L’option « mixte » dans l’enseignement des sciences
L’option « mixte » dans l’enseignement des sciences
Par M. BERKANI*
L’objectif de cet article est d’apporter une modeste contribution au débat lancé déjà depuis plusieurs années sur la question de la langue d’enseignement des matières scientifiques au niveau de l’enseignement secondaire marocain. Nous proposons une option pour améliorer le rendement pédagogique de notre système d’éducation.
Rappelons à juste titre que l’année 1990, a vu l’arrivée dans les universités de la première promotion de bacheliers scientifiques arabisées. Notre pays avait quelques années auparavant opté pour l’arabisation des matières scientifiques (mathématiques, physique, sciences naturelles,…) au niveau de l’enseignement secondaire ; Alors que ces mêmes matières sont enseignées en langue française au niveau de l’enseignement supérieur.
Une décennie plus tard, la charte d’éducation et de formation a relevé implicitement la dichotomie qui existe entre enseignement supérieur et enseignement secondaire. C’est ainsi que dans son levier 9, consacré au perfectionnement de l’enseignement et à l’utilisation de la langue arabe, l’article 114 de la charte note qu’ : « …Afin d’instaurer des passerelles valides et congruentes de l’enseignement secondaire vers l’enseignement supérieur, en s’appuyant sur une orientation pédagogique pertinente et efficiente, assurant les meilleures chances de succès académique et professionnel des apprenants, les unités et modules scientifiques et techniques les plus spécialisés seront enseignés, au cycle du baccalauréat dans la même langue que celle utilisée dans les branches et sections correspondantes au niveau de l’enseignement supérieur, vers lesquelles devraient s’orienter les élèves. »
Cependant malgré ces conclusions, plus d’une décennie s’est écoulée, depuis l’élaboration de la charte, sans que rien n’ait été fait pour uniformiser la langue d’apprentissage des sciences et techniques, entre le cycle du baccalauréat et l’université.
Le rapport annuel du conseil supérieur de l’enseignement élaboré en 2008, aborde dans sa partie analytique la problématique des langues et relève que : « La problématique des langues représente le principal obstacle à l’amélioration de la qualité du système éducatif. Elle concerne principalement deux aspects, à savoir « les langues d’enseignement » et « l’enseignement des langues ». Le premier aspect concerne la langue utilisée dans l’enseignement des matières, surtout les matières scientifiques. Le choix de la langue d’enseignement dans le système d’éducation et de formation est incohérent. Ainsi, le cursus de formation jusqu’à la fin du secondaire est caractérisé par l’enseignement des matières scientifiques en langue arabe. En revanche, la langue française domine l’enseignement et l’apprentissage au niveau de la formation professionnelle et au niveau de l’enseignement supérieur, notamment dans les filières scientifiques, médicales et techniques. Cet aspect génère de vrais problèmes en termes d’acquisition des savoirs et des compétences. »
Le rapport relève aussi le déphasage persistant entre la langue d’enseignement qui est l’arabe et les langues exigées dans la vie professionnelle.
Plus de deux décennies après avoir opté pour le choix de l’arabisation des matières scientifiques dans l’enseignement secondaire, les recommandations de la charte d’éducation et de formation et le rapport du conseil supérieur de l’enseignement sont sans équivoque sur l’échec du choix de l’arabisation des matières scientifiques dans sa forme actuelle. Par notre humble expérience sur le terrain de l’enseignement des mathématiques à l’université, nous pouvons affirmer en toute objectivité que les étudiants connaissent de graves carences au niveau de la communication, de la rédaction et même de la compréhension de certains termes utilisés dans les enseignements. Même si des modules de langue et communication ont été inclus au niveau de l’université dans le cadre du nouveau système LMD pour palier à ces carences, les problèmes auxquels font face les étudiants dans ce domaine demeurent posés.
Que devons nous alors faire? Subir continuellement les aspects négatifs du système de formation actuel ou réagir rapidement pour trouver d’autres alternatives? En tout cas, le statut quo actuel dessert négativement notre système d’éducation et de formation, et continuera d’avoir des impacts négatifs sur plusieurs générations d’élèves.
