De la norme à l’écart et du lieu commun au paradoxe
Zaid Tayeb
Il n’y a pas bien longtemps, j’étais sévèrement pris à parti par quelqu’un qui s’était dit en savoir plus qu’il n’en fallait sur les différents cas de figure d’un fait de style fréquemment employé et qui sert à abréger, à réduire, à mettre en facteur commun tout ce qui se ressemble (s’assemble) comme disent si savamment nos professeurs de mathématiques. Ce qu’il disait, tel qu’on le lui avait enseigné à l’école, est en partie vrai, et au lieu de s’en réjouir en solo, il devrait remercier ses professeurs pour le lui avoir appris dans les règles de la grammaire normative. Mais il a manqué de science concernant ce qui s’acquiert par l’usage et l’exercice et ne s’apprend pas à l’école.
Si la prose est la norme, la poésie est l’écart. Si les règles de grammaire sont la norme, les faits de style sont l’écart. Le ‘’ (plaisir du) texte’’ dans sa lecture, son écoute ou son écriture réside dans ce qu’il apporte de neuf et de nouveau non dans ce qu’il perpétue de vieux et d’archaïque, dans le beau et l’esthétique non dans le trivial et le rustique. Le vide de l’ellipse est de loin plus significatif et incite à plus de réflexion et de méditation que le trop plein d’une redite, et l’absence mieux que la présence, le non-dit que le dit, le non exprimé que l’exprimé. Le néant que l’étant. Le lecteur qui ignore les subtilités de l’ellipse, ses différents emplois qui enfreignent avec brio les règles de la grammaire ou qui se jouent d’elles pour le plaisir de l’œil ou de l’oreille, sont encore au stade d’un normatif scolaire. Ceux qui voient dans l’ellipse(les néophytes du genre du monsieur)- avec ses nombreuses variantes encore plus judicieuses et plus ‘’osées’’ par leur hardiesse à frôler de trop près la ligne de démarcation qui sépare le faux du juste sans jamais tomber dans le ‘’mordu’’- un non respect des règles de l’écriture conventionnelle, prennent la langue par son côté codé et clos. Ce que la norme dans son caractère singulier nous ferme, les écarts nous ouvrent au pluriel.
La fracture et l’accidenté de l’anacoluthe ont de loin plus de saveur et de goût dans leur consommation que le droit, le plat et le rectiligne d’une phrase norme(ale). L’anacoluthe donne à la phrase un second souffle et par conséquent un second point de départ pour un même point d’arrivée. C’est une correction du tir en cours d’exécution.
Le docteur qui a dit vouloir porter plainte contre un autre docteur en une autre discipline constitue un lieu commun contre un paradoxe. Depuis tout temps, les fondements des lieux communs ne se font ébranler que par ceux des paradoxes. L’accusatrice a vu la somme de son apprentissage acquis sur les bancs de l’amphithéâtre vaciller sous les coups de bélier de l’accusé, sans voir que ce qu’elle a appris est académique. C’est le combat traditionnel entre l’ancien et le nouveau, entre ce qui est et ce qui doit être.
Si on n’avait pas pris le parti d’un homme qui porte le nom de Mohammed (que la prière et le salut les plus chers soient sur lui) et de croire en un Dieu unique, on en serait à l’heure actuelle du parti de celui d’Abou Lahab à adorer Baal et Houbal. Le prophète Mohammed( que la prière et le salut les plus chers soient sur lui) et l’unicité de Dieu sont le paradoxe, Abou Lahab, le polythéisme et l’idolâtrie sont le lieu commun. Le paradoxe est le bien, le lieu commun le mal ; vieux combat toujours d’actualité.
Sans le génie de Copernic, on en serait encore à admettre comme une vérité scientifique et à enseigner à nos enfants dans nos écoles que la terre est le centre de l’univers, qu’elle est plate comme une galette et que le soleil tourne autour de la terre. Il avait fallu attendre qu’un homme peu commun, qui sort du commun des hommes les plus communs pour annoncer une chose peu commune : remettre les sciences sur la bonne voie. Copernic est un lieu commun, les scientifiques qui lui ont été contemporains ou qui l’ont précédé jusqu’aux premiers hommes sapiens sont des lieux communs.
L’écart en langue et le paradoxe en toute chose sont le mobile et le dynamique, la norme et le lieu commun le constant, le fixe et l’inerte. Le progrès et son évolution sont tributaires de la mobilité et du dynamisme non de la fixité et de l’inertie. Ce qui en est de l’écart et de la norme en est également du paradoxe et du lieu commun.
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