Dépenses publiques, dépenses privées, dépenses mixtes : réflexions sur des besoins de financement sans limites (Jilali Chabih, FSJES, UCAM, Maroc)
Public spending, private spending, mixed spending: Thoughts on limitless financing needs (Jilali Chabih – Faculty of Legal, Economic and Social Sciences, Cadi Ayyad University, Marrakech, Morocco)
A priori, l’engagement d’une dépense c’est l’emploi d’argent sous forme métallique, fiduciaire ou scripturale, à des fins autres que le placement, qui consiste à immobiliser un capital dans des titres (actions, obligations, options) en vue d’en tirer un revenu ultérieurement sous la forme d’intérêts ou de dividendes.
Cependant, la dépense, qu’elle soit publique ou privée, peut être utile, voire nécessaire, comme l’investissement rentable ou le fonctionnement optimal de l’organisation. Elle est aussi somptuaire, faite pour des choses inutiles ou superficielles, ou voluptuaire, faite pour le plaisir, pour des choses de luxe ou de fantaisie. Elle est également une dépense imprévue, engagée pour faire face à une urgence, en cas de sinistre, maladie, accident, vol, dégâts, protocole ou mission diplomatique…
D’autres types encore de dépenses peuvent exister comme les menues dépenses, les dépenses coûteuses, onéreuses, dispendieuses, les dépenses excessives, voire les folles dépenses susceptibles d’entraîner telle ou telle organisation vers une banqueroute, une débâcle, une faillite, ou carrément acculer leur auteur à la ruine.
Les dépenses publiques sont faites par les collectivités publiques, que ce soit l’État, les collectivités territoriales (C.T.) ou les établissements et entreprises publics (EEP). La dépense nationale est un agrégat économique, fourni par la comptabilité nationale, qui mesure le montant global des dépenses de consommation des ménages, des entreprises, des administrations, des investissements ou formation brute de capital fixe (FBCF), pour l’ensemble d’un pays au cours d’une année. Les dépenses privées recouvrent les dépenses de consommation, de fonctionnement et d’investissement des ménages et des entreprises. Les dépenses mixtes sont les dépenses globalement engagées par les ONG, c’est-à-dire les associations, les coopératives ou les fondations, régionales, nationales ou internationales, dans leur organisation, leur fonctionnement et leur investissement.
Historiquement, les dépenses privées sont nées avec les ménages d’abord, puis les entreprises ensuite, sous l’économie de troc, puis l’économie marchande après. Les dépenses publiques, quant à elles, sont forcément nées avec l’organisation d’une entité aux intérêts collectifs, à l’exemple d’un groupement, d’une tribu, d’un village, d’une confédération de tribus, d’une cité, d’un État ou d’un empire. Alors que les dépenses mixtes sont nées avec la naissance des organisations non gouvernementales (ONG) agricoles, artisanales, commerciales, maritimes, civiles …
En se limitant, en l’occurrence, aux seules dépenses publiques, je dirais que celles-ci sont indubitablement le prolongement de l’idéologie dominante, de la pensée politique et de la nature économique de tel ou tel État : économie avancée, économie émergente ou économie retardataire, c’est-à-dire une économie moins avancée qu’il ne le faudrait. Quant au concept de « en développement », tout pays quel qu’il soit est un pays en développement, puisque aucun pays au monde, à l’heure actuelle, n’est développé à 100 % ; ils sont tous sans exception situés, selon leur niveau de développement, sur une échelle graduelle qui va de 0% à 100%. De 0% à 15% sont des degrés de développement trop faibles pour les pays retardataires, et de 85% à 100% sont des degrés de développement trop fort pour les pays avancés. En conséquence, les trois grandes catégories de pays sont situées, selon le niveau de développement de chacun d’eux, entre ces trois grandes fourchettes : les niveaux de développement des pays retardataires sont situés entre 15% et 40%, les niveaux de développement des pays émergents sont localisés entre 40% et 60%, et les niveaux de développement des pays avancés sont positionnés entre 60% et 85%. Le Maroc est un pays retardataire, mais bien situé à ce niveau.
