la corrosion. Tenus dans une position oblique par de longs bras métalliques en forme de « S » renversé, largement ouvert et bien fixées à des poteaux en bois , ces lampes émettaient une faible lumière ressemblant à celle des réverbères que j’ai eu l’occasion de voir dans les vieilles rues parisiennes. Un nom qui revient dans quelques strophes de la poésie française chez certains poètes du XIXème siècle étudiée au cours des différents niveaux de l’ancienne école ayant marqué la belle époque. Au début de l’occupation, des générateurs étaient installés plus bas de la mosquée dans un grand local entouré d’une muraille, ils produisaient de l’électricité qu’elle fournissait aux habitants.
Aux coins des rues du quartier faiblement éclairés, ces petits groupes d’enfants où les filles étaient absentes pour des raisons coutumières qui nous obligeaient à respecter nos mœurs, accroupis ou agenouillés à même le sol, têtes basses comme s’ils étaient autour d’un plat en train de manger du couscous, étaient absorbés par le jeu du pile ou face qu’on appelait CINQ WA-L’VINTE, cinq : le pile, l’vinte : la face, (Drôle d’appellation !). Du revers du pouce aidé par l’index et le majeur, ils manipulaient chacun sa pièce de monnaie en l’envoyant tourner autour d’elle en haut dans l’air, la suivaient quelques secondes du regard pour ensuite la rattraper à sa retombée par une forte frappe du plat de la main et simultanément avec une agilité magique, la plaquant contre le sol et immédiatement elle était ensevelie dans une poignée de terre très fine pour la camoufler. A tour de rôle, chacun était appelé à déterrer délicatement sa pièce pour montrer sa main, la comparer à celle du meneur de jeu sous une lueur et le regard des participants, dans l’espoir de le gagner et lui reprendre son rôle sinon de continuer à subir. La mise était souvent des billes pour le jeu, rarement des petites pièces de base.
A côté ou un peu plus loin, un autre groupe jouait à la AAYTA (l’appel), un jeu à quarante cartes conçues pour le jeu de la ROUNDA jouée régulièrement dans des cafés maures par les adultes et devant les boutiques les après-midi de ce mois sacré, ou encore pour la BAZGA, TOUTI, L’BIAE OUCHRA et d’autres types de jeux qui étaient peu joués par ces derniers. Le jeu consistait donc à mélanger d’abord ces cartes et les distribuer, à chacun une carte, sans les montrer comme dans tous les jeux de cartes. Celui qui aura la plus forte prendra la main (L’MAN) pour mener la première manche d’une façon bilatérale et donner la possibilité à tour de rôle à chaque joueur d’appeler une carte après avoir coupé la pile des cartes en deux d’abord, ensuite attendre à l’avoir au cours de la distribution. Si elle lui sortait le premier, il gagnerait l’équivalent de la mise et obtiendrait la main pour mener à son tour le jeu. Dans le cas contraire le même meneur de jeu demandera au suivant de négocier une carte et ainsi de suite… La mise était alors de l’ordre d’un ou de deux francs, des fois de cinq dans l’un ou l’autre jeu. Chez nos aînés elle pouvait être de dix, mais chez les adolescents, elle atteignait même les vingt francs.
Ces parties pouvaient des fois être interrompues par l’arrivée à l’improviste d’un parent soucieux de l’absence de son fils qui n’était pas rentré après la première partie des longues prières. D’un air furieux, il faisait éparpiller le groupe chacun de son côté comme des chats par des critiques et des injures en cherchant d’une main par-ci par-là de quoi les lancer en criant très fort: KA-TAALMOU LAQMAR ? TFALLASTOU ? OUFRAMDAN ? MA-KA-TAARFOUCH BELLI HAD-CHI HRAM ? ALLAH YASKHAT AALIKOUM ! YALLAH… SIROU TRAOUHOU !… (Vous apprenez à jouer? vous avez dérivé ? et en plein Ramadan ? ne savez-vous pas que c’est un péché ? que DIEU vous maudisse ! allez… rentrez chez vous !… il finit sa leçon en s’adressant au fils du voisin qu’il a reconnu: WAKHA N’TA… WALLAH HATTA N’GOULHA L’BBAK !…, (tu vas voir toi…par DIEU, je le dirai à ton père !…). Mais rarement aussi que finissait le jeu par une petite bagarre entre deux joueurs où l’un d’entre eux par des tirs de doigts de l’autre laisserait une bonne partie de sa vieille chemise.
Ceux qui voulaient uniquement se distraire et s’amuser jouaient aux cartes un jeu appelé SOUITITA (diminutif de SOTA : LA DAME) qui consiste à donner l’équivalent de points comptés dans la main du perdant en coups de ceinture ou de claquette de caoutchouc sur la pomme de sa main par celui qui aurait reçu au cours de leur distribution parmi ses cartes la SOTA.
D’autres se distrayaient autrement en jouant à DINIVRI (délivrez) dans des rues moins éclairées, un jeu réalisé en deux groupes à nombre égal personnalisant les policiers et les bandits, qui consiste à se cacher chacun dans son coin ou à se faufiler pour se dissimuler. Au coup de sifflet lancé par le chef, on commençait à chercher l’adversaire pour le surprendre en l’annonçant par un « hauts les mains ! » suivi d’expressions familières à haute voix et le garder prisonnier par celui qui l’a eu. Après un temps limité les non surpris se dévoilaient pour renverser les rôles et faire le bilan des captures.
Sur les trottoirs des maisons, mal éclairés, clairsemés de crevasses, gris et glissants, on entendait le grincement de roulements, de nuit comme de jour, qu’on adaptait comme roues à des petites poussettes (LACRARESS, pluriel de CARROSSA) qu’on fabriquait en bois chez soi. Les chaussées n’étaient pas encore goudronnées à l’époque. C’était un petit plateau rectangulaire rassemblant trois à quatre planches récupérées d’une vieille table ou procurées par-ci par-là, muni au-devant d’un guide en planche dépassant la largeur du plateau. Nous le manipulions à l’aide de nos pieds pour changer de direction, avec en bas un roulement traversé par un axe en bois fixé au guide par deux taquets de part et d’autre de ce roulement, formant avec une autre transversale qui est la maîtresse, fixée le long et au bas du châssis un système rotatif autour d’un axe, qui est un boulon avec écrou, et de deux roulements à l’arrière d’un essieu à ses extrémités . Les éléments du groupe venaient en courant pieds nus vers le lieu du rendez-vous, chacun sa tablette sous le bras, trouver son co-pilote pour participer à l’extraordinaire ambiance et montrer son habileté dans le pilotage du magnifique engin made at home. Pour chaque CARROSSA, deux gamins dont l’un le constructeur, s’échangeaient le rôle : l’un pilotait, l’autre poussait. Il arrive à ce dernier de prendre place pour en profiter en se mettant debout derrière, si l’élan peut les conduire tous les deux une bonne distance ou si c’est une descente. On s’imprégnait de joie dans le monde du jeu qui devenait notre dénominateur commun traduisant notre raison d’être durant des moments agréables supposés sans fin, où tous les gosses s’extériorisaient chacun à sa façon. Oh ! Quel plaisir de se souvenir des moments merveilleux de son enfance et de savourer le bon gout de son passé !
1/image 2 : UNE CARROSSA MADE AT HOME
6- LA VEILLE DE L’AID AL FITR.
2/Image illustant l’apparition du croissant annonçant L’AID ALFITR
Au vingt neuvième ou trentième jour du mois du RAMADAN, selon le calendrier Hégire, les habitants : hommes, femmes et enfants, aux coins des rues, certains sur les toits de leurs maisons, guettaient le croissant annonçant le premier jour du moi de CHOUWAL, qui sera L’AID SGHIR ou AID AL FITR, quelques moments avant l’appel au F’TOUR. Il était annoncé par un coup de canon dès l’apparition du croissant, ensuite à la radio. Ce fut un air de trompette (L’GAITA) entendu durant moins d’une minute à la radio nationale, puis par Mohamed BENDEDDOUCH, après l’indépendance, qui présentait à cette occasion les vœux au Roi et à la Nation en leur communiquant par un texte officiel édité à l’ouverture des informations, comme il se fait de nos jours. Chez nous, les femmes lançaient des YOU-YOU et se préparaient pour répondre aux besoins de cette fête. Elles avaient déjà envoyé au four du quartier, au cours de cet après-midi, deux ou trois plateaux en métal noircis par la fumée, garnis de différents gâteaux qu’elles avaient préparés au cours de la journée. Les petites filles qui s’occupaient de cette besogne encombraient l’entrée du four où se concentraient et d’où se propageaient une chaleur et une odeur attirante et exaltante des pâtisseries ordinaires, la plupart du temps sucrées, préparées à base d’œufs, de beurre et d’autres ingrédients, dont la principale était L’KAAK (gâteau sec et circulaire présentant de profondes hachures tout autour, qui va délicieusement avec le thé) et attendaient , dans leurs grands cris aigus d’appel et de joie confondus à un grand vacarme produit par les petites ferrailles rectangulaires, avec impatience la sortie de leur premier plateau qu’elles ramèneront à la maison pour revenir remettre l’ustensile vide et réceptionner le second et éventuellement le troisième. L’enfourneur et son aide se sentaient dépassés, l’un des habitants venait donner gratuitement main forte.
