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Bonnes feuilles des mémoires de Mokhtar Ould daddah

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“Je n’ai pas cédé à Boumedienne”

Dans ces bonnes feuilles du livre de Mokhtar Ould Daddah, l’ancien président mauritanien apporte un témoignage inédit sur la génèse du conflit saharien.

 

• Feu le Roi Hassan II en compagnie de H. Boumedienne et A. Ben Bella.

 

“Peu de temps après sa prise de pouvoir et quelques échanges classiques de messages, je rencontrai Boumedienne pour la première fois à Accra, en octobre 1965, à l’occasion du 3ème sommet de l’OUA. Il était encore boudé par les révolutionnaires, amis de Ben Bella: les présidents Nasser, N’Krumah, Modibo Keita et Sekou Touré. Très timide, taciturne, il était fort mal à l’aise. Il n’empêche que nous avons tout de suite sympathisé et convenu de nous revoir chaque fois que possible … Et pour commencer, je vous invite à venir en visite officielle en Algérie, dès que votre calendrier vous le permettra…”, me dit-il.
Je ne pourrai effectuer cette visite qu’en mars 1967. Jusqu’à cette date, nos rapports demeurèrent rares…

Conseil

“… En un mot, tout nous rapprochait des Algériens. On peut donc dire, sans exagération, que c’est dans l’euphorie que la coopération mauritano-algérienne, en politique étrangère surtout, se développe jusqu’en 1975.
Durant une partie de cette période, un problème de santé m’amena, trois à quatre fois par an, à Alger. Chaque fois le Président Boumedienne me recevait officiellement. Comme je n’avais pas de raisons particulières de révéler la cause réelle de ma présence en Algérie, je donnais l’impression de venir spécialement et périodiquement pour rencontrer le Président algérien. Ce qui a fait dire à certains mauvais esprits que la Mauritanie était en train de devenir la “énième Wilaya d’Algérie”…
“… Une anecdote illustre le degré de confiance mutuelle entre nous. Durant mes premières vacances algériennes, celles de l’été 1970, Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, vient un jour me voir.
Il me déclare: “M. le Président, vous êtes pour Si Boumedienne le seul ami avec lequel il discute de tous les sujets, puisqu’il a une grande confiance en vous. C’est la raison pour laquelle il tient compte de vos avis et conseils. Aussi je me permets de vous demander de lui suggérer de s’occuper davantage de la politique extérieure, africaine en particulier. Lui conseiller de voyager à l’étranger pour voir et connaître d’autres expériences que la nôtre, à laquelle il se consacre entièrement depuis qu’il dirige le pays. Bien entendu, le Président n’est pas au courant de ma démarche. Mais, connaissant vos liens personnels si confiants et si amicaux, je sais que je ne le trahis pas en la faisant”. J’effectue la démarche comme si elle était mienne et Si Boumedienne me promet d’en tenir compte tout en me remerciant de l’avoir faite. La suite des événements prouva qu’il en a bien tenu compte…
… C’est dans le cadre de mes relations personnelles avec Si Boumedienne qu’en août 1974, revenant de Tunisie et allant à Rabat, je fais une escale de quarante-huit heures à Alger, à l’invitation de mon ami, “… pour faire le tour d’horizon habituel…”, me dit-il. …
C’est à l’occasion de ce passage que Si Boumedienne me propose, pour la première fois, la constitution d’une fédération algéro-mauritannienne, en insistant sur tous les avantages que la République Islamique de Mauritanie tirerait d’une telle fédération. Séance tenante, je réponds négativement, en justifiant mon refus, et par des considérations particulières à la Mauritanie et par des raisons d’ordre général.
Les raisons particulières sont évidentes. Celle-ci (la Mauritanie) étant un pays bi-ethnique, sa direction nationale, préoccupée avant tout par le renforcement de l’unité nationale encore si fragile, avait décidé, dès la période de l’autonomie interne, de ne se fondre dans aucun ensemble institutionnel, qu’il soit du Nord ou du Sud. C’est la raison pour laquelle elle avait refusé d’adhérer à l’éphémère Fédération du Mali, malgré les pressions de toutes sortes alors exercées sur elle par le Sénégal et le Soudan. Du reste, ces pressions avaient failli mettre en cause notre unité nationale naissante.
Tout en reconnaissant que j’avais objectivement raison sur le fond, il me déclare: “Je t’avoue que je ne croyais pas que la Mauritanie allait continuer à discuter avec le Maroc, sans l’Algérie. Maintenant que c’est fait, je vous souhaite bonne chance. Mais méfiez-vous des Marocains. Ils sont tout à fait capables de vous rouler puisque vous êtes désormais en tête-à-tête avec eux, ce qu’ils ont constamment cherché. En effet, la présence de l’Algérie dans la concertation à trois sur le Sahara, les a toujours irrités, car elle les empêchait d’imposer leur point de vue à la République Islamique de Mauritanie.” Je le tranquillise en l’assurant que la Mauritanie, malgré sa faiblesse, ne se laissera pas “avoir” et saura, comme toujours, défendre ses intérêts…”

