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Dossier nucléaire iranien : Les enjeux d’un accord / I- Téhéran face à l’intransigeance occidentale

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  Dossier nucléaire iranien : Les enjeux d’un  accord

I- Téhéran face à l’intransigeance occidentale

 Quid de l’énergie nucléaire ?

          L’énergie nucléaire comme son nom l’indique est l’énergie qui provient de la fusion ou de la fission des noyaux atomiques, quand ils sont portés à de très hautes températures, de l’ordre de quelques millions de degrés Celsius. C’est l’une des deux formes des énergies non renouvelables, à côté des énergies d’origine fossile dans lesquelles les combustibles sont le charbon, le gaz ou le pétrole. Elles sont non renouvelables du fait que les sources de combustibles ne sont pas remplacées et qu’à terme, l’épuisement de ces ressources qui est  éminemment une certitude, signifie l’arrêt de production de cette forme d’énergie.  L’énergie nucléaire est d’une part, naturelle quand elle est dégagée comme énergie libérée par les réactions de fusion/fission nucléaire au sein des étoiles ressemblant typiquement au soleil, comme elle est la principale source d’énergie du volcanisme terrestre. L’énergie nucléaire industrielle, qu’elle soit d’usage civil ou militaire, est l’énergie libérée lors des réactions de fusion ou de fission du noyau atomique dans un réacteur.
A l’échelle microscopique, l’énergie nucléaire peut être vue comme l’associée de l’énergie de cohésion entre les particules principales peuplant les noyaux : proton et neutron, appelés encore nucléons. Elle est obtenue sous forme de chaleur intense à la sortie du réacteur, quand le combustible est irradié. C’est la raison pour laquelle ce combustible est entreposé dans une piscine de désactivation près de ce réacteur. C’est le même phénomène qui est à l’origine du volcanisme terrestre; le très faible niveau de radioactivité naturelle étant compensé par l’immensité de la sphère terrestre. L’énergie nucléaire est produite par les noyaux des atomes qui subissent des transformations, portant le nom de réaction nucléaire. Ces transformations conduisent à de nouveaux réarrangements à configurations plus stables, dont la différence en énergie constitue alors l’énergie libérée de la réaction conformément à la célèbre formule d’Einstein de l’équivalent masse-énergie. Il ya deux types de réactions nucléaires : la fission et la fusion.
La fission a lieu quand un neutron percute le noyau de certains isotopes lourds, l’Uranium 238  (238U) par exemple; il existe une probabilité que le noyau se scinde en deux noyaux plus légers. C’est la réaction de fission qui se traduit par un dégagement très intense, de l’ordre de 200 MeV par événement, à comparer aux énergies des réactions chimiques courantes dans les laboratoires de l’ordre de l eV. Ces fissions s’accompagnent de l’émission d’un ou de plusieurs neutrons qui, dans certaines conditions, percutent d’autres noyaux en provoquant une réaction en chaîne. Dans un réacteur nucléaire, cette réaction se déroule à vitesse lente et contrôlée quand il s’agit d’objectifs civils. Quand cette réaction en chaîne se propage rapidement, elle conduit à une réaction explosive, qui est le cas d’une bombe nucléaire ou atomique. L’importance de l’énergie émise provient du fait que l’énergie de liaison par nucléon du noyau initial est plus faible que celles des noyaux produits. La plus grande partie de l’énergie se trouve sous forme d’énergie cinétique des neutrons et des autres noyaux fils, énergie récupérée sous forme de chaleur chauffant de l’eau dont la vapeur actionne les turbines/alternateurs en produisant de l’électricité.

