Guérisseurs des souks hebdomadaires : Le règne de l’imposture
El-Aïoun, le 04/01/2016
Mimoun MAIMOUNI
Depuis toujours, les Marocains visitent les marabouts et les mausolées et consultent les guérisseurs et les charlatans. Aujourd’hui encore, au XXIème siècle, les choses n’ont guère changé. Reportage.
Guérisseurs des souks hebdomadaires
Le règne de l’imposture
Malgré le développement économique et social que notre pays a connu au cours de ces dernières années, malgré le progrès spectaculaire des technologies de l’information et de la communication, il faut admettre que le charlatanisme, les superstitions et le recours à la magie, continuent de caractériser le mode de vie des marocains, à la fois en milieu rural comme en milieu urbain, et même dans les grandes villes. Ces pratiques d’un autre âge sont toujours vivaces dans notre société. Bienvenue au Maroc, le pays de tous les paradoxes, où le fantastique, le surnaturel et le paranormal sont monnaie courante et font partie du paysage de la vie de tous les jours.
Les lieux où abondent les guérisseurs de tous bords sont incontestablement les souks hebdomadaires qui ont lieu tous les jours de la semaine, dans différents endroits, et qui attirent un grand nombre de personnes.
Dans notre petite ville, le souk hebdomadaire se tient tous les mardis. Déjà depuis les premières lueurs de l’aube, le souk est à moitié plein. Les paysans y apportent leurs produits agricoles et artisanaux comme les grains, fruits, légumes, œufs, poules, beurre, poterie, laine, tapis, … On y trouve aussi de la viande, du poisson, chèvres et moutons, vêtements, produits alimentaires, articles ménagers, matériel agricole, fournitures scolaires, produits cosmétiques … Mais ce qui attire surtout l’attention, c’est le nombre considérable de guérisseurs et de charlatans. Ces derniers profitent de ce point de rencontre pour parvenir à leur but.
Ces « médecins » s’assoient sur une chaise ou sur un tapis à même le sol et disposent leurs marchandises avec un grand soin. Parmi ces objets étalés sur le sol ou sur une large table, on trouve des sachets qui contiennent de l’herbe séchée, de petites boîtes en carton, des bouteilles de tailles et de couleurs différentes, des flacons remplis de substances inconnues, de grands œufs d’autruche, de l’encens, des peaux de grenouilles et de grands serpents, des plumes d’oiseaux rares, des crânes d’animaux fabuleux, des coffrets bizarres, de vieux livres de magie, des talismans, des squelettes, des croquis représentant l’anatomie humaine et beaucoup de choses encore.
Ces guérisseurs appellent les gens à venir consulter. Ils déclarent haut et fort avoir le pouvoir de guérir toutes sortes de maladies, même les plus graves, les plus dangereuses et les plus incurables : diabète, rhumatismes, hypertension artérielle, maladies cardiaques, migraine, asthme, ulcère, hémorroïdes, problèmes rénaux, impuissance sexuelle, etc.
« Vous avez mal à l’estomac, le diabète vous empoisonne la vie, les rhumatismes vous empêchent de faire votre prière, vous avez perdu votre virilité et vous avez du mal à coucher avec votre femme, … ne vous inquiétez pas, j’ai le remède efficace qu’il vous faut. » ne cessent-ils de répéter à longueur de journée.
Un jeune marchand qui vend des articles d’occasion, excédé par le bruit insupportable de ces guérisseurs, se met à vociférer. « Mais il faut être fou pour croire à ces sornettes ! Moi, ce qui me dérange le plus, c’est qu’ils crient tellement fort que, souvent, quand je rentre le soir à la maison, j’ai la tête qui bourdonne. » Et effectivement, le bruit qu’ils font est assourdissant. Ils sont tous équipés de micros et le son est amplifié par les haut-parleurs. Vous pouvez les entendre à des kilomètres à la ronde !