Aussi, globalement, la structure des dépenses de l’État central, au Maroc, c’est-à-dire en dehors des collectivités territoriales et des établissements et entreprises publics, se présente -t-elle comme suit : dépenses de fonctionnement des administrations centrales et déconcentrées, dépenses d’investissement (infrastructures et services publics) et dépenses de la dette ou amortissement de la dette (intérêts, commissions et capital) ; dépenses qui sont très inégalement réparties, soit respectivement 89%, 24% et 17% du total des dépenses centrales. Les dépenses de l’État central marocain, c’est-à-dire les dépenses de l’État (fonctionnement, investissement, amortissement = 419,7 Mrd dh), les dépenses des services de l’État gérés de manière autonome, SEGMA, (2,2 Mrd dh) et les dépenses des comptes spéciaux du Trésor, CST, (98,3 Mrd dh), soit 520,24 /1065,6 = 48,8% du PIB.
Toutefois, si l’on prenait la structure des dépenses de l’État central dans leur détail on aurait la configuration suivante : dépenses des administrations publiques ou de fonctionnement ; aides, crédit d’impôt et subventions aux entreprises publiques et privées ; dépenses de protection sociale (santé, retraite, assurances, compensation ou prestations sociales) ; intérêts et commissions de la dette ; éducation, infrastructures et investissement, transferts aux collectivités territoriales.
Et pour démonter l’importance, et les conséquences, bonnes ou mauvaises, de chacune de ces catégories de dépenses sur la société, la population ou l’État, force est de faire appel à la démarche quantitative qui reste, en l’occurrence, déterminante en dernière analyse. Les ratios qui ne sont pas des écarts (A – B = C), mais des divisions (A/B = C), ou des rapports de deux grandeurs, l’une en numérateur l’autre en dénominateur, exprimant ainsi des réalités et des valeurs pertinentes, fournissent des informations révélatrices sur l’efficience, la rentabilité, la trésorerie, la solvabilité, l’endettement, l’équilibre, les leviers financiers, la productivité, la consommation ainsi que la structure des coûts d’organisation, de fonctionnement et d’investissement d’une entité économique : ménages, entreprises, administrations, ONG, extérieur. On peut donc sur la base de ces ratios analyser ces entités, une à une, globalement, ou certains de leurs éléments, dans une approche évolutive verticalement ou horizontalement, ou dans une approche comparative, interne ou externe, en prenant les mêmes références de deux ou de plusieurs unités économiques similaires.
On peut mesurer, par exemple, les dépenses publiques, globalement, en volume (dh), et en % du PIB, c’est-à-dire les dépenses publiques par rapport à la somme des richesses réellement crées par les agents économiques résidents pour une année, sur un territoire, région, pays, le Maroc en l’occurrence. Le PIB est considéré par les économistes comme le principal agrégat pour évaluer l’activité économique d’une unité institutionnelle. On peut également mesurer dans le détail les différentes catégories de dépenses en volume (dh), et en % du PIB, par exemple les dépenses de fonctionnement des administrations publiques en volume (dh), et en % du PIB, les dépenses d’investissement en volume (dh), et en % du PIB, les dépenses de la dette publique en volume (dh), et en % du PIB, les dépenses de la protection sociale en volume (dh) et en % du PIB, les dépenses sous la forme d’aides et subventions aux entreprises privées et publiques en volume (dh), et en % du PIB, les dépenses fiscales, sous la forme de niches fiscales en volume (dh), et en % du PIB, les dépenses sous la forme de transferts aux collectivités territoriales en volume (dh), et en % du PIB…
Dans tous les pays caractérisés par une mauvaise gestion publique, le manque d’innovation et de performance et la prééminence des intérêts privés sur les intérêts collectifs, on constate systématiquement un certain nombre de phénomènes symptomatiques, à l’exemple de la socialisation des pertes et déficits, et de la privatisation des profits et bénéfices, de la fiscalité comme la principale, sinon l’essentielle, source de financement de l’économie et de la société, d’une répartition des charges et des revenus très inégale… Aussi, une fosse abyssale est-elle, en l’occurrence, flagrante entre une minorité de 20% de la population qui accapare 80 % de la richesse nationale, et une majorité de 80% de la population qui vit dans le dénuement, avec des degrés différents, sur seulement 20% de la richesse nationale. La gestion de la chose publique est une responsabilité politique pleine et entière, c’est une obligation morale, intellectuelle et sociale de remplir son devoir, de tenir ses engagements et de réparer cette injustice. Je dirais à l’instar de ce grand écrivain français A. Gide (1869-1951) « Je ne rencontre que des passe-droits et de l’injustice » (Jilali Chabih, FSJES, UCAM, Maroc).
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