Provoquer, offenser, diffamer, délirer…quel rapport avec la liberté d’expression, monsieur Macron ? Lettre ouverte de la part d’un citoyen marocain au Président de la République française
Mohamed INFI, Meknès (Maroc), lundi 2 novembre 2020
Monsieur Macron, je me permets, en tant que citoyen marocain nommé Mohamed INFI (Professeur de l’Enseignement Supérieur mis à la retraite depuis quelques années), de m’adresser à vous en tant que chef de l’Etat de France, historiquement pays des libertés et droits de l’homme, pour, d’un côté, exprimer ma condamnation ferme de tout acte terroriste, quelle que soit sa nature ou son ampleur ; d’un autre côté, manifester mon indignation et ma colère suscitées par vos réactions et votre jugement de valeur concernant l’Islam.
Certes, l’incident qui a motivé vos réactions est affreux, condamnable, injustifiable, mais explicable par le comportement provocateur de la victime.
Enseignant pendant à peu près quarante ans, je vois mal ce que peut apporter comme savoir ou savoir-faire aux élèves français une caricature du Prophète de L’Islam, présentée par un professeur d’histoire, de géographie et d’éducation morale et civique. Aucune de ces disciplines ne peut justifier l’insertion de cette caricature dans le cours. C’est donc un geste gratuit, déplacé, irréfléchi, immature…Et cela lui a coûté la vie. Il a été décapité par un jeune islamiste radical.
Chez moi, au Maroc, monsieur le Président, toutes les institutions de mon pays, qu’elles soient publiques ou sociales, condamnent par principe tout acte terroriste où qu’il soit. Ces mêmes institutions ont été profondément scandalisées et très touchées par la position officielle de la France à l’égard de l’Islam et de son Prophète, et elles l’ont fait savoir par des communiqués et des points de presse de leurs appareils exécutifs ou décisionnels.
La Politique, monsieur Macron, a besoin de la Sagesse et de l’Éthique; sinon elle conduit au chaos, surtout quand elle est l’équivalent de l’abus, de l’arrogance et de tout ce qui peut être compris par d’éventuels partenaires comme menace ou humiliation. C’est là, je pense, une vérité de La Palice.
N’est-ce pas, monsieur le Président, que l’une des leçons de la Sagesse et de l’Éthique, pour ne pas dire l’une de leurs exigences, consiste à respecter les convictions des uns et des autres, quelles qu’elles soient (religieuses, politiques, philosophiques ou autres), sauf quand celles-ci portent atteinte à l’ordre public ou menacent de le faire ?
Respecter les convictions d’autrui, c’est aussi respecter sa culture et sa différence ou son identité. Mais le respect doit être mutuel, sinon il faut lui trouver un autre nom. Le respect, quand il est partgé, il assure l’équilibre de la vie communautaire. C’est là aussi une lapalissade, n’est-ce pas ? !!!
Nous, les Marocains, monsieur Macron, nous connaissons bien et l’histoire et la culture de votre pays, que nous respectons, bien sûr. Ne sommes-nous pas un pays francophone par la force des choses ? En effet, on l’est devenu parce qu’on a été colonisés par la France. C’est là une vérité historique connue de tout le monde.
Cependant, la francophonie ne nous a pas fait oublier notre culture et notre histoire ou dénier notre différence. Par contre, elle a permis, tout au moins aux bilingues qui sont allés plus loin dans leurs études, de s’imprégner de votre culture et de ses valeurs, entre autres ses valeurs démocratiques.
Malheureusement, monsieur le Président, il semble que les valeurs de la République et de la Révolution françaises, représentées par la devise « liberté, égalité, fraternité », sont largement bafouées sous votre mandat présidentiel, au point que l’on peut se demander s’il en reste grand-chose dans la vie sociale et politique de la France actuelle.
Déjà, votre conception de liberté, monsieur le Président, prête à discussion, pour ne pas dire à confusion, car elle va contre l’histoire même de la liberté en France. Que faites-vous, par exemple, du précepte « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres », quand vous proclamez une liberté sans limites, une liberté absolue ? Quelle place faites-vous, dans ce cas, au concept de responsabilité dans votre pensée ?
