Ain Sfa et la résistance aux changements
Zaid Tayeb
Ce qui était jusqu’à un certain temps un souk hebdomadaire est devenu, grâce à la bonne volonté des responsables, un marché moderne avec voies pavées, trottoirs, boutiques, stands à toitures contre les intempéries…. Seulement, les marchands en sont restés à leurs vieilles habitudes désuètes dont ils refusaient de se défaire et qui leur sont restées collées comme une verrue sur le bout du nez.
Avant la construction et l’aménagement du nouveau marché hebdomadaire, les marchands déposaient leurs marchandises en vrac, dans leurs cageots en bois latté ou dans des couffins d’un autre âge, directement sur le sol accidenté et terreux, bosselé ou crevassé, boueux ou poussiéreux, selon les saisons. Des allées étroites et irrégulières séparaient les carrés des marchands qui permettaient aux clients d’accéder aux marchandises qui gisaient à même le sol. Les clients, quant à eux, partageaient le souk avec les chiens et les chats qui rôdaient dans les allées tout en leur flairant les talons. Les choses allaient ainsi depuis plusieurs décennies et marchands et client ont fini par s’adapter au lieu et aux conditions.
Le souk n’avait ni mur d’enceinte ni portes. Il débordait de tous les côtés. Les bouchers abandonnaient sur place leurs étals ensanglantés et leurs billots que les chats et les chiens venaient lécher et contre lesquels ils pissaient par giclées après avoir soigneusement relevé la patte postérieure. Les marchands avaient pris l’habitude de ces choses là, et les clients eux aussi savaient de science sûre que la saleté, la crasse, les essaims de mouches, les immondices, les restes d’abats, les os dégarnis de leur viande, le manque d’hygiène et de propreté faisaient partie de leur quotidien et que ‘’ce qui n’engraisse pas ne tue pas’’, disaient-ils dans leur langue avec une petite moue ou un rictus.
Les temps changent mais les pratiques des marchands d’Ain Sfa ne changent pas. Malgré tout ce qui a été fait pour leur bien, pour celui de la clientèle, des visiteurs d’un jour, de la petite commune dont les responsables œuvrent pour faire changer les choses au mieux, les marchands ont gardé leurs habitudes. Les stands ne sont plus respectés, les allées qui servent de voies de circulation aux clients sont encombrés de cageots et de couffins, les poissonniers et les marchands d’abats attirent autant de mouches que de clients en exposant leur marchandise dans les mêmes conditions que dans l’ancien souk et en obstruant la voie, les pick up chargés de leur cargaison et le véhicule de l’herboriste occupent les stands, aux côtés des marchands de légumes et fruits…Rien ne distingue le marché dans sa structure actuelle d’une place publique prise d’assaut par les marchands à la sauvette( les farrachas) en dehors que les premiers travaillent dans la légalité et les seconds doivent jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre.
Je suis fatigué et écœuré de raconter des choses où le dedans et le dehors, le moderne et l’archaïque, le beau et le laid, le marché et le souk flirtent si bien et en public, sans crainte d’être dérangés ni gênés dans leur affreux concubinage!
La conduite des commerçants et des marchands sape les efforts des responsables qui œuvrent pour faire de la petite commune d’Ain Sfa, une petite ville avec tout ce que les grandes villes ont de beau à montrer et à utiliser dans le respect.
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