«Le Maroc jouit d’une image de marque très positive à l’étranger»
29-10-2010
Spécialiste du Maghreb et des relations euro-méditerranéennes, l’économiste tunisien Azzam Mahjoub est bien placé pour établir une comparaison entre les performances économiques du Maroc et celles des autres pays de la région. Ce professeur à la Faculté des sciences économiques de Tunis et expert auprès du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) estime que l’attractivité économique du Maroc repose sur un environnement des affaires en nette amélioration, mais surtout sur la bonne image de marque dont jouit le royaume à l’étranger. Entretien.
Les Afriques : Le Maroc et la Tunisie sont souvent considérés comme les frères rivaux du Maghreb, vu que leurs modèles de développement sont globalement similaires, ce qui génère une forte compétition entre eux. Lequel des deux pays s’en sort le mieux aujourd’hui ?
Azzam Mahjoub : Contrairement à l’Algérie qui, forte des richesses de son sous-sol, n’a pas trop cherché à s’engager dans une politique d’ouverture sur le reste du monde et à diversifier son économie, le Maroc et la Tunisie ont déployé beaucoup d’efforts pour renforcer leur attractivité économique. Les deux pays ont fait le pari de l’ouverture économique. Outre les accords bilatéraux qu’ils ont signés avec de nombreux pays arabes et africains, ces deux pays du Maghreb central se sont liés par des accords d’association avec l’Union européenne (UE). Le Maroc a, toutefois, pris une longueur d’avance en signant un accord de libre-échange avec les Etats-Unis et en obtenant le statut de partenaire avancé avec l’UE. Une féroce compétition oppose, de fait, les deux pays, qui misent sur les mêmes secteurs comme le tourisme, l’industrie et l’offshoring. Les deux pays font presque jeu égal en termes de croissance économique, avec des taux tournant autour de 5% en moyenne au cours des dix dernières années.
Si l’on se fie aux indicateurs de performance économique établis par les institutions internationales, la Tunisie apparaît légèrement plus performante que le Maroc. A titre d’exemple, le dernier indice de compétitivité établi par le Forum économique de Davos place la Tunisie au 40e rang mondial, alors que le Maroc est 73e. Loin de ces indicateurs, dont la méthodologie est souvent contestée par le gouvernement marocain, le royaume chérifien a montré ces dernières années un regain de dynamisme qui lui donne un petit avantage sur la Tunisie en termes d’attractivité économique. Le Maroc a par exemple coiffé au poteau son principal rival maghrébin en termes de fréquentation touristique. Il a aussi creusé l’écart dans le domaine de l’accueil des investissements directs étrangers, avec des flux nets de capitaux étrangers de 3,3 milliards d’euros, contre 1,3 milliard d’euros pour la Tunisie en 2009.
LA : Quels sont les facteurs sur lesquels repose l’attractivité économique du Maroc ?
AM : D’abord, le Maroc dispose d’un marché intérieur trois fois plus important que celui de la Tunisie (plus de 30 millions de consommateurs). Cela constitue un atout de taille pour les investisseurs étrangers à la recherche de débouchés.
D’autre part, le climat des affaires est en nette amélioration, grâce notamment aux réformes relatives à l’amélioration de la gouvernance et à l’arrivée à maturité de nombreux projets structurants lancés par le gouvernement, comme les zones franches ou encore le port Tanger-Med. Mais le plus grand atout du Maroc par rapport à ses voisins maghrébins reste, à mon sens, l’image de marque très positive dont il jouit à l’étranger. Contrairement à d’autres pays de la région, la perception du royaume à l’étranger est très bonne. Cette perception s’explique notamment par le fait que le pays jouit d’une stabilité politique et évolue dans le sens de la démocratie. A cela s’ajoute le rôle très important de la diplomatie économique marocaine très active, notamment en Europe et en Afrique.
LA : Qu’est-ce qui explique, selon vous, le fait que le modèle de développement marocain a tendance à s’exporter plus rapidement que le modèle tunisien en Afrique ?
AM : Les relations entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne sont séculaires. Ces relations ont un temps pâti du retrait marocain de l’OUA, dont plusieurs membres étaient partisans de l’indépendance du Sahara occidental. Elles ne sont désormais plus prises en otage par le règlement de ce dossier. Le roi Mohamed VI a adopté, dès son accession au trône, une véritable politique africaine basée sur l’économie et l’humanitaire. Du coup, le Maroc a enregistré une forte demande de la part des pays africains, notamment en matière de formation des cadres, de réalisation d’infrastructures et de projets d’approvisionnement en eau et en électricité. Ainsi, les entreprises marocaines ont conquis des positions au sud du Sahara et les échanges commerciaux se sont développés. A la différence du Maroc, la Tunisie n’a pas encore une politique africaine claire, bien que les opérateurs économiques tunisiens commencent à être sollicités au sud du Sahara.
LA : Quels sont les principaux défis que le Maroc doit aujourd’hui relever pour consolider sa position de pays émergent ?
AM : A l’instar de la Tunisie, le Maroc doit encore améliorer son environnement des affaires, notamment en luttant contre la corruption et en renfonçant l’efficacité du secteur public et l’indépendance de la justice. Le royaume est aussi appelé à améliorer ses scores dans le domaine du développement humain. Dans l’indicateur 2009 de développement humain du PNUD, le Maroc est classé 130e sur 181 pays, alors que la Tunisie est classée 98e. Si le principal défi de la Tunisie reste un taux de chômage élevé (14,2%), les grands chantiers du Maroc, dans ce domaine, sont la lutte contre les inégalités sociales et la pauvreté, qui touche encore quelque 2,8 millions de personnes.
Propos recueillis par Walid Kéfi, Tunis
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