     On ne peut parler du nucléaire sans évoquer le brûlant dossier du nucléaire iranien, qui ne cesse de miner la vie politique du Moyen-Orient. C’est un dossier qui connaît beaucoup de tractations diplomatiques allant des fois jusqu’aux menaces entre une République islamique estimant qu’il est de son droit de s’approprier sa propre technologie nucléaire et un Occident qui ne veut plus supporter une telle situation. En parallèle, on assiste à une intense médiatisation de cette affaire. C’est un  dossier où il y a certes une terminologie qui n’est souvent pas comprise, et un savoir basique  qui n’est pas non plus à la portée du large public.
En effet, depuis l’expansion de l’information de chaînes satellitaires de télévision destinées spécifiquement à l’information, un des dossiers chauds du Moyen-Orient aux côtés des problèmes palestinien, irakien, syrien etc., est le dossier nucléaire iranien. Vu le déficit  chronique dont souffrent les larges couches sociales des pays arabo-musulmans en matière de culture scientifique, les concepts tels uranium naturel ou enrichi, eau lourde, moutaridates (centrifugeuses) restent un langage qui a besoin d’être expliqué pour tous. Après le procédé de fission, l’uranium enrichi (léger) doit être séparé du non enrichi (lourd). Une centrifugeuse est tout simplement une machine tournante, et tout dispositif tournant se trouve soumis à deux types de forces : une force centripète dirigée vers le centre du dispositif et une autre centrifuge qui reste tangente à la trajectoire. C’est cette dernière force qui éjecte les objets lourds plus loin que les objets moins lourds. L’uranium enrichi pèse moins que l’uranium naturel, il est donc porté sur des  trajectoires de rayons plus faibles, et les deux se trouvent complètement séparés. Récupérer celui de la faible trajectoire est synonyme d’enrichissement de l’uranium
Que veut l’Occident (Etats-Unis, Union européenne et Israël) du programme nucléaire iranien ? et que dit l’Iran de son  programme? L’Occident soupçonne depuis des années l’Iran de chercher à se doter de l’arme atomique et fait pression par embargo économique, pour amener Téhéran à renoncer à son programme. La République islamique affirme n’avoir que des objectifs à caractère civil à travers ce programme.
D’après une annonce officielle datée du 17 août 2013 du chef sortant de l’OIEA (Organisation iranienne de l’énergie atomique), l’Iran possède environ 18.000 centrifugeuses dont plus de 10.000 en activité, chiffre que confirme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Au début du mois de Mordad (le 23 juillet), «nous possédions 17.000 centrifugeuses de première génération, dont plus de 10.000 sont en activité et 7.000 prêtes à entrer en activité», a déclaré A. Davani, lors de la passation de pouvoir avec Ali Akbar Salehi (ministre des Affaires étrangères sortant), nommé par le nouveau président Rohani à la tête de l’OIEA. «Quelque 1.000 centrifugeuses de seconde génération ont également été installées et sont prêtes à entrer en activité», a-t-il ajouté. En mai 2013, le rapport de l’AIEA évoquait 17.600 centrifugeuses installées, dont 16.590 de première génération et 1.000 de seconde génération. Il faut dire aussi que les déclarations virulentes des responsables iraniens à l’égard d’Israël ne rendent pas service à ce programme, avec des propos allant des fois jusqu’à la menace de le rayer comme Etat de la carte géopolitique du Moyen-Orient.
L’Iran affirme et confirme que son programme concerne l’enrichissement d’uranium entre 5% et 20% dans un but pacifique. Les responsables iraniens avancent que l’enrichissement d’uranium à 20% est destiné à produire du combustible pour le réacteur du CNRT de Téhéran, sur lequel nous revenons ci-dessous dans l’historique. Mais Israël, considéré comme la seule puissance nucléaire de la région, et les pays occidentaux accusent l’Iran de chercher à se doter de l’arme nucléaire sous couvert d’un programme nucléaire civil. Selon certains experts, il est possible de fabriquer des bombes atomiques avec des taux d’enrichissement de 20%, voire moins. Cette possibilité même théorique, se trouve à l’origine de toutes les pressions subies par l’Iran de la part de la communauté internationale allant jusqu’à l’asphyxier économiquement. Ces experts pensent qu’à ces taux d’enrichissement, la masse critique doit être plus grande, d’autant plus que la présence d’238U inhibe la réaction en chaîne qui s’ajoute à l’effet de dilution de l’235U. Il est possible de diminuer la charge critique nécessaire avec des réflecteurs à neutrons, et/ou en faisant imploser la charge, mais ces techniques ne sont en pratique accessibles qu’à des pays qui ont déjà une expérience suffisante en la matière dans la conception d’armes atomiques. L’Iran a-t-il la technologie de cette conception? C’est l’avenir qui va nous apprendre si l’Iran est arrivé à un taux d’enrichissement dépassant 20%, ou encore disposer de ladite technologie qui lui permettra de se doter de l’arme nucléaire même avec de l’uranium à 20% et moins.