Pour sortir de cette stagnation, essayons d’examiner deux options possibles. En premier lieu, l’option de continuité dans le choix de l’arabisation des matières scientifiques, nous imposera dans un esprit de cohérence, tôt ou tard, d’arabiser globalement l’enseignement des matières scientifiques même à l’université. Il faudra alors mettre à la disposition des étudiants les ouvrages nécessaires en langue arabe, former les enseignants, qui sont habitués à l’enseignement en langue française, à l’usage de l’arabe, harmoniser la formation avec les exigences de la vie professionnelle, … En somme un grand remue-ménage, dont l’efficacité n’est pas garantie et dont les conséquences sont imprévisibles!
En second lieu, examinons une nouvelle option que nous appelons « l’option mixte ». C’est une combinaison entre le modèle actuel et le modèle d’enseignement en langue française qui a prévalu pendant plusieurs décennies. L’élève commence l’apprentissage des matières scientifiques en langue arabe au niveau du collège. Cela constituera une continuité naturelle avec l’école primaire. Progressivement et au fil des ans, un pourcentage de chaque matière scientifique sera enseigné en langue française. Au niveau du baccalauréat, l’enseignement des matières scientifiques se fera essentiellement en langue française. Nous assurerons ainsi à l’étudiant une transition naturelle vers l’enseignement supérieur. Cette option présente plusieurs avantages:
1- Des manuels des matières scientifiques en langues françaises sont disponibles. Il suffira de les réactualiser.
2- Les enseignants du secondaire maîtrisent leurs discipline en langue française et par l’expérience en langue arabe aussi.
3- Il n’y aura pas de déphasage entre les langues d’enseignement el la vie professionnelle des apprenants.
4- Elle assurera une transition douce de l’école primaire vers l’enseignement collégial en introduisant progressivement l’enseignement des matières scientifiques en langue française.
5- Le passage du lycée à l’université ne posera plus de problème dans le domaine des langues.
En conclusion, nous avons le devoir et l’obligation de réagir rapidement pour améliorer le rendement de notre système éducatif. La proposition de l’option mixte peut-elle être un choix raisonnable dans ce sens?
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*)Professeur à l’université
Mohammed Premier- Oujda
5 Comments
De mon humble expérience comme acteur pédagogique au niveau de l’enseignement secondaire, j’oserais dire que l’enseignement des matières scientifiques en langue arabe dans ce cycle a non seulement crée des problèmes de continuité entre le secondaire et le supérieur , mais a aussi contribué à un appauvrissement que je qualifierais de dramatique dans les compétences des apprenants en langue française en général. Le fait qu’un licencier , des temps présents, vous demande de lui rédiger une simple demande, d’emploi ou d’inscription, en langue française suffirait comme argument, dans ce cadre . Dans le même ordre d’idées, mais sans pouvoir aller dans les détails explicatifs, le contexte actuel ne le permettant pas, un bon nombre de chercheurs en le domaine de l’acquisition des langues étrangères, surtout les anglo-saxons parmi eux, s’accordent de plus en plus à dire que le moyen le plus efficace pour apprendre une langue étrangère donnée serait à travers des contenus pédagogiques autres que cette langue elle-même( sciences exactes, à titre d’exemple), mais par son biais
En tout cas, grand merci pour cet article survenu dans un timing combien approprié
Tout d’abord merci d’avoir abordé ce sujet que je voulais moi même aborder juste après les examens de janvier suite à ce que j’ai pu observer sur le terrain de l’université. Je ne l’ai pas fait car des collègues m’ont dit que malgré tout ce qui peut être dit à l’encontre du système actuel, nos décideurs s’en moquent. Et c’est vraie quelque part, car la majorité des enseignants (du secondaire et du supérieur) font le même constat au point de se demander même pourquoi et qui a décidé d’adopter l’enseignement des matières scientifiques en arabe? C’est sûr que le français n’est pas notre langue, que l’arabe est la langue du Coran, que … que … Mais sincèrement, l’enseignement des sciences en français pose t-il un problème d’identité ou de religion? Franchement non! Puisque toute ma génération a étudié les sciences en français puis en anglais. LA DÉCISION DE L’ARABISATION DES SCIENCES ÉTAIT POLITIQUE. Politique aveugle, malheureusement! Mr. Berkani a fait des propositions respectables, mais discutables. L’essentiel c’est le système actuel ne marche plus, ou à vraie dire marche à reculant!
