Home»Régional»Les mendiants des cimetières

Les mendiants des cimetières

0
Shares
PinterestGoogle+

Les ruines du portail effondré du cimetière sont occupées par une horde de gueux déguenillés de tous les sexes, de tous les âges, de toutes les races que l’infirmité du corps ou la misère réunit. Des enfants, bouteilles en plastique remplies d’eau leur tiraillant les articulations offrent aux visiteurs leur liquide dont ils doivent se servir pour mouiller le dessus des tombes planté d’arbustes et de plantes en coiffes d’ogresse. Des femmes assez avancées dans l’âge, assises à même le sol sur leur derrière énorme, enflé et spongieux, les pieds repliés en tailleur dans une position de yogi, maintiennent en équilibre un bébé étourdi par la chaleur du jour et le brouhaha du lieu ,étendu sur le dos, la tête relevée, la tétine enfoncée dans la bouche ; un autre enfant, plus âgé que le premier, est assis à la gauche de sa maman si c’est une maman, un quartier de pain dans la main droite qu’il ramène vers une bouche déjà pleine , pendant que de l’autre il fouille au fond de sa culotte à la recherche des parties du corps dont le toucher procure un plaisir sensuel , un passe temps chatouilleux car la journée s’annonce longue, rude et fatigante pour un esprit délicat et puéril. Deux coulées gluantes et assez épaisses d’un liquide pâteux et gluant, jaune verdâtre, descendent en traînées brillantes et parallèles sur un fond rouge par l’érosion des orifices des fosses nasales que des blocs de morve durcie aussi bien par la respiration que par la fraîcheur de l’air, obstruent. Bientôt l’index, transformé en pied de biche, entrera en action et libérera le passage aux poumons qui commencent à réclamer le dégagement de leurs voies. D’autres enfants, plus grands qu’une pomme courent dans tous les sens, bruyants et agités, la main ouverte et tendue vers le ciel, la mine implorante, les yeux éraillés et fanés, le teint mat, la culotte en lambeaux, les pieds dans la poussière et la tête au vent , s’agrippent aux visiteurs comme la mort à l’agonisant et ne les lâchent que lorsque ceux-ci mettent la main à la poche, geste qui fait courir tous les autres bambins vers cette manne aux sous qui s’ouvre pour laisser couler le liquide jaune de la charité des démunis pour les plus démunis.

Les vieux, enfouis dans leurs djellabas en laine délavée, froissée, maculée, usée, la barbe hirsute et en touffes irrégulières comme taillée par les sécateurs d’un débroussailleur, la tête recouverte du capuchon transformé en cache gueule , appuyés des deux mains posées dos à dos sur une canne qui se termine par un embout en caoutchouc rose enfoncé dans son extrémité inférieure comme pour prolonger sa durée de vie aussi longtemps que dure celle du maître sur laquelle il prend appui, le dos légèrement voûté vers l’avant,comme brisé au niveau des omoplates, crachent de leur bouche vide et défoncée quelque chose qui ressemble à du Coran.

Les aveugles aux globes laiteux regardent sans voir de leurs yeux blancs en œuf à la coque, veineux et pourris, éteints, ouverts pour l’éternité, les visiteurs venus se recueillir sur les tombes un vendredi matin dans le cimetière de la ville. De leur voix rauque, funèbre et aboyante, ils appellent les voyants sur l’infirmité des non voyants et réclament d’eux un peu de charité dans le geste et de pitié dans le cœur.

D’autres, les yeux crevés, refoulés dans l’arrière de leurs orifices creux, sombres et à moitié vide, les paupières cousues en des plaies mal cicatrisées qui menacent à tout moment de se rouvrir pour vider leur contenu véreux et dégoûtant, dégarnis de leurs cils que les arcades sourcilières surplombent de leur falaise qui avance en demi cercle penché et tombant, scandent des prières inaudibles, adressées à un public potentiel qui se meut à gauche et à droite de leur corps figé.

Puis vient s’ajouter à la liste des horribles scènes celle des mutilés qui excellent l’art d’exhiber chacun sa tare et sa difformité l’offrant en spectacle à qui veut voir, sans vergogne et avec fierté comme on montre une croix de guerre ou un trophée gagné à une compétition : bossus au dos en presse citron ; pieds bots avançant en dansant sur leurs orteils crochus ; culs- de- jatte rampant sur leur demi corps restant ; manchots démembrés ; traînards aux membres torses, désarticulés , déboîtés, dégondés, difformes et tremblants ; idiots avachis, ahuris, béats et salivants ; vieux édentés, osseux, étourdis ; jeunes filles défraîchies, avançant leur forte poitrine aux mamelles pendantes et traînant mal leur arrière-train déhanché,démesuré , tremblant , irrégulier et abject dans une odeur de vache et de truie qui émane de leur corps gras et pâteux, déféminisés, déshumanisés, puant la sueur des aisselles velues, suintantes et écumantes.

Des gaillards de haute stature, mixture de suie et de goudron mijotée un jour d’éclipse, droits sur leurs inébranlables fondements, structurés pour les besognes les plus viles, charpentés pour mieux résister à l’injure du temps, venus des pays de la machette où la vie et la mort vont inséparablement comme l’envers et l’endroit, tendent la main pendant que de leur bouche s’exhale inlassablement le même refrain, gravé pour ne plus être effacé ni remplacé ’’baba Sahib’’.

C’est tout un peuple horrible à voir et à côtoyer, vomi par les caveaux, sorti par l’entrebâillement des dalles mal fermées des sépulcres ; c’est tout un peuple de zombies vivants, errants, pitoyables.

D’où es-tu venu peuple d’estropiés perdus dans les dédales du cimetière, vivant parmi les morts, déambulant vos peines et traînant vos misères , assemblés en ce triste jour comme le fond de votre coeur? Qu’adviendra-t-il de vous quand le jour s’en va et avec lui s’en va sa lumière ?

Seule l’obscurité de la nuit vous sied et vous enveloppe et cache votre face hideuse à la face du monde auquel vous faites honte. Ô gens de l’opprobre, qu’avez- vous fait de si honteux pour que vous soyez frappés par la honte et la malédiction ?

Et vous, pauvres visiteurs d’un jour, quel péché avez-vous commis, pour revenir chez-vous d’un lieu de paix et de recueillement le cœur gros de peine et la tête lourde de pensées morbides ?

MédiocreMoyenBienTrès bienExcellent
Loading...

Aucun commentaire

Commenter l'article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *