Sebta et Melilla : on n’arrête pas la migration , même avec les plus hauts barbelés !
Par Abdelkrim Belguendouz
Universitaire à Rabat , chercheur en migration
Tout dernièrement , dans le cadre de l’émission « Europe Hebdo », animée par Ahmed Tazir et relevant de la chaîne parlementaire française LCP , un débat a été organisé sous le thème : « Migrants , les traversées mortelles continuent « .
Trois euro-députés ont participé à cet échange qui concernait les derniers passages en force de migrants subsahariens vers Sebta :
– Ignés Ayala Sender : Groupe des Socialistes et Démocrates ( Espagne) , présidente de la Délégation pour les relations extérieures avec les pays du Maghreb .
– Philippe Juvin : Groupe du Parti Populaire , élu en France sous l’étiquette » Les Republicains « .
– Nathalie Griesbeck : Groupe des Démocrates et Libéraux ( France ) , élue sous l’étiquette du Modem .
Une question centrale a traversé ce débat : le Maroc joue t-il les migrants contre l’Union Européenne ?
Bien entendu , ce sont les diverses sensibilités existantes au sein du Parlement européen qui s’expriment généralement dans le cadre de l’émission » Europe Hebdo ». Mais compte tenu du fait que la politique migratoire marocaine et l’attitude du Maroc envers l’UE étaient au centre des débats , que le reportage de la rédaction LCP ( et surtout ses commentaires journalistiques) étaient à sens unique et que certains intervenants disaient une chose et son contraire à propos du Maroc , une exigence s’imposait . Il aurait été plus judicieux et pour réaliser l’équilibre dans le cadre du débat (et auparavant du sens donné au reportage ), que la Chaîne parlementaire française LCP , associe à l’échange par exemple l’Ambassadeur du Maroc auprès de l’Union européenne ou bien l’Ambassadeur du Maroc en Belgique , d’autant plus que l’émission a été organisée au Parlement européen à Bruxelles .
Le reportage ainsi que les diverses interventions , soulèvent de notre part les quatre remarques suivantes :
1 – Au nord du Maroc , les frontières de Sebta et de Melilla, ne constituent nullement des « frontieres extérieures de l’Union Européenne » . Le mur et la double barrière instaurés aussi bien par rapport à Sebta que Melilla , ne sont pas « une frontière extérieure de l’UE » . Sebta et Melilla sont des villes marocaines , encore occupées par l’Espagne . Rappelons à ce propos que lors de la signature par le Maroc de divers accords de coopération avec le partenaire européen , ainsi que lors de l’adhésion de l’Espagne à la Communauté économique européenne à l’occasion du 3ème élargissement de la CEE en 1986 , le Maroc avait toujours précisé que ces deux villes étaient marocaines et ne pouvaient nullement être considérées comme faisant partie de l’Europe .
2 – La Nouvelle Politique Migratoire du Maroc à laquelle on a fait allusion et qui a consisté notamment en deux opérations de régularisation de la situation administrative d’immigrés essentiellement africains subsahariens en situation administrative irrégulière , n’a pas été lancée depuis septembre 2013 pour faire plaisir ou rendre service à l’Union Européenne en faisant « le job » , c’est à dire en « contenant » les migrants pour qu’ils n’accèdent pas à l’Europe .
Menée dans le cadre d’une démarche humaniste et de respect des droits de l’Homme , cette Nouvelle Politique Migratoire est une initiative souveraine marocaine , entreprise également en solidarité essentiellement avec les pays africains subsahariens , le Maroc ayant lui même une profondeur historique et géostratégique africaine .
3 – il n’y a pas de vague d’immigration « considérable » en Europe à partir du Maroc . Il n’y a pas d’invasion ou de raz de marrée migratoire .
4 – Les derniers passages en force de centaines de migrants subsahariens vers Sebta , ne sont pas la résultante d’un laisser-faire et d’une manœuvre marocaine qui a « relâché le contrôle » afin que le Maroc « obtienne satisfaction au niveau de certaines attentes ». Elles ne sont pas la conséquence d’une politique de l’Etat marocain destinée à faire pression sur l’UE et à utiliser la migration comme un moyen de chantage envers le partenaire européen . Dire comme le déclare le député européen élu sous l’étiquette « les Republicains » qu’en procédant ainsi , le Maroc instrumentalise en quelque sorte la migration , « fait de la politique avec des malheureux » , « joue avec le feu »… et « ne doit pas jouer avec le feu » , est un discours menaçant et inacceptable .
En partageant partiellement le point de vue de certains acteurs de la société civile au Maroc , nous dirons que cette ruée sur Sebta serait due en partie aux ratissages policiers et pression sécuritaire marocaine exercée sur les migrants autour de la ville . Selon nous , elle proviendrait surtout de la volonté délibérée de rejoindre l’Europe de certains migrants qui n’ont pu se faire régulariser , compte tenu de la grande rigidité des critères requis pour cette régularisation , ou bien qui ne sont pas intéressés par cette régularisation au Maroc , étant toujours attirés par « l’Eldorado » européen . En dépit , pour nous cantonner au cas de la France , du discours populiste du Front National sur l’immigration , relayé maintenant de manière encore plus nette comme à Nîmes , par un ex-premier ministre candidat de la droite républicaine aux élections présidentielles , qui propose notamment que même les immigrés qui entrent légalement en France , ne devraient bénéficier des prestations sociales qu’après deux années de présence sur le territoire français !
L’ancien président sénégalais Abdou Diouf disait : « on n’arrête pas la mer avec ses bras » . Ce qui s’est passé dernièrement et s’est reproduit aux portes de Sebta , montre ceci : on n’arrête pas la migration , même avec les plus hauts barbelés !
Ci-après , le lien de la vidéo d’Europe -Hebdo reproduisant l’intégralité du débat .
http://www.lcp.fr/emissions/europe-hebdo/280126-europe-hebdo
Rabat , le 7 mars 2017
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