Nous nous sommes approchés d’un guérisseur qui s’égosillait depuis des heures dans son micro. « Venez donc par ici, fils d’El-Aïoun, et si vous n’êtes pas guéris dans les deux ou trois jours qui viennent, je suis un fils de mauvaise naissance et la prochaine fois que vous me verrez, crachez-moi à la figure ! »
Pour avoir une conversation avec lui, nous avons utilisé un stratagème. Un de nos camarades s’est fait passer pour un malade souffrant de douleurs au dos. Il a déboursé 20 dh contre un sachet qui contient des herbes séchées qui, selon le guérisseur, a le pouvoir de régler le problème en moins d’une semaine. C’est alors que nous nous sommes intervenus pour demander plus d’explications. Le charlatan s’est prêté au jeu pendant quelques instants espérant gagner encore plus d’argent, puis réalisant qu’il perdait son temps, il nous lance sèchement « Ecoutez mes enfants, vous êtes encore trop jeunes pour comprendre ces choses-là. Je vous conseille d’aller vous intéresser à vos études. » Mais devant notre insistance, il ajoute « Ah ! Je vois ! Vous vous considérez comme des gens de sciences et de connaissances ! Eh bien sachez que je reçois des professeurs, des infirmiers, des gendarmes, et des gens bien plus instruits et bien plus cultivés, vous ne leur arriverez même pas à la cheville ! Ce qui vous manque, vous les jeunes d’aujourd’hui, c’est NIYA (les bonnes intentions). Et croyez-moi, sans elle vous n’irez pas très loin. Maintenant, éloignez-vous et laissez-moi tranquille ! »
Ces guérisseurs ne sont pas passés par des écoles de marketing ni par des agences de publicité ou de propagande. Pourtant, ce sont de véritables professionnels. Ils sont si sûrs d’eux, si convaincants, si confiants, si performants que rapidement une halka se forme autour d’eux. Comment réussissent-ils à attirer les foules ?
On doit reconnaître que nous étions nous-mêmes fascinés par la force de caractère de ces gens, leur forte personnalité, leur présence d’esprit, leur maîtrise du verbe et de l’art oratoire. Ils parlent bien, maîtrisent l’art du discours, utilisent des figures de style, et savent toucher les gens. Ils peuvent parler pendant des heures sans s’arrêter, et ils finissent toujours par persuader les indécis.
« Eh vous qui perdez votre temps et votre argent chez les médecins et les pharmaciens, vous qui avez tapé à toutes les portes sans trouver votre remède, aujourd’hui c’est votre jour de chance. Soyez un homme de bonne intention et venez par ici, et sachez que seul Dieu a le pouvoir de vous guérir. »
Nous avons eu un entretien avec M. Ahmed EL ATMANI, titulaire d’un doctorat en histoire des civilisations et président de l’Association IQRAA. « C’est de l’arnaque, c’est de la manipulation, nous dit-il. Ces gens-là exploitent la pauvreté et la misère des gens et leur vendent des mensonges et des illusions. Les prêcheurs des mosquées notamment sont appelés à sensibiliser les citoyens. Les autorités aussi doivent prendre des mesures sévères contre ces guérisseurs. »
Il est à noter que bon nombre de gens s’en vont au souk juste pour traîner ou passer le temps. Ils répondent volontiers à l’appel de ces guérisseurs et se regroupent facilement autour d’eux comme une grappe de raisins. L’affaire commence souvent comme un spectacle, les gens s’y rendent par curiosité, juste pour voir. Puis ils se laissent rapidement manipuler.
Ces guérisseurs sont rusés et très intelligents. Ils flattent l’orgueil des gens par de belles paroles « braves gens d’El-Aïoun, vous qui êtes des hommes et des femmes nobles et de grand cœur, enfants de cette ville militante qui a donné naissance à d’illustres personnages parmi lesquels des moudjahidine et des ulémas, … ».
Pour paraître plus savant, ils intègrent dans leur discours des mots en français, citent des médecins modernes, évoquent des appareils médicaux sophistiqués comme le scanner, ils parlent d’échographie, de radiologie, etc.
Ces guérisseurs recourent également au discours religieux pour rassurer les clients et les mettre en confiance. Chaque deux secondes, ils citent un verset du coran, un hadith du prophète, un proverbe ou une sagesse légués par les ancêtres … « N’hésitez pas peuple des musulmans, venez consulter. Grâce à Allah le tout puissant et à son prophète, que la paix et le salut soient sur lui, vous serez guéris et totalement lavés de votre mal. »
Nous avons pris contact avec M. Omar OUMHAMAD, Adoul bien connu dans notre ville et homme versé dans les sciences religieuses. « L’Islam a de tout temps été contre le charlatanisme sous toutes ses formes. En tant que musulman, nous dit M. OUMHAMAD, je ne peux que dénoncer cette récupération de la religion à des fins commerciales. »
Ces guérisseurs se baladent de souk en souk, exploite la détresse des gens, dupent hommes et femmes, et finissent par écouler leurs marchandises. Malheureusement, le désespoir dans lequel se trouvent certains malades les pousse à se jeter dans la gueule du loup.