Entre 2003 et 2005, M. Rohani qui menait les négociations avec les grandes puissances sur le programme nucléaire iranien au temps du président Khatemi, avait accepté la suspension du programme nucléaire d’enrichissement et l’application du protocole additionnel permettant des contrôles-surprise de ce programme. Mais avec l’arrivée de M. Ahmadinejad au pouvoir, l’Iran a fait table rase de cet accord et a repris les activités d’enrichissement de l’uranium. C’est un projet monté de toutes pièces par les Etats-Unis lors du règne du Shah M. R. Bahlawi, mais après la révolution, ce projet n’a pas du tout les mêmes objectifs que ceux d’avant la révolution.
Sur le plan historique, les fondations du programme nucléaire iranien ont été posées pendant la guerre froide, à la fin des années 1950, sous l’égide des Etats-Unis et dans le cadre d’accords bilatéraux. Avec la dynastie  Bahlawi, un programme nucléaire de coopération civile a été signé dès 1957 dans le cadre du programme « Atoms for Peace », et après la chute de M. Mossadegh encouragée par la CIA en  1953, le régime apparaissait suffisamment stable et amical envers l’Occident pour que ce programme ne constitue pas une menace.
En 1959 est créé le Centre de recherche nucléaire de Téhéran (CRNT), opéré par l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI). Le CRNT était équipé d’un réacteur nucléaire de recherche fourni par Washington d’une puissance de 5 MW, opérationnel depuis 1967 et fonctionnant à l’uranium hautement enrichi. L’Iran signe le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) en 1968 et le ratifie en 1970. Avec la création d’une agence atomique nucléaire et le TNP mis en place, le Shah Bahlawi avait pour projet de construire jusqu’à 23 centrales nucléaires pour l’année 2000 à travers le pays avec l’aide des Etats-Unis.
A partir de cette date, la coopération en matière nucléaire s’intensifie au point que les Etats-Unis ont signé avec hésitation en 1976 une directive offrant à Téhéran l’opportunité d’acheter et d’utiliser une installation de traitement du combustible usé de fabrication américaine, permettant d’extraire du plutonium à partir de ce combustible. L’accord était écrit en vue de parvenir à maîtriser le «cycle complet de l’atome«, avec tous les risques en termes de prolifération que cela pourrait engendrer. Le document stratégique de l’accord stipulait que « l’introduction de l’énergie nucléaire en Iran permettra à la fois de fournir les besoins grandissants de l’économie iranienne et de libérer des ressources de pétrole pour l’export ou la conversion en produits pétrochimiques».
Les Etats-Unis ont approuvé les projets iraniens qui visaient à construire une véritable filière électronucléaire, et ont aussi travaillé dur pour conclure un accord de plusieurs milliards de dollars, accord qui aurait donné à Téhéran le contrôle de grandes quantités de plutonium et d’uranium enrichi – les deux voies vers la bombe nucléaire. L’Etat impérial d’Iran, allié des Etats-Unis, avait alors beaucoup d’argent et des liens étroits avec des compagnies américaines.
Cette situation va connaître un profond bouleversement après la révolution iranienne de février 1979. Les nouveaux maîtres du pays n’ont pas caché leur volonté de reprendre leur programme nucléaire, en utilisant du combustible nucléaire enrichi en Iran. En 1983, l’AIEA a même planifié de fournir de l’assistance à l’Iran dans le cadre d’un programme d’assistance technique. Un rapport de l’AIEA disait clairement que son but était de « contribuer à la formation d’une expertise locale et de la main-d’œuvre nécessaire afin de soutenir un ambitieux programme dans le champ de la technologie des réacteurs nucléaires et du cycle du combustible».

                                         Par le Pr. Abdelkarim Nougaoui

                   * Directeur du Laboratoire de recherche en physique
de l’Université Mohammed 1er d’Oujda
(A suivre)

(Paru au quotidien Libération, du 03-11-2013)

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