La Boîte à Merveilles d’Ahmed Séfrioui : le lecteur et la construction des horizons d’attente
Lalla Zoubida, personnage clé dans ‘’la Boîte à Merveilles’’ : par les fréquences de ses apparitions tout au long de l’œuvre, en sa qualité de mère d’un enfant mineur qui ne peut se mouvoir qu’accompagné de sa mère, en sa qualité de narratrice seconde qui exproprie son fils de ses fonctions de narrateur attitré, surprend le lecteur par ses propos violents et inconvenants à l’adresse de son fils qu’elle agresse par des insultes humiliantes et dégradantes. En effet, dès sa première apparition dans le roman et au premier contact avec le lecteur, Lalla Zoubida adresse des propos inattendus par leur charge agressive à l’adresse de son fils. Le lecteur, qui se prépare à prendre connaissance de la mère du héros personnage narrateur, la surprend avec de vilains mots dans la bouche ‘’ …et tu trouves le moyen de braire comme un âne’’ (page 8), ‘’habille-toi, tête d’oignon’’ (page 11). Le lecteur retient cette invective dans l’attente du développement de l’intrigue pour en savoir plus sur cette femme qui paraît d’un tempérament brutal et hostile.
Aux propos malveillants de Lalla Zoubida, s’ajoute un aveu de son fils Sidi Mohammed qui révèle à ses lecteurs en sa qualité de narrateur et de témoin, la psychologie complexe de sa mère dont il dit qu’il n’est nullement rassuré de la voir riante et gaie au cours d’une réunion de femmes auxquelles elle mime les scènes dont elle a été témoin au bain maure. Les femmes qui écoutaient les récits de Lalla Zoubida dans lesquels elle relatait dans leurs plus petits détails ce qu’elle a vu tout en contrefaisant les tares physiques ou morales des femmes objets du spectacle, pouffaient de rire et l’incitaient à continuer. L’enfant Sidi Mohammed n’est nullement rassuré de voir sa mère rire et faire rire car il sait qu’elle est d’un tempérament versatile et changeant. ’’Ma mère remportait auprès des voisines un gros succès. Je n’aimais pas beaucoup ces sortes d’exhibitions. L’excès de gaîté de ma mère était pour moi lié à de fâcheuses conséquences. Le matin, débordantes d’enthousiasme, elle ne manquait jamais, le soir, de trouver quelque motif de querelle ou de pleurs’’ (page 14). Une trentaine de pages plus en aval, il confirme ce qu’il a affirmé :‘’Elle chantonnait, gourmandait avec tendresse un chat efflanqué, étranger à la maison, riait pour rien. Chez ma mère, de telles joies étaient souvent très proches des larmes’’ (page 45)
Le lecteur dispose donc de deux outils pour construire des horizons d’attente sur le bien fondé de la personnalité de Lalla Zoubida : l’un sur son caractère violent comme elle le laisse transparaitre quand elle traite son fils de qualificatifs insultants, l’autre sur son tempérament changeant. Mais il ne doit pas attendre bien longtemps le développement de la trame narrative pour voir se confirmer les horizons d’attente qu’il s’est construits sur Lalla Zoubida. A peine arrivé à la page 16, que le lecteur se trouve en présence d’une femme qui, la veille encore entourée de ses voisines et amies à qui elle faisait le récit des scènes du bain maure en contrefaisant les gestes et en parodiant les actes des femmes rencontrées au bain, devenues les victimes malheureuses de ses scènes de mime, se gendarme, comme l’avait proclamé son fils à la page 14, contre sa voisine Rahma qui avait l’intention vilaine de lui prendre son jour de lessive. ’’De bonne heure, elle occupait le patio, l’encombrait d’auges de bois, de bidons qui servaient de lessiveuses, de seaux pour le rinçage et de paquets de linges sales. A peine vêtue d’un séroual et d’un vieux caftan déchiré, elle s’affairait autour d’un feu improvisé…’’(page 15) après quoi, elle se lance dans une violente diatribe contre sa voisine Rahma qu’elle couvre d’injures et d’insultes ’’ Il existe, dit-elle………….une femme de ton espèce’’(page 16).
Pour ce qui est de ses libertés de langage, de la violence de son expression, de l’agressivité de sa contenance, Lalla Zoubida se découvre à ses lecteurs de manière à leur montrer ce qui se cache derrière le titre honorifique ‘’Lalla’’, et du caractérisant ‘’chérifa’’ dont l’arbre généalogique remonte, dit-elle, jusqu’au Prophète Sidna Mohammed, que la prière et le salut soient sur lui. Ecoutons-la s’dresser à Rahma sur le ton de l’invective :’’ Je sais ce que tu es, une mendiante d’entre les mendiantes, une va-nu-pieds, crottée et pouilleuse, une lécheuse de plats qui ne mange jamais à sa fin…’’ Le mari de Rahma n’échappe pas à ses coups de griffes :’’Et ton mari !parle-moi de cet être difforme, à la barbe rongée de mites, qui sent l’écurie et brait comme un âne !’’
En conclusion, le lecteur averti se doit d’être attentif aux propos des personnages de l’œuvre, pour en vérifier le bien fondé au fur et à mesure de sa lecture. Ainsi, il sera à même de mieux saisir leur psychologie, ce qui lui permettra de prévenir les actions et d’anticiper sur la suite des événements.
4 Comments
En tant que parent, je tiens a remercié Mr Zaid pour ces intéressants articles qui sont d’une grande importance pour les élèves de la première année de baccalauréat .Néanmoins je souhaite que Mr Tayeb, en écrivant ces articles prend en considération le niveau des élèves en Français et utilise un style moins difficile.
Monsieur Mansour N. :Je suis touché par vos marques de sympathie pour ma personne; quant à la langue que j’utilise dans mes articles ou cours,et dont beaucoup me disent qu’elle est abrupte, je fais de mon mieux pour être accessible à tous mes lecteurs.
j’essaierai à l’avenir de simplifier au maximum mais nos élèves doivent eux aussi faire l’effort de lire et de chercher: ils ne doivent donc pas attendre à se faire servir, ils doivent donc mettre la main à la pâte.
Encore une fois merci pour votre réaction.
s’agit-il ici d’un simple personnage dont la psychologie est complexe ou plutot d’un echantillon du monde adulte auquel appartient le narrateur si nous prenons le roman comme une dichotomie monde enfantin vs monde adulte ?
Monsieur le professeur, merci infiniment pour l’effort que vous déployez afin de rapprocher les étudiants de première année de leur programme. Dieu seul vopus en récompensera. Grand merci encore une fois.