Tension

… Au début de juin 1975, j’apprends que la tension est brusquement montée entre les deux pays. J’envoie Hamdi Ould Mouknas, (ministre des Affaires étrangères, NDLR) auprès des deux Chefs d’État pour s’informer et, de ma part, prêcher la modération. À son retour, le ministre des Affaires étrangères me confirme que la tension est très vive. Il me précise que le Président Boumedienne est particulièrement irrité contre le Maroc. Le Roi est moins énervé mais craint une dangereuse escalade. L’un et l’autre l’on chargé, chacun de son côté bien sûr, de me faire part de son désir de me rencontrer le plus tôt possible. Effrayé par la montée des périls, Hamdi insiste pour que j’aille très vite. Je charge l’Ambassadeur d’Algérie d’annoncer mon arrivée au Président Boumedienne en lui précisant que je préfère le rencontrer ailleurs qu’à Alger. Le jour même, mon homologue algérien me propose Béchar, que j’accepte. Je m’y rends et l’y trouve à l’aéroport.
Effectivement. Si Boumedienne était particulièrement excité. Sans transition, il se met à me parler du Roi et de tous les responsables marocains, en des termes peu diplomatiques: “J’en ai par dessus la tête des manières de Hassan II qui… que… Je suis personnellement victime d’une campagne particulièrement méchante de la presse marocaine. Cette dernière vient de publier de moi une caricature ridicule, en tenue militaire, me traitant d’expansionniste, d’impérialiste, etc… Je ne supporterai pas longtemps cette campagne injurieuse, savamment orchestrée par Hassan II et ses acolytes…”
C’est lors de cette rencontre que, pour la première fois, il me parla ouvertement du “Polisario”. Jusque là, il n’y faisait allusion que sous forme de boutade, en me disant, par exemple: “… Tes cousins qui ont formé leur front de libération” en Mauritanie se sont, depuis, installés en Algérie, où nous les aidons beaucoup. Ils se préparent à toute éventualité… etc.” Cette fois, il me déclara: “la situation est explosive aux frontières algéro-saharo-marocaines. L’armée algérienne est en état d’alerte tout le long de la frontière avec le Maroc et le Sahara espagnol. De son côté, “le Front” est prêt pour la riposte, car Hassan II masse ses troupes le long des mêmes frontières. Il envisagerait même d’attaquer l’Algérie et d’envahir le Sahara…”
À Rabat, je trouve le Roi apparemment serein et même détendu.
“Et Si Boumedienne, comment va-t-il?”, me demande mon hôte, d’entrée de jeu. En termes diplomatiques, je lui résume la partie non polémique des entretiens de Béchar. Je ne lui cache pas que le Président Boumedienne est fort irrité par la campagne de presse marocaine contre lui, en particulier par la caricature publiée dans L’Opinion et la légende qui l’accompagne. Qu’en plus, notre homologue lui reproche vivement de n’avoir pas ratifié les accords de juin 1972.