Nous avons abordé un homme d’une soixantaine d’année et qui avait acheté une poudre jaunâtre pour soulager ses rhumatismes. Quand nous lui avons posé la question sur les dangers que pourraient contenir ce produit, il nous a regardés longuement, puis il dit : « Mes enfants, vous avez raison. Je suis conscient de ces risques. Tout simplement, je ne vous souhaite pas de tomber malade comme je le suis, car dans ce cas, vous allez prendre même du poison si on vous le recommandait ! »
Quelle idée se fait la médecine moderne de ce fléau social ? Pour avoir une réponse à cette question, nous nous sommes adressés au docteur Samira BOUYANZER qui nous a reçus dans son cabinet au centre-ville. « Les herbes et les produits vendus par ces guérisseurs peuvent être très toxiques et présenter un danger pour la santé des citoyens, nous dit-elle. La plupart des cas que je reçois se rapportent à des intoxications, des inflammations, ou des perforations au niveau de l’estomac. »
Ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est que les autorités ne réagissent pas. Pourtant, ces charlatans n’agissent pas dans le secret. Au contraire, ils déroulent de larges banderoles qui vantent leur pouvoirs miraculeux et distribuent même des cartes visite avec numéros de téléphone et adresses emails !
Nous avons exposé la situation à un responsable de l’autorité locale. « Notre travail consiste à faire respecter la loi, nous dit-il. Aussi bizarre que cela puisse paraître, mais vous devriez savoir que la grande majorité de ces guérisseurs disposent d’un justificatif qui leur permet d’exercer ce métier ». Le même responsable, qui a préféré garder l’anonymat, ajoute « L’année dernière, nous avons effectué des rafles dans les rangs de ces guérisseurs et nous avons saisi des amplificateurs et des haut-parleurs. Mais toutes ces personnes ont été relâchées quelques heures plus tard ».
Alors, jusqu’à quand devra-t-on attendre pour trouver une solution à ce phénomène qui ronge notre société et qui écorche l’image de notre pays ?
En attendant que les responsables passent à l’acte, les guérisseurs, les charlatans, les voyants, les sorciers, les magiciens, … continuent de sévir dans l’impunité la plus totale.
Reportage réalisé par les élèves :
Rajae BELARABI ; Meryem BOUKHTAM ;
Redouane BESSIS ; Yassine BOUGDIM
Encadré par : Mimoun MAIMOUNI (professeur de français)
Professeur encadrant
Club Jeunes Reporters
Lycée Zaïtoun, El-Aïoun
Délégation de Taourirt
Académie de l’Oriental
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Actuellement avec la medecine occidentale, ces pratiques deviennent d’un autre âge. J’ai vécu cela dans les années 50 avant et après l’indépendance. Les remèdes accessibles à la population indigènes rifaines sont recherchés auprès :
1)du Fkih : Un enfant de 40°c de fièvre amené devant lui par sa mère pour consultation moyennant quelques doros ou œufs. L’examen consiste à retourner l’enfant dans tous les sens en citant des versets coraniques tout en soufflant des crachats vaporisateurs. A la fin, il rédige 2 « hjabs » sur des bouts de papiers, un est à accrocher au cou du malade et l’autre à le laver et à faire boire l’eau de rinçage au malade.
2)du marabout : ce sont généralement des gens hors normes qui sont vus par la population comme des « sur-hommes » qui communiquent avec l’au-delà. A leur mort, leurs tombes deviennent des mausolées plus ou moins important selon la richesse de la région. On leur attribue des vertus spécialisées de guérison : maladies des femmes, des enfants et même du bétail. La visite est gratuite, sauf si un volontaire prétendant être de la famille du saint occupant les lieux se fait payer par des dons. Les marabouts vivants étaient rares, réservés aux riches et coutent chers pour la consultation.
3)Du charlatan des souks : ces charlatans sont combattus par les fkihs dans les douars, ils n’apparaissent donc que dans les souks avec tout leur arsenal de produits.
Avec la logique du présent, les fkih et marabouts apportent un remède psychologique aux malades, les charlatans fournissent des plantes médicinales et des plantes toxiques sources de remèdes ou d’intoxication.
Actuellement, ces méthodes archaïques ne sont pas dépourvues d’intérêts. La médecine moderne a sa limite et a aussi ses charlatans qui remplissent leurs poches en faisant augmenter les dépenses.