Enseignants, quel péché avez-vous commis pour être ainsi châtiés ?
Tayeb Zaid
Le plus méprisable et le plus honnis des fonctionnaires de l’Etat est l’enseignant de l’école publique à tel point qu’il vient à l’esprit de l’observateur que le ministère de tutelle dont il dépend lui voue une indifférence et une mésestime conjointes auxquelles il répond par la désobéissance sous toutes ses formes : arrêts de travail de quelques heures, grèves, sit in, manifestations bruyantes de rue… cette forme de colère contre le système éducatif semble justifiée à cause de son caractère ségrégationniste.
L’enseignant dans sa classe est pareil au soleil dans son orbite autour duquel gravitent toutes les autres planètes. L’enseignant dans sa classe aux tables boiteuses et aux murs gangrénés, est le maître, nom qu’on lui attribuait autrefois et qu’il mérite, et les responsables dans leurs bureaux à fauteuils en faux cuir sont ses serviteurs. L’enseignant dans sa classe et avec ses élèves à qui il donne le savoir est le centre du système éducatif et scolaire alors que les autres, assis bien confortablement dans leurs bureaux, sont la périphérie. Tout tourne donc autour de l’enseignant qui est le centre de gravité et la source de lumière et de chaleur qui éclaire et réchauffe.
Et comment peut-il être autrement ? Il ne peut être autre autrement que dans un univers où les choses vont de travers.
Le 5 octobre est la journée mondiale de l’enseignant. Journée pendant laquelle il doit être honoré pour son rôle de façonner les esprits pour les former, forger les jeunes pour en faire les hommes de demain à qui il sera confié le destin du pays. Au lieu de cela, l’enseignant se fait repousser, bousculer, tabasser, matraquer, saigner comme un voyou, comme un vulgaire larron pris la main dans le sac, arrêté et lynché dans un souk de campagne. La manifestation finie, il rentre chez lui le corps meurtri et couvert d’ecchymoses, de bosses ou d’égratignures, avec quelques lambeaux qui manquent à ses vêtements. Sa femme et ses enfants accueillent à son retour ce qui était le mari, le père et l’enseignant ! Un bien triste spectacle que de voir l’enseignant venu manifester pour l’amélioration de ses conditions se faire brutaliser par les agents de l’autorité publique dont les enfants viendront le 6 au matin dans la classe de celui que leurs parents avaient tabassés la veille !
Le 5 octobre, tous ceux qui ont bénéficié des augmentations de leurs salaires ou des indemnités ont été à leurs postes, encostumés, cravatés et chaussés comme il convient à un jeune clerc par un beau dimanche de grande messe. Les élèves, eux aussi, étaient là, dans la cour ou en rangs devant leurs salles de classe, le cartable sur le dos. Seul l’enseignant qui, sans raison plausible, a été écarté des augmentations et indemnités manquait à l’appel. Tout est suspendu. Tout le monde doit rentrer chez soi et l’école s’est aussitôt vidée des élèves et de tous ceux qui ont généreusement été gratifiés par des augmentations ou des indemnités, des plus hauts au plus bas de l’échelle administrative. L’éclipse est totale : plus de lumière, plus de chaleur !
‘’Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, // Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.’’1
Le seul être qui a manqué à l’appel est l’enseignant et l’école s’est dépeuplée malgré la présence de tous ceux qui ont été largement gratifiés. De là, on peut en déduire que ceux qui ont des tâches à faible valeur ajoutée ou à valeur ajoutée nulle se retrouvent récompensés au détriment de ceux sur qui portent l’école sur leurs dos.
Directeurs, censeurs, orienteurs, inspecteurs pédagogiques, inspecteurs de finances, surveillants généraux, cadres de toutes les espèces et de tous les statuts ! Quand l’enseignant manque, l’école se dépeuple !
1-Lamartine ; Le lac.
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