A une heure tardive de la nuit, ces bonnes mamans s’offraient le luxe de couvrir leurs pieds et leurs mains de HENNE d’une façon délicate et esthétique qu’elles couvraient de morceaux de tissus propres pour sécher et ne pas abimer, jusqu’au petit matin pour les nettoyer et les trouver rougis jusqu’à noircir. Elles compléteront leur maquillage traditionnel le jour de l’AID avant le retour de leurs maris de la prière exceptionnelle de cette journée (SALAT AL AID) pour se faire belles. Les petits et les petites avait droit à un point rond au milieu de la paume de la main droite pour symboliser la fête. Elles étaient déjà allées le jour même ou quelques jours avant à l’un des deux bains maures : celui de BENZIDOUR ou celui de BEN ZERGA appelé aussi HAMMAM L’AAMRAOUIYA( gérante, issue de la tribu de OULAD AAMAR se trouvant au Sud de Taourirt).
La plupart des garçons abandonnaient les rues du quartier après le retour de leurs parents de la mosquée après la prière de L’IICHA pour les accompagner chez les commerçants de vêtements pour s’octroyer de nouveaux habits qu’ils leur avaient promis. Les quelques parents les plus aisés payaient à leurs gosses trois ou quatre pièces : chemise, pantalon, pull et des chaussures qui étaient des sandales en cuir, confectionnées sur mesure chez l’un des cordonniers et qui serait dans le temps MESSAOUD, un juif. Tandis que les nécessiteux pouvaient acheter à peine une ou deux pièces à chacun dont il en avait drôlement besoin et se suffire de l’existant. Le pauvre père pouvait s’en passer. Sa tenue traditionnelle blanche et habituelle, l’attendait. La rue commerçante au village s’animait ce soir –là après la prière de L’IICHA jusqu’ à une heure tardive par les parents et leurs petits. Ces derniers, dans une grande joie et satisfaction mettaient leurs cadeaux à leur tête au moment du coucher par la force de l’extrême émotion et par la crainte d’un éventuel chapardage de quiconque. Les frères sont jaloux les uns des autres, vous le savez ! Ils attendaient avec impatience la levée du jour pour déjeuner en famille et aller sur LA PLASSA, les filles aussi, pour acheter des sucreries chez des jeunes vendeurs, l’un d’eux très réputé par sa petite table assez riche en friandises diversifiées.
La forte demande de tissu pour femmes était surtout durant les jours qui précédaient la fête de l’AID pour la confection de leur BLOUZA qui reste l’un des symboles de la culture et des traditions au Maroc Oriental, elle a souvent fait la fierté des femmes qui la portent lors des différentes cérémonies ou fêtes religieuses et familiales. Elle est, obligatoirement, accompagnée de sa JALTITA qui est une robe de nuit mince de couleur unie et de tissu doux portée en dessous. Pour ses besoins personnels, elle achetait le tissu comme toutes les femmes chez ZRIOUAL , un juif installé dans la rue des marchands de tissu, très réputé par les variétés des tissus et connu aussi bien par les habitants de la ville que par ceux des campagnes environnantes. Elle lui commissionnait son enfant aîné en l’absence d’une fille, ou l’une des petites filles des proches qui serait de passage, munis de petites coupures de tissus désirés pour recevoir deux ou plusieurs échantillons de différentes couleurs de la taille de deux doigts que le commerçant découpera de ses rouleaux à l’aide de sa paire de ciseaux qu’il accompagne verbalement du prix du mètre linéaire. Une fois le choix fait, elle passait la commande sur la base de la demande d’un rabais que le juif accordera, le ou la commissionnaire fera le va et vient au moins trois fois avant d’obtenir la marchandise. Avant de couper le morceau mesuré, le juif faisait cadeau d’un petit plus qui est l’équivalent de quelques doigts, une façon de garder la clientèle. Les petites filles avaient aussi droit de s’habiller car leur habillement appelé L’BASS (la robe, intégralement l’habit) se faisait rare dans les magasins pour ne pas dire complètement absent et revenait à un moindre coût chez la couturière. Leurs petites robes étaient des fois confectionnées à partir de petits restes des différents coupons assemblés, épargnés par la couturière.