Il semble qu’il est opportun et raisonnable, dans le contexte actuel de la France, d’adopter le point de vue des épidémiologues de Toulouse, et l’ériger en règle de conduite en société. Ces spécialistes de l’épidémiologie ont proposé, pour protéger la santé publique, de substituer, temporairement, au terme « liberté » de la devise française, celui de « responsabilité ». Est-ce que la santé sociale des citoyens français ne mérite pas, monsieur Macron, d’être protégée contre les agissements irresponsables de certains déséquilibrés qui, au nom de la liberté d’expression, mettent, de temps en temps, la vie collective en péril ?
Monsieur le Président, vos propos sur la liberté d’expression sont non seulement provocateurs pour tout musulman, pratiquant ou non pratiquant, mais aussi incitateurs à la haine et à la violence de part et d’autre, que cette violence soit physique (agressions, actes terroristes…) ou symbolique (violence verbale, sociale…). N’est-ce pas défier tous les musulmans au nom de la liberté d’expression, que de vous engager à assurer la publication des caricatures de leur Prophète ? Caricatures humiliantes et dégradantes, bien sûr !!! N’encouragez-vous pas, par votre position, l’extrémisme et le fanatisme desquels se nourrit le terrorisme ?
De plus, quel est l’intérêt de l’Etat français à humilier le dernier Envoyé de Dieu et provoquer la colère de deux milliards de fidèles ? Ne faites-vous pas preuve, par vos propos provocateurs, pour ne pas dire irresponsables, de manque de maturité politique et morale ?
En effet, par vos propos, vous présentez aux Français, et essentiellement aux jeunes, un très mauvais exemple de politicien, bien que vous soyez à la tête de la plus haute instance du pays. Au lieu de faire un effort pour amoindrir, dans la société, l’impact de l’islamophobie, qui est une forme de racisme, vous vous efforcez à tenir des propos qui ne peuvent que l’attiser et l’aider à se répandre davantage en France. Cela n’est-il pas suffisant pour inciter des extrémistes musulmans à commettre des actes violents contre les intérêts de la France ou, peut-être, contre les autres cultes ?
Comment s’étonnerait-on devant de pareilles réactions lorsque vous confirmez et soutenez, officiellement, « le droit au blasphème » et à « critiquer les religions » ? D’autant plus que l’on sait que ce droit n’est applicable en France qu’à l’Islam. Nul n’est dupe sur ce point.
Je vous défie, monsieur Macron, de tenir un propos pareil, ne serait-ce que sous forme d’allusion ou de sous-entendu, sur le judaïsme ou sur l’histoire des juifs. N’est-ce pas que tout français qui oserait revoir l’histoire des juifs pendant la seconde guerre mondiale est susceptible d’être jugé selon le code pénal, et donc passible d’une peine de prison ?
Savez-vous, monsieur le Président, que Charlie-Hebdo qui ne cesse de publier des caricatures de notre Prophète, et que vous présentez comme le parangon de la liberté d’expression en France, vire tout dessinateur qui ose caricaturer le judaïsme ? Où est la liberté d’expression ici ? Le terme « égalité » de la devise française est foulé au pied par Charlie-Hebdo et par vous-même. Ne sommes-nous pas devant une hypocrisie flagrante ? N’est-ce pas là un « deux poids et deux mesures » qui vous convient parfaitement quand il s’agit de l’Islam ? Et ce n’est pas étonnant de votre part quand on sait que vous voulez élargir la définition de l’antisémitisme à l’antisionisme. Quelle dépendance idéologique est la vôtre !!!
Quant à la prétendue crise profonde et généralisée de l’Islam, sachez, monsieur le Président, que l’Occident, avec à sa tête les Etats-Unis, est à l’origine de cette crise, si crise il y a. Il est de notoriété publique que les Etats-Unis soutiennent les mouvements islamistes dans les pays musulmans, et tout particulièrement dans le monde arabe. Le mal, c’est de là qu’il vient. Et l’Europe n’est pas étrangère à cette affaire. Les raisons sont faciles à comprendre.
Quant à la liberté d’expression telle que vous la concevez, sachez, monsieur Macron, que des intellectuels français de grande valeur et des politiciens de renom ne la partagent pas. Au contraire, ils refusent de considérer l’insolence et le manque de respect comme signes ou preuves de liberté d’expression.
En conclusion, Monsieur Macron, les valeurs de la République et de la Révolution françaises, vous êtes le premier à les bafouer, sinon à les fouler au pied, par votre partialité, votre dépendance idéologique, votre parti pris quant à la religion musulmane… !!!
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