5ème Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro descendante (JMCA) : Interview avec l’écrivaine Bouchra Klich
Entretien réalisé par : Mohammed Drihem
A l’instar de la communauté internationale en général et Africaine en particulier, le Maroc a participé mardi dernier au siège de l’Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) à Paris, à la célébration de la 5ème Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro descendante (JMCA).
Cette journée, qui avait pour objectif de « célébrer les cultures du continent africain et des diasporas africaines à travers le monde », a connu la participation de Samir Addahre, ambassadeur délégué permanent du Maroc auprès de l’UNESCO, et de ses homologues africains accrédités auprès de cette Organisation.
A préciser que cette célébration officielle placée sous le thème « l’Africanité globale pour une humanité réconciliée » est le fruit d’une collaboration entre le Groupe africain accrédité auprès de l’UNESCO, le Réseau Africain des Promoteurs et Entrepreneurs Culturels (RAPEC) et la sous-Direction des Sciences Sociales et Humaines de l’UNESCO.
Pour avoir une idée de cette journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante et du rôle joué par le Maroc dans la promotion et la vulgarisation de cette culture africaine, nous avons invité l’écrivaine Dr Bouchra Klich ; Professeur de philosophie, écrivaine et Présidente du Forum marocain pour la pensée et le dialogue des civilisations Chercheur en dialogue des cultures et des civilisations à Fès qui a bien voulu se livrer à notre petit jeu de question/Réponse : l’Interview :
Question : Chaque année, le 24 janvier est consacré à la journée mondiale de la culture africaine et afrodescendante et le Maroc avec ses écrivains ne restent pas en marge de cette célébration internationale n’est-ce pas ?
Réponse : Le Maroc et les Marocains sont certainement concernés, et cet intérêt reflète la profondeur africaine du Maroc et notre lien avec la culture africaine, dont nous faisons partie, et qui est l’une des composantes de notre identité. A cela s’ajoute le pari de notre Royaume sur le dialogue des cultures pour le développement, qui se traduit par le rôle pionnier du Maroc dans la promotion de l’Afrique dans toutes ses dimensions : culturelle, économique, politique, sociale…
Cette dynamique, qui sous-tend toutes les initiatives du Maroc pour la réussite des projets de développement en Afrique, passe certainement par le partage des cultures et l’échange culturel.
Depuis 2021, l’Union africaine a misé sur le développement des arts, de la culture et du patrimoine comme levier de développement, et le Maroc, sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi, s’est engagé dans ce pari, croyant à l’importance du commun humain et culturel dans l’avancement économique et le développement.
Question : Pensez-vous que la modernité et cette vague du social media ont un impact sur la culture et l’écriture africaine en particulier ?
Réponse : Modernité, mondialisation, révolution technologique, authenticité des cultures… Ce sont là peut-être les questions les plus importantes de notre époque, car les cultures, avec leurs valeurs humaines, leur diversité et leurs différences, qui ont enrichi la civilisation humaine, sont aujourd’hui confrontées à la nature matérialiste d’une civilisation qui a misé sur la modernisation et le renouveau. C’est la révolution économique qui a effacé les dimensions spirituelles au profit du système marchand et du profit.
La révolte contre la modernité et le système de la mondialisation a été menée par les nations qui ont souffert directement de ses répercussions.
La dimension spirituelle a été et restera l’un des piliers de la coexistence et du dialogue entre les peuples et les cultures.
Pour les cultures africaines, et j’ai délibérément utilisé le pluriel ici en raison de leur richesse et de leur diversité, l’impact est certes présent et se manifeste par la domination des manifestations de la modernisation et le mécanisme des modes de vie, mais pas dans la même mesure que d’autres cultures, telles que l’Occident.
Ce qui distingue l’Afrique et les Africains, c’est qu’ils font partie des peuples qui ont préservé leur spécificité et leur caractère spirituel. Bien que nous ayons touché l’influence, il est certain qu’ils n’ont pas atteint le degré d’identification avec les répercussions de la mondialisation ou le modèle moderniste occidental.