La plupart des étudiants inscrits dans les filières scientifiques ne comprennent pas bien ce que les professeurs leur « racontent ». Ils ne comprennent pas bien le français! Ils passent des années à essayer de s’adapter. Le constat est là : des résultats médiocres malgré les efforts déployés pour sauver la situation. L’introduction de « Langues et Communication », n’est qu’un exemple de ces efforts. Mais ça n’a pas donné de résultat, du tout! Je ne sais pas qui a eu l’idée d’enseigner les langues dans une faculté des sciences! Alors qu’il suffisait de revenir au bon système ancien. Je dis bon parce qu’il a donné de bon résultats. Quel gâchis!
A chaque fois que je surveille les séances d’examen « Langues et Communication », je me rend compte que le niveau de nos étudiants, même en langues (laissons de côté les sciences), est mauvais. Le niveau diminue même pour certains étudiants. Ceux qui ne sont pas d’accord, n’ont qu’à regarder les copies d’examen du module en question et ils trouveront de quoi faire toute une étude, voir une thèse (sans exagérer). Je dois arrêter là, car il y a tant à dire, mais personne pour écouter. Finalement, je pense qu’il n’y a peut être pas de pilote dans l’avion!
De mon humble expérience comme acteur pédagogique au niveau de l’enseignement secondaire, j’oserais dire que l’enseignement des matières scientifiques en langue arabe dans ce cycle a non seulement crée des problèmes de continuité entre le secondaire et le supérieur , mais a aussi contribué à un appauvrissement que je qualifierais de dramatique dans les compétences des apprenants en langue française en général. Le fait qu’un licencier , des temps présents, vous demande de lui rédiger une simple demande, d’emploi ou d’inscription, en langue française suffirait comme argument, dans ce cadre . Dans le même ordre d’idées, mais sans pouvoir aller dans les détails explicatifs, le contexte actuel ne le permettant pas, un bon nombre de chercheurs en le domaine de l’acquisition des langues étrangères, les anglo-saxons parmi eux surtout, s’accordent de plus en plus à prétendre que le moyen le plus efficace pour apprendre une langue étrangère donnée serait à travers des contenus pédagogiques autres que cette langue elle-même( sciences exactes, à titre d’exemple), mais par son biais
En tout cas, grand merci pour cet article survenu dans un timing combien approprié
شكرا أستاذي المحترم على هذا الإهتمام الذي يدل أن مازال ضمن قطاع التعليم من يهتم بهذا القطاع ويبذل الجهد للرفع من مستواه في وقت أصبح الكثير من مدرسي المواد العلمية شغلهم الشاغل الكسب من وراءالحصص التي يرغمون الطلبةعليها إرغاما وانتم من موقعكم على إطلاع
وبالعودة إلى الموضوع فقد أحطتم به وحتى المقترحات كانت معقولة ونتمى أن تجد آذانا صاغية من المسؤولين
وأرجو أن ان تستمروا في البحث في المجال لعل العديد من رجال التعليم يستوعبون أن التعليم رسالة تصل إلى مستوى رسل الأنبياءوليس تجارة تنزل إلى مستوى المرابين
Merci infiniment au professeur Berkani qui a évoqué cette problématique pertinente qui demeure d’une brûlante actualité car elle concerne un bon nombre d’élèves et d’étudiants qui endurent un calvaire sans appel, et pour cause la quasi totalité de nos jeunes qui poursuivent leurs études universitaires ont du mal à assimiler ce que l’enseignant est entrain d’expliquer et de mettre en avant, car l’handicap de la langue s’impose avec accuité entre les deux.
Le professeur est tenu de présenter son devoir professionnel en langue française, et au fond il est résolument convaincu que ce devoir est une prêche au désert
Un élève qui a passé une dizaine d’années à étudier en langue arabe, sans même parvenir à maîtriser les ficelles de cette langue « maternelle », trouve énormément des difficultés à comprendre un professeur universitaire, car ce dernier communique parfaitement dans une langue étrangère