Notre muézin, pour ne pas l’ oublier, avait déjà soufflé après le F’TOUR quelques morceaux dans sa longue trompette cette fois-ci uniquement dans les parages où il habitait pour annoncer à son tour l’arrivée de L’AID. En contrepartie au service rendu à la population durant le mois de RAMADAN, notre respecté muezzin sera récompensé par quelques mesures de céréales prescrites dans la religion, une sorte d’aumône à donner aux nécessiteux , dont les IMAMS, les muezzins et les FQIHS du village et ce, depuis la nuit du destin au plus tard le matin de L’AID avant le lever du soleil ( L’FATRAT pluriel de L’FATRA-une par personne dans la famille-) , mesure équivalente à quatre poignées mesurées des deux mains d’un adulte, l’équivalent de deux kilos et quatre cents grammes. Elles lui seront offertes chez lui gracieusement par les femmes ou envoyées par leurs petites filles et reçues joyeusement par sa petite famille. Elles peuvent être aussi d’orge, de maïs ou de dattes, selon ce qui se consomme habituellement le plus dans la région. Les OULAMAS (les connaisseurs de la religion) ont autorisé à donner l’équivalent en argent à défaut de ces denrées alimentaires, ce qui permettra à ces pauvres gens de répondre à leurs besoins.
Quel plaisir de revivre ces moments et de se sentir attaché à ses coutumes, aux vieux coins et recoins, aux endroits historiques de sa cité, des endroits qui reflètent de vieilles images restées aggravées dans sa mémoire en se rappelant son très jeune âge, où sa curiosité de savoir, de découvrir et d’inventer, de se retrouver dans ses petites aventures marquées par des interdits et au cours de ses premiers petits voyages indépendamment de sa famille. Cela a formé un tout qui s’est imposé à son éducation et qui a participé à forger sa personnalité. Cela lui permettra par ailleurs un jour de jeter un coup d’œil sur son rétroviseur pour se faire aiguiser une partie de son passé, un passé effleuré par des déclics de mémoire, reproduisant chez lui tantôt de brèves images, tantôt des séquences de son histoire et de son environnement où il se procure l’ultime occasion de se rappeler d’un patrimoine affectif et moral, une richesse à laquelle, avec fierté il s’attache et se réfère.
J’espère que nous avons passé ensemble de bons moments durant ce feuilleton et je vous souhaite bonne fête en espérant que mon écrit a remué en vous de lointains souvenirs agréables.
Mohammed BOUASSABA /Rabat
e.mail : angadprojets@gmail.com
5 Comments
Non seulement il a remué en moi de lointains souvenirs mais aussi d’agréables et sociables souvenirs immortels.Quoiqu’il en soit tu as remué en chacun de nous,en plus des souvenirs,des liens de camaraderie, de fraternité et de joyeux et immortels moments agréables.Merci si Med.
Source : link to oujdacity.net
POURQUOI
voulez-vous lâcher ce feuilleton ?
Donnez à vos épisodes socio-anthropologiques, un autre nom que vous trouverez .
Et continuez à suivre le fil de votre passion de conteur , avisé et prolixe,
pour le plaisir de tous sinon pour cette histoire partagée de nos quartiers.
MERCI
merci à tous les deux…je souhaiterais donner mieux et plus.
Rien ne se perd avec M Bouassaba tout se transforme(se renaît).
Des détails qui avec le temps se sont endormis reviennent fort .vos articles me donne toujours l envie de les lire c est très nostalgique
la terminologie socioculturelle de l oriental ressuscite avec M bouassaba
. Mr Bouassaba , avec sa mémoire forte et avec son style de suspense , me rassasie
bon courage
Rien ne se perd avec M Bouassaba tout se transforme – renaît-.
Des détails qui avec le temps se sont endormis reviennent fort .vos articles me donnent toujours l envie de les lire c est très nostalgique
la terminologie socioculturelle de l oriental ressuscite avec M Bouassaba.
. Mr Bouassaba , avec sa mémoire forte et avec son style de suspense , me rassasie
bon courage
. Mr Bouassaba , avec sa mémoire forte et avec son style de suspense , me rassasie
bon courage