Au niveau de l’impact des médias sociaux et de cette réduction technologique des civilisations et des distances, nous ne nierons pas la présence du « système de la banalité », si l’on peut emprunter la métaphore, mais pour moi, la question est due à plusieurs facteurs : les taux élevés d’analphabétisme, le faible indice de développement de l’ensemble du continent, le choc de l’explosion technologique et l’impréparation de la conscience de nos peuples à cet égard…
Et d’autres raisons qui ont rendu les rapports des gens avec les médias sociaux et les médias alternatifs négatifs et superficiels.
La modernité en tant que projet a été initialement formulée pour suivre l’esprit du temps et surmonter l’état de stagnation, mais sa réduction à la dimension économique a laissé la société occidentale face à deux contradictions : vie de luxe/pauvreté spirituelle.
Le transfert de la modernité dans nos mondes, avec son caractère occidental et sans tenir compte des spécificités culturelles, ainsi que l’incapacité à innover à partir de nos données culturelles, nous ont confrontés à la crise de la modernité et à la défense de l’authenticité des cultures.
Les études anthropologiques confirment la marginalisation de l’être humain dans la civilisation matérialiste d’aujourd’hui, suite à l’inversion des aspects sociaux et intellectuels de la culture vers les dimensions matérielles : politique et économique, au détriment de la dimension humaine. Les cultures africaines conservent encore leur dimension spirituelle. En effet, nous lisons encore des études et des recherches qui reconnaissent la dimension métaphysique de la créativité africaine, qui possède un sens esthétique qui confère aux arts et à la littérature un caractère particulier, dû à la présence de dimensions spirituelles et non affecté par la dimension matérielle de la civilisation d’aujourd’hui.
Question : Dans la foulée ; comment vas le livre et est ce qu’on le lit encore au Maroc de nos jour ?
Réponse : Nous vivons aujourd’hui une crise du livre, et nous pouvons aborder cette forme selon deux paradoxes :
Le premier est la réticence à la lecture et au livre papier justement avec la révolution technologique et les « cris » des téléphones portables, smartphones, tablettes et autres, en plus de l’impact de l’image et de la disponibilité du savoir.
Le deuxième : le livre électronique et sa capacité à attirer le lecteur « mondialisé » qui souffre malheureusement de fragmentation intellectuelle et cognitive. Notre crise aujourd’hui dans le monde arabe, en particulier, est que nous n’avons pas la culture de la lecture qui nous attirerait vers le livre, ses mondes et ses effets positifs. Aujourd’hui, nous connaissons tous les répercussions des inventions intelligentes sur le déclin de l’intelligence et la réduction de la créativité chez nos enfants et nos jeunes…
C’est pourquoi il est nécessaire de prêter attention à l’ampleur de la crise cognitive que nous traversons et d’adopter des stratégies d’apprentissage et d’éducation qui restaurent le rôle du livre dans la socialisation, ainsi que dans la vie publique, en misant sur la construction de compétences chez les personnes qui répondent à nos besoins civilisationnels, sur le plan scientifique et cognitif.
Question : Quoi de neuf comme Œuvre pour l’écrivaine Bouchra en ce nouvel an de 2024 ?
Réponse : Je réitère mes remerciements et ma gratitude pour ce dialogue distingué avec vous, qui aborde des questions au cœur des contraintes auxquelles les cultures sont confrontées face à un mondialisme qui cherche à unir les peuples devant un modèle civilisationnel qui parie sur la communauté humaine qui unit les cultures, mais en même temps l’échec de la communauté internationale à contenir la dualité civilisation supérieure/cultures marginalisées….
En ce qui concerne les nouveautés de cette année, il y a plus d’une publication ; les deuxième et troisièmes parties de mon livre, La philosophie de la tolérance dans l’islam : La philosophie de la tolérance dans l’islam. Le dialogue des cultures entre l’authenticité des cultures et les enjeux de la mondialisation, un livre qui pose la question de la spécificité culturelle et de la mondialisation, cette dernière ayant pris un caractère matérialiste et utilitaire qui menace l’authenticité des cultures et leur dimension humaine. Nous ajoutons à cela l’invasion culturelle qui passe par ce que l’on appelle la souveraineté de la civilisation dominante et les cultures des peuples de ses pays économiquement dominants.
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