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Tayeb Zaid: Extrait de mon livre ‘’El Gasir de la Honte’’, Edilivre, France

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Tayeb Zaid
Extrait de mon livre ‘’El Gasir de la Honte’’, Edilivre, France


Ba Hoummad et sa fille restée en Indochine
Alors, Il ajouta, comme pour leur dire qu’entre eux et lui, le respect prévalait et qu’il n’était pas homme à plaisanter, que ni son âge ni son passé ne le lui permettaient :
— « Ma fille, c’est une mauvaise graine d’un mauvais épi d’une mauvaise récolte d’un mauvais champ ! Vous comprenez ce que BakoumHoummad vous dit à présent, car il ne mâche pas ses mots, lui, quand il s’agit de prendre des décisions, d’agir ou de dire les choses comme elles se présentent dans son esprit, dans leur nudité, douce ou cruelle ! Ne m’en demandez pas plus et ne m’en parlez plus jamais ! Si ma fille ne veut plus de son papa qui l’a aimée de toute la tendresse et de toute la douceur que peut avoir un père pour son enfant, son papa, en retour, le lui rend ! Lui non plus, il n’en voudra pas de cette enfant qui pourrait nourrir des sentiments mauvais à son égard, le renier, le mépriser ou tout simplement l’ignorer ! Si elle a choisi d’être de l’autre côté de la ligne de feu, comme d’ailleurs sa mère, je suis dans ma tranchée, moi, bien à couvert de ce qui pourrait se dire de moi, ou se faire dans mon dos, de bien ou de mal ! A-t-on jamais vu chose pareille ? Un enfant qui ne veut pas de son père ! Mais que voulez-vous que j’y fasse, moi qui n’y suis pour rien dans tout cela, en dehors que je suis un père renié ? Le jour où je serai mort, et il n’est pas bien loin ce jour béni que j’attends le cœur ouvert depuis bien longtemps, car, je le sens, j’ai consommé mon capital, je mettrai entre elle et moi l’étendue qui sépare la Terre du Soleil ! Ainsi donc, elle aurait l’éternité devant elle pour se repentir qu’elle ne lui suffirait pas ! Et il lui serait vain de le tenter ou d’en demander vainement encore plus d’autres éternités dont elle aurait besoin pour son mea culpa, car la chose est beaucoup plus profonde et plus grave encore qu’elle ne le croit ou qu’on ne le lui a chuchoté du biberon à l’âge qu’elle a, à présent, d’eux à elle, de manière à teindre sa conscience de la couleur de l’obscurité pour la faire mal tourner et contre son propre père, de surcroît ! Et quand nous serons de l’autre côté, elle et moi, après qu’elle aura à son tour consommé son maigre et honteux capital et toutes les sources de mépris et de haine qui l’alimentaient pour la dresser contre ce qui devait être son papa chéri, c’est comme lorsque nous étions sur le front, l’ennemi et moi, chacun de l’autre côté de la ligne de feu avec mon fusil pointé vers l’ennemi, et c’est comme nous sommes, vous et moi, chacun de l’autre côté du fossé que voici, avec ma canne que vous voyez. Quand j’en viendrai à vous tourner le dos pour vous faire voir le revers de BakoumHoummad, il en sera de même pour celle qui devait être ma fille chérie à qui je ferai voir le revers de BahaHoummad (son père Hoummad). Et jamais je ne me retournerai pour la faire jouir du sourire bienveillant qui peut éclairer le visage d’un père à la vue de son enfant ! Les choses vont ainsi, ici et là ! C’est pareil ! Et la ligne de feu, c’est celle que je mettrai entre elle et moi, et elle sera de feu et d’enfer ! Que voulez-vous que je vous dise d’autre à vous qui faites cercle autour de moi et m’écoutez de tous vos sens ? BakoumHoummad n’a pas le cœur gai. Il n’a pas le cœur à rire, non plus ! Après toutes les aventures malheureuses qu’il a vécues et dont il est ressorti dans l’état où vous le voyez à présent ! Ce n’est pas lui qui vous parle ainsi, c’est son cœur que vous entendez geindre, gémir et se dégonfler de ce qu’il est chargé de sentiments avariés ! Une charge lourde et sans bât ! Ah ! Malheureux que je suis ! Ah ! Malheureuse qu’elle est ! Est-il possible qu’elle ne voie jamais le visage de son papa et que son papa ne voie jamais le sien ? » Dit-il d’une voix tonnante et courroucée tout en grattant le sol de sa canne pour bien mettre en relief les contours du sillon légèrement profanés par l’homme dont il venait de perforer la poitrine !
Les paysans ne virent jamais Ba Hoummad dans cet état d’extrême désolation. Ils étaient ahuris de le voir crier si fort en battant le sol avec le bout de sa canne. Il avait aux commissures des lèvres des boulettes d’une écume blanche durcie et ses yeux étaient rouges et toute sa face d’un violet cadavérique ! Il se leva et partit comme une ombre. On l’entendit proférer quelques injures avant de tourner à l’angle de la petite mosquée auquel il donna quelques coups sonores de sa canne. Il disparut dans l’obscurité de la nuit, laissant derrière lui les paysans à la fois délivrés et subjugués.
La soirée se termina beaucoup plus tôt que d’habitude et jamais ils ne reparlèrent de cette fille restée en Indochine avec sa mère, ni des femmes de ces pays qu’ils soupçonnaient qu’elles étaient d’une beauté angélique malgré leur petite taille en comparaison avec leurs épouses. Les paysans commentèrent sommairement l’histoire de Ba Hoummad, de sa femme, de sa fille et des deux guerres qu’il avait faites à l’autre bout du monde et dont il se souvenait selon l’humeur du jour. Pour les uns, la guerre gâtait les mœurs, durcissait les cœurs, corrompait les esprits. Pour les autres, tous les problèmes dont pouvait souffrir les hommes leur venaient de leurs femmes et de leurs enfants. Ils en restèrent là et se séparèrent. Et d’un commun accord, ils évitèrent de marcher sur la ligne que Ba Hoummad avait tracée avec sa canne.
Tayeb Zaid ; El Gasir de la Honte, Edilivre ; France

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