Ingratitude

Concernant la campagne de presse, répond le Roi, cette campagne est menée par la presse de l’opposition, qui ne dépend pas de lui. “Ensuite, poursuit-il, le peuple marocain en général, la classe politique en particulier, sont ulcérés par l’ingratitude des Algériens, de Boumedienne surtout. Personne, au Maroc, n’oublie tous les sacrifices consentis pour soutenir et aider les combattants algériens. De nombreux Marocains sont morts le long de la frontière commune pour la cause algérienne. Les résistants algériens, en particulier les cadres, étaient reçus en frères dans les familles marocaines, qui les accueillaient à bras ouverts. Boumedienne, qui avait commencé sa carrière de combattant dans les maquis de l’ouest algérien, a, personnellement, beaucoup bénéficié de l’hospitalité marocaine.”
“Comme je vous l’ai dit depuis plus d’un an”, continue le Roi, “Boumedienne n’a jamais été loyal avec moi. Par hégémonisme, il veut empêcher le Maroc de récupérer ses territoires sahariens occupés par l’Espagne. Par hostilité au Maroc, et contrairement à ses déclarations anti-colonialistes, il préfère favoriser le maintien du colonialisme espagnol au Sahara plutôt que de voir le Maroc réaliser son unité territoriale. Il ne peut pas se défaire de son hostilité foncière à l’égard de mon pays. Deuxièmement, je ne lui cacherai pas -puisque nous restons, que nous le voulions ou non, des voisins et des frères- je ne lui cacherai pas ma grande déception et mon amertume. Pourquoi cette déception et cette amertume? Parce qu’il place le Maroc, à propos du Sahara, sur le même plan que l’Amérique combattant le Vietnam, ou en Afrique australe le Portugal et l’Afrique du Sud.
Que les liens religieux, culturels, historiques, géographiques qui unissent les peuples algérien et marocain soient sans aucune importance pour lui, puisqu’il n’en tient aucun compte dans l’appréciation de nos rapports passés, présents et futurs, voilà qui me peine infiniment. En effet, devant cet état d’esprit -et peut-être cette attitude de cœur- de Si Boumedienne, ma sensibilité de Marocain, de Maghrébin, d’Arabe, de Musulman et d’Africain est écorchée à vif! Comment Si Boumedienne, peut-il comparer le Maroc à l’Afrique du Sud raciste et au Portugal colonialiste? Comment peut-il comparer à d’authentiques mouvements de libération luttant contre l’impérialisme, le colonialisme et l’apartheid, un soi-disant mouvement qu’il a créé lui-même pour combattre le Maroc et tenter de l’empêcher de réaliser l’unité sacrée de son territoire? Non! C’est vraiment dur à entendre. Faîtes-lui part, je vous en prie, de mon amertume. S’il ne veut pas m’envoyer un message même par vous, moi je lui en envoie un, que voilà…”
Le Roi semble effectivement ému.
… Le 10 novembre 1975, je débarque donc à Béchar d’un avion que mon hôte m’avait envoyé la veille: il m’attendait à l’aéroport. Comme haut responsable, il n’y avait avec moi que Mohamed Aly Chérif, le secrétaire général de la Présidence de la République. Hamdi Ouled Mouknass se trouvait, en effet, dans la capitale espagnole, où il participait aux négociations tripartites qui devaient aboutir à la signature, le 14 novembre, de l’accord de Madrid.
Nos discussions, toutes en tête-à-tête, durèrent plusieurs heures. En deux temps. Je les résume ici.

Expansionnisme

D’entrée de jeu, mon interlocuteur, visiblement tendu, se lance dans un long développement au sujet de «l’expansionnisme marocain dans la région…»”
Puis, continuant à parler, il me dit: “Il paraît que la Mauritanie va signer, à Madrid, un accord de partage du Sahara entre vous et les Marocains. Ainsi, la Mauritanie change-t-elle totalement de position. Après avoir milité pour l’autodétermination du peuple sahraoui, elle accepte maintenant de le partager avec le Maroc, comme on partage un troupeau de moutons ou de chameaux. Cela, l’Algérie ne l’acceptera jamais!” Je l’interromps pour lui rappeler que l’accord en discussion à Madrid n’est que la concrétisation et l’officialisation de celui qu’il a lui même béni et cautionné à deux reprises à Rabat, en juin 1972, en octobre 1972 et, plus récemment, en octobre 1974 devant tous les Chefs d’État membres de la Ligue arabe.
Reprenant son intervention, mon hôte déclare: “Je te demande de retirer ton pays des discussions de Madrid et, donc, de ne pas signer l’accord en préparation. Sinon, les conséquences seraient graves et pour ton pays et pour toi-même. Du reste, ayant à choisir entre le Maroc féodal et expansionniste et l’Algérie révolutionnaire, tu ne peux choisir le premier”. Je l’interromps à nouveau pour lui dire que ses propos menaçants sont déplacés et qu’ils ne m’impressionnent pas. Il s’excuse et m’assure qu’il ne voulait pas me menacer, mais seulement me parler franchement pour attirer mon attention sur la gravité de la situation.
Je poursuis: “Quant au problème de choix entre les deux pays en question, il ne se pose pas pour la République islamique de Mauritanie dans les termes dont tu parles. En effet, dans ses relations avec les autres États, la République islamique de Mauritanie se détermine, avant tout, en fonction de ses intérêts nationaux et de ses principes propres. En l’occurrence, nos intérêts coïncident avec ceux des Marocains et non avec ceux des Algériens. Aussi coordonnons-nous notre action diplomatique avec celle du Maroc. Mais nous ne choisissons pas pour autant le Maroc contre l’Algérie. Vos deux pays demeurent pour nous deux pays voisins, frères et amis, avec lesquels nous désirons conserver simultanément les meilleures relations”.

Dignité

“Méfie-toi, Moktar! La Mauritanie est un pays fragile. Elle a des problèmes intérieurs graves. Elle a plusieurs milliers de kilomètres de frontières qu’elle ne peut défendre seule en cas de conflit armé. Son intérêt est donc de rester neutre et de continuer à jouer, au nord comme au sud du Sahara, le rôle diplomatique si important qu’elle joue, rôle sans commune mesure avec son poids spécifique. Et si, à juste titre, elle craint toujours l’expansionnisme marocain, elle peut compter sur l’Algérie pour l’aider à se défendre.
En tout état de cause, elle ne doit pas se laisser entraîner par le Maroc dans une aventure dont elle risque d’être la première victime, étant le maillon le plus faible dans la région. Quoi qu’il en soit, l’Algérie ne laissera jamais se réaliser le plan machiavélique que Hassan II prépare avec une certaine complicité de l’Espagne colonialiste et fasciste. L’Algérie n’acceptera jamais d’être mise devant le fait accompli au Sahara. Elle ne se désintéressera jamais du sort du peuple sahraoui, qui lutte pour son indépendance. Au besoin, elle mettra à la disposition de ce peuple tous ses moyens matériels et humains. Et si ceux-ci ne suffisaient pas, elle ferait appel à la solidarité révolutionnaire internationale pour réunir 50, 60 ou même 100.000 combattants de la liberté afin d’empêcher le Maroc d’écraser impunément le peuple sahraoui et de coloniser sa patrie”.
Je lui fais la même réponse que celle que j’avais déjà faite une fois au Roi du Maroc: “La République islamique de Mauritanie est consciente de sa faiblesse matérielle. Mais cette faiblesse ne la complexe nullement et n’ébranle en aucune manière sa détermination à défendre, jusqu’au dernier Mauritanien, son honneur, sa dignité et ses intérêts. En l’occurrence, la République islamique de Mauritanie signera l’accord de Madrid”.
Se ressaisissant, mon interlocuteur m’affirme, à nouveau, qu’il “ne cherche pas à m’intimider, mais seulement à me parler franchement, dans mon propre intérêt et dans celui de l’avenir des relations algéro-mauritaniennes”.
Le lendemain, apparemment plus détendu, il me raccompagna à l’aéroport: la suite est connue…
d’aprés MAROC-